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Des patrons attachés à la liberté… d’acheter la presse

En novembre 2021, Bernard Arnault et Vincent Bolloré, deux des capitalistes français les plus puissants lorgnaient sur le journal Le Figaro. Pas pour ses résultats financiers : selon Mediapart, le groupe Figaro perdait des dizaines de millions d’euros par an. Le principal actionnaire depuis 2004, le groupe Dassault, a refusé de vendre. Ce n’est pas qu’il compte sur son groupe de presse pour gagner de l’argent. La fortune du clan vient de l’aéronautique. Mais Le Figaro y contribue, par exemple en « rééquilibrant » par ses articles flatteurs les critiques qui frappaient l’avion de combat Rafale, invendable pendant 20 ans… sauf à l’armée française.

Trafic d’influence

La presse n’est pas une activité très rentable. Bien qu’ils bénéficient (comme les médicaments remboursés par la Sécu) d’une TVA réduite à 2,1 % et d’importantes subventions publiques au motif – louable mais dévoyé – de favoriser l’accès à l’information, les titres de presse doivent régulièrement être renfloués. Et souvent par des milliardaires jouant les philanthropes. En réalité, investir dans un groupe de presse est un levier pour exercer une influence politique, toujours utile pour décrocher des commandes publiques validées par des élus. Bouygues, grand groupe du BTP, contrôle TF1 depuis sa privatisation en 1986. Quel homme ou femme politique prendrait le risque de se fâcher avec l’actionnaire majoritaire du journal télévisé le plus regardé en France ? La presse peut défaire une carrière… ou bien la lancer, comme celle d’Eric Zemmour. Sa candidature à la dernière élection présidentielle a fait l’objet d’une exposition médiatique inouïe : rien qu’en septembre 2021, 15 passages dans des grands médias et 4 167 occurrences dans l’ensemble de la presse écrite, alors qu’il n’était même pas encore candidat1.

Dis moi qui te possède, je te dirai pour qui tu roules

Zemmour, habitué des tribunaux pour ses provocations racistes, qui prend ses lubies réacs (Pétain sauveur des Juifs français, si, si !) pour des vérités historiques, propulsé par la libre presse ? Oui, enfin surtout par Bolloré et ses semblables. Le Point appartient à François Pinault (groupe Kering) depuis 1997. Bernard Arnault (LVMH) possède entre autres Les Échos, Le Parisien / Aujourd’hui en France, Paris-Match, Radio Classique. Bolloré est de loin le plus gros requin : il allie à la presse magazine (Géo, Femme actuelle, Capital, Gala), la télé (Canal+, C8, CNews, CStar), la radio (Europe 1, RFM) et l’édition (Hachette). Xavier Niel (Free) fait exception. Il vient de céder ses parts dans le groupe Le Monde (Le Monde, Télérama, Courrier international, L’Obs) à un fonds de dotation, une entité dans laquelle les actions détenues ne peuvent pas être revendues – Mediapart a eu recours à ce système pour préserver son capital des achats « hostiles ». Mais il contrôle toujours les titres de la presse régionale du groupe Nice-Matin et France-Antilles.

Le 15 mars dernier, Patrick Drahi, ex-propriétaire de Libération et L’Express, vendait Altice Media (BFM TV, RMC) pour 1,55 milliard d’euros. L’acheteur, Rodolphe Saadé, est le PDG du groupe de fret maritime CMA-CGM, considérablement enrichi par l’explosion des tarifs de transport par conteneur à la sortie du confinement de la planète. Possédant déjà plusieurs journaux régionaux, certains lui prêtent l’intention de constituer, en soutien à Macron, un empire rival de celui de Bolloré. Mais avec les mêmes méthodes : fin mars, Saadé décidait de mettre à pied le directeur de la rédaction de La Provence Aurélien Viers pour une une jugée critique envers le ministre de l’Intérieur Darmanin. Une grève unanime des journalistes l’en a empêché. Une victoire bienvenue, car les luttes des journalistes contre leur mise au pas se terminent aussi parfois par des défaites, comme au JDD « bollorisé » l’été dernier malgré six semaines de grève.

Mathieu Parant

 

 

(Article paru dans Révolutionnaires numéro 13, 25 avril 2024.)

 

 

1  Pauline Perrenot, Zemmour : un artefact médiatique à la Une, 5 octobre 2021, www.acrimed.org.