Si, ces dernières années, les pratiques contraceptives ont évolué de façon significative – notamment depuis ce qu’on appelle « la crise de la pilule »1 de 2012 –, la majorité des femmes suit la norme contraceptive française, c’est-à-dire le schéma suivant : préservatif au commencement de la vie sexuelle, pilule lorsqu’une relation s’installe, dispositif intra-utérin (stérilet) après la ou les grossesses.
Des dispositifs qui échappent au contrôle des femmes
La charge mentale contraceptive repose aujourd’hui plus souvent sur les femmes : ces dernières restent majoritairement impliquées dans des rapports sociaux qui rendent pratiquement impossible le contournement de cette norme à l’échelle individuelle, en particulier au sein du couple hétérosexuel avec une possibilité limitée de négociation d’une répartition de cette charge. Cette norme française rend les femmes des classes populaires particulièrement dépendantes. Dépendantes d’une part de la prescription médicale, qui est en partie déterminée par l’accès aux professionnels médicaux, seuls habilités à effectuer ces prescriptions (médecins généralistes, gynécologues médicaux, obstétriciens, sages-femmes) ; et, d’autre part, de la production et de la délivrance effectuées par l’industrie pharmaceutique et conditionnées par la répartition territoriale des pharmacies.
Le droit à l’avortement et à la contraception impacté par la crise du système de santé
Ces services, qui devraient assurer une contraception effective pour les personnes concernées, sont aujourd’hui en crise. Les spécialistes dédiés au suivi gynécologique (et donc à la prescription et à la surveillance de l’observance) sont les gynécologues médicaux, professionnels qui ont vu leurs effectifs diminuer de 52,3 % en treize ans (de 2007 à 20202). Ce manque est en partie pris en charge par les médecins généralistes et les sages-femmes, mais il est nettement insuffisant pour garantir un accès à la contraception pour toutes. De plus, le nombre de pharmaciennes et pharmaciens diplômés tend à diminuer et l’implantation des pharmacies est très inégale (notamment dans la moitié nord du pays où elles sont en nombre insuffisant par rapport à la densité de population)3. Le monopole des firmes pharmaceutiques sur la production des médicaments leur confère un pouvoir total sur l’approvisionnement. On peut ici penser à la pénurie de misoprostol (médicament utilisé pour les IVG par voie orale) qui a touché Lille et l’Île-de-France en avril dernier à la suite d’un problème technique sur le seul site européen produisant cette molécule4. Un autre frein à l’accès à la contraception concerne les centres de planification ou d’éducation familiale (Planning familial), lieux de ressources notamment en termes de contraception, qui subissent de plus en plus d’attaques de l’extrême droite. Par exemple, le Planning familial de la Gironde a été attaqué deux fois en deux semaines en février dernier. Par ailleurs, certains médecins refusent pour des raisons morales l’accès à certaines contraceptions, comme la ligature des trompes, encore très peu pratiquée en France hexagonale. (Là où, dans les départements et territoires d’outre-mer, cette même méthode est vivement encouragée !)
Des mesures instrumentalisées pour nier la nécessité de garantir le droit à l’IVG
Dans le cadre de la crise du coronavirus (ayant exacerbé les difficultés d’accès aux soins pour les travailleurs et travailleuses), un certain nombre d’avancées ont été accordées : en 2021, la possibilité pour les sages-femmes de pratiquer l’IVG instrumentale de façon expérimentale (elles pouvaient déjà pratiquer l’IVG médicamenteuse depuis 2016) ; en février 2022, l’extension du délai légal de recours à l’IVG à quatorze semaines ; la gratuité des préservatifs pour les 18-25 ans depuis le 1er janvier dernier… Toutes ces mesures, bien qu’allant dans le bon sens, ne compensent pas la fermeture des services de soins et la réduction du nombre de professionnelles disponibles. De plus, si la contraception est souvent présentée comme rempart à l’IVG, les faits contredisent ce récit : malgré l’arrivée et le développement de l’offre contraceptive, le nombre d’IVG pratiquées par an reste stable5 et au moins deux tiers des femmes y ayant recours chaque année sont sous contraceptif6. Ces mesures d’ajustement minimal sont instrumentalisées pour nier la nécessité de garantir un accès à l’IVG pour toutes. Or, ce besoin ne disparaît pas avec l’usage de la contraception, ces deux dispositifs répondant à des besoins différents : la contraception diminue le risque de grossesses non désirées mais n’empêche pas leur survenue. Au-delà des avancées juridiques et des mesurettes, la lutte pour améliorer l’accès concret et matériel à la contraception et à l’IVG est primordiale. Il s’agit d’un élément déterminant pour la vie quotidienne des femmes travailleuses que le mouvement social doit prendre à bras le corps au même titre que l’ensemble des revendications concernant les conditions de travail. Le fait de ne pas pouvoir maîtriser ses grossesses fragilise davantage les femmes sur les plans économique, physique et psychologique.
Claire Broussi
(Article paru dans Révolutionnaires numéro 5, septembre 2023)
1 https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2014-5-page-1.htm
2 De surcroît, au 1er janvier 2020, 12 départements de métropole n’avaient plus aucun gynécologue médical, soit 5 départements de plus qu’en 2018 (https://www.senat.fr/questions/base/2021/qSEQ210824116.html).
3 https://www.insee.fr/fr/statistiques/1281354
4 https://www.lalsace.fr/magazine-sante/2023/05/10/penuries-de-pilule-abortive-quelles-consequences-sur-les-avortements
5 https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/chiffres/france/avortements-contraception/avortements/
6 https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/05/24/idee-recue-n-4-l-ivg-est-pratiquee-par-des-femmes-qui-n-utilisaient-pas-de-moyens-de-contraception_5304024_4355770.html