Résistance antinazie ouvrière et internationaliste – De Nantes à Brest, les trotskistes dans la guerre (1939-1945)
Robert Hirsch, Henri Le Dem et François Preneau, éditions Syllepse, 2023, 315 P., 22 €
L’internationalisme prolétarien au milieu de la barbarie
Durant la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), lorsque la social-démocratie et le stalinisme basculaient sans surprise, mais avec enthousiasme, dans la libération nationale avec la bourgeoisie, une poignée de jeunes militants en Bretagne, la plupart inexpérimentés, mettaient en pratique la fraternisation entre travailleurs des deux camps en guerre.
Les trois auteurs, issus de la tradition de la Quatrième Internationale, ont eux-mêmes construit des équipes militantes dans le travail syndical, parmi les immigrés ou encore en solidarité avec l’Amérique latine. Leur livre est militant sans jamais s’écarter de la rigueur. Il utilise des sources en partie nouvelles, renouvelle des questions, organise le récit détaillé d’une expérience militante inédite : celui du travail politique révolutionnaire dans les rangs de l’armée allemande par des militants trotskistes.
Les contradictions du trotskisme
Le titre illustre bien l’ambiguïté du terme « résistance ». Il est vrai que les militants de la Quatrième Internationale subissaient en majorité1 une pression nationale les poussant dans leurs écrits à s’adapter à une résistance unie avec la bourgeoisie « qui pense français ». Mais ce travail nous montre une réalité plus complexe, celle de militants internationalistes bien loin des manquements de leur direction. Il fait suite au travail pionnier de 1970 reproduisant en fac-similé les publications de La Vérité2 et à celui de Nathaniel Flakin3, qui nous fait entrer dans un laboratoire remarquable : celui d’un groupe régional, organisant dans l’adversité un internationalisme concret. Comment construire ce travail, trouver les ressources, trouver le ton pour toucher le soldat du rang, comment agiter la population laborieuse de Nantes, Couëron et Brest ? Tout est décrit avec minutie. Au sommet de l’activité, ce travail a organisé 27 soldats et marins, avec une cinquantaine de diffuseurs. Malgré un petit tirage, leur propagande révolutionnaire a circulé. La Gestapo en a retrouvé des exemplaires en Italie ! Un courage et une inconscience folles, qui ont multiplié les imprudences telles qu’une réunion avec dix soldats en même temps ou la mise en place d’une imprimerie au sous-sol d’un magasin appartenant à une famille de sympathisants juifs lituaniens !
Tous ont été pris, horriblement torturés et fusillés. Les noms des militants de France sont ici rappelés, alors que nous n’avons pas encore la liste de ces soldats qui défiaient Hitler au cœur de la bête. Mais ce sacrifice n’a pas été inutile. Ce livre précis et accessible au plus grand nombre – et l’on reconnaît le souci militant –, le restitue avec clarté : c’est une leçon précieuse au moment où le bruit des bottes ne cesse de croître.
Voir sur notre site, le dernier article de Robert Cruau, postier nantais de 22 ans, exécuté à Brest, dans Front ouvrier de Brest.
(Article paru dans Révolutionnaires numéro 13, 25 avril 2024.)
1 Un petit groupe, se réclamant de la Quatrième Internationale, l’Union communiste, animé par David Korner (Barta) s’y est opposé, de même, avec d’autres axes, que les groupes, comme celui de Marseille, se réclamant de la gauche communiste.
2 Journal trotskyste clandestin sous l’occupation nazie. Fac-similé de La Vérité Clandestine (1940-1944), organe de la section française de la IVe Internationale, suivi du fac-similé de Arbeiter und Soldat et des thèses de la Conférence européenne de la IVe Internationale, Jean-Michel Brabant, Michel Dreyfus, Jacqueline Pluet, Broché, 1978
3 Un Juif berlinois organise la résistance dans la Wehrmacht – Arbeiter und Soldat, Nathaniel Flakin, Syllepse, 2021. Militant de la Fraction trotskiste (liée à Révolution permanente en France), Nathaniel Flakin livre un exposé dense et documenté de l’itinéraire du cadre trotskiste Martin Monath, l’âme éditoriale d’Arbeiter und Soldat.
