Une trentaine de salariées d’Elior sont en grève depuis vendredi 23 février à Grenoble pour s’opposer au projet de mutations forcées annoncé par la direction pour 13 d’entre elles. Ces travailleuses du nettoyage s’occupent des administrations publiques (Finances publiques, inspection du travail, préfecture, tribunal administratif, etc.) où elles exercent depuis des années. Elles sont déterminées à poursuivre la grève jusqu’à gagner l’abandon total du projet de mutations et le paiement des jours de grève.
En grève jusqu’au retrait !
Chaque jour, les grévistes se sont rassemblées devant leurs lieux de travail pour se rendre visibles et expliquer leur mobilisation aux collègues des administrations et à la presse. Elles ont également reçu la visite moins sympathique de salariés encadrants syndiqués à la CFDT et venus remplacer les grévistes, molestant au passage l’une des grévistes en entraînant cinq jours d’ITT, puis revenant le mardi accompagnés d’huissiers. Mais les grévistes maintiennent leur revendication d’abandon total des mutations malgré ces intimidations et la proposition de négocier les modalités de mutations faite mercredi par la direction d’lior au terme du CSE.
C’est par un courrier recommandé, daté du 19 février, que la direction avait annoncé les mutations d’office vers le CHU à partir du 4 mars. Presque du jour au lendemain, le lieu de travail s’éloigne et les horaires basculent en soirée et en week-end, ce qui ne permet plus de jongler entre la journée de travail salarié et s’occuper des enfants que plusieurs élèvent seules. De plus, le travail change de nature puisque le nettoyage en milieu hospitalier obéit à des normes différentes. Enfin, les salariées visées par les mutations forcées sont parmi les plus anciennes : certaines sont en âge de prendre leur retraite mais continuent à devoir travailler pour vivre ; les troubles musculosquelettiques, tendinites et autres handicaps font que plusieurs plaisantent pour savoir si leur entrée à l’Ehpad se fera comme travailleuses du nettoyage ou comme résidentes.
Mais, en plus de la dégradation des conditions de travail, c’est d’être traitées comme des pions qui est contesté. Aucune des administrations où elles travaillent depuis de longues années ne pourrait fonctionner sans elles. C’est ce lien entre l’ensemble des travailleurs et travailleuses d’un même site que rappelait la banderole « Non aux mutations forcées. Soutien aux collègues en lutte ! » tendue dans les locaux de la DDETS par les inspecteurs et inspectrices du travail solidaires de la grève. À l’inspection du travail et aux finances publiques, des pétitions ont été ou sont en train d’être remplies pour exprimer cette solidarité.
Patron multimillionnaire et milliards de chiffre d’affaires : de l’argent il y en a !
Du côté de l’employeur, l’extension vers de nouveaux sites et l’intensification du travail dans les sites actuels est une opération très rentable pour les actionnaires. En avril 2020, préoccupé à sa manière par la crise sanitaire, le directeur général d’Elior services expliquait ainsi aux Échos : « Le marché de la propreté est externalisé à 55 %, mais les secteurs de la santé, des maisons de retraite, du scolaire restent encore très internalisés et s’avèrent donc très porteurs. » Au même moment, les salariées aujourd’hui mutées effectuaient le nettoyage des locaux sans protections adéquates et sans même percevoir la prime Covid.
Le groupe Elior aurait pourtant les moyens d’embaucher, d’augmenter les salaires et de verser un treizième mois. Si cette réorganisation est menée, c’est parce que la direction cherche à pressurer les salariées et espère ainsi remporter l’appel d’offres qui sera lancé en 2025 par le préfet et son secrétariat général aux Affaires régionales. C’est parce qu’il exploite toujours plus ses salariées que le groupe pouvait annoncer en novembre dernier un chiffre d’affaires de 5,22 milliards d’euros, en hausse de 11,2 % sur l’exercice 2022-2023.
Racheté en 2022 par Daniel Derichebourg (membre depuis 2003 des 500 plus grandes fortunes de France répertoriées par Challenges), le groupe emploie 142 000 salariés et prévoit de dégager 56 millions d’euros grâce à la fusion des activités Elior et Derichebourg. Mais le groupe pourrait tout aussi bien se trouver confronté aux colères des salariées issues de ces deux entités. En 2021, avant la fusion, les agents d’entretien d’Elior et de Dericherbourg étaient déjà en grève à quelques mois d’intervalle dans l’agglomération de Grenoble.
La victoire des grévistes contre le projet de mutations forcées serait un premier encouragement en ce sens. Pour gagner, elles ont décidé de maintenir leur grève et prévoient le lancement d’une pétition-cagnotte en ligne ainsi qu’un rassemblement pour les soutenir la semaine du 4 mars.
Éric Moreau