Début 2022, l’ancien président François Hollande était l’invité star pour une émission vidéo du journal Le Monde au titre sans équivoque : « La France est-elle encore une grande puissance ? » Il y résumait du point de vue de la bourgeoisie le problème actuel de l’impérialisme français : « Quand on est une démocratie aussi fatiguée, aussi usée, comment vous pouvez porter une ambition à l’échelle du monde ou de l’Europe ? » En résumé : le capitalisme français n’a pas su se maintenir économiquement, mais l’ambition de l’État et des classes dirigeantes reste de jouer un rôle de « grand » dans le jeu international.
L’instrument dans cette course mondiale reste l’armée française, la première armée européenne, tout au moins depuis que le Brexit en a fait la seule puissance nucléaire de l’Union européenne. Après même la fin des guerres coloniales d’Indochine et d’Algérie, ces 60 dernières années, elle a multiplié les opérations militaires dans le monde : 70 entre 1960 et 1990 et plus de 190 entre 1990 et 2020, dont l’opération Serval, devenue ensuite Barkhane, avec plus de 5000 soldats déployés au Sahel. La France reste présente en Irak (opération Chammal, 600 militaires), au Liban (opération Daman, dans le cadre de la Finul, 700 militaires) et en Europe de l’Est, principalement en Estonie et en Roumanie (un millier de soldats). La Cour des comptes estime que les dépenses supplémentaires dues aux opérations extérieures (Opex) ont représenté, entre 2020 et 2023, plus de 1,1 milliard d’euros chaque année. Hormis les États-Unis, une inflation unique au monde.
Ce déploiement de forces n’est pas sans revers importants dans sa zone d’influence : l’Afrique. Après le Mali et le Burkina Faso, c’est le Niger que les troupes françaises ont dû quitter fin 2023. Les médias ont largement mis en avant le rôle de la Russie, avec la milice Wagner, devenue aujourd’hui Africa Corps ; mais c’est avant tout la contestation populaire de l’impérialisme français qui a ébranlé cette présence militaire. La France compte cependant encore cinq bases actives sur le continent africain : au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Tchad, au Gabon et surtout à Djibouti, et 6700 soldats français en permanence sur le sol africain.
Avec la guerre d’Ukraine, l’Europe est redevenue terrain de déploiement militaire. Alors qu’au début Macron affichait un « juste-milieu » en affirmant vouloir garder le contact avec la Russie – ce qui ne l’empêchait pas, dans le même temps, de déployer des centaines de soldats en Europe de l’Est et de livrer du matériel militaire à Zelensky –, c’est depuis quelques semaines une attitude provocatrice, affirmant en février et récidivant depuis, que l’envoi de troupes au sol en Ukraine n’était pas exclu. Ces déclarations n’ont trouvé aucun soutien européen et américain, mais attestent d’une volonté de s’affirmer comme leader impérialiste européen au moment où les États-Unis cherchent visiblement à réduire leur soutien à l’Ukraine.
Autre terrain où l’impérialisme français voudrait garder sa place : la zone indo-pacifique. La France y est en effet présente à travers la Polynésie, Wallis et Futuna, la Nouvelle-Calédonie, ainsi que l’île de la Réunion. Et le contrôle de ces territoires lui offre la mainmise sur une zone maritime de plus de 6 millions de km2 (le deuxième domaine maritime mondial après les États-Unis) et le maintien d’une présence militaire stratégique dans le Pacifique et l’océan Indien : des forces armées dans la Zone-sud de l’océan Indien (FAZSOI) et des forces armées en Nouvelle-Calédonie (FANC), soit plus de 3000 militaires et 12 navires déployés dans la zone.
Les événements de Nouvelle-Calédonie, l’obstination de l’État français à vouloir maintenir coûte que coûte des militaires en Afrique, les déclarations agressives de Macron sur l’Ukraine, tout montre que, même affaibli, l’impérialisme français conserve une puissance de nuisance énorme. Contre ce bras armé des capitalistes français, il est de notre devoir de travailleuses et travailleurs ici, dans l’intérêt de ceux du monde entier, d’appuyer tous les mouvements d’émancipation des peuples. Troupes françaises hors de tous les continents !
Aurélien Pérenna
Cet article fait partie du dossier publié dans Révolutionnaires no 15.