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Entre embarras et soutien malgré tout, l’Occident complice des crimes de l’armée et de l’État d’Israël

Au prétexte de ramener dans leurs foyers 60 000 habitants du nord d’Israël que les roquettes du Hezbollah ont contraints à se réfugier ailleurs dans leur pays, l’armée israélienne a déjà condamné à un semblable exil intérieur – ou même vers la Syrie pour certains – pas moins d’un million de Libanais. À l’heure où nous écrivons, Israël a commencé ses opérations d’invasion terrestre au sud du pays, sous l’œil des soldats de la Finul, cette force des Nations unies installée le long de la frontière, en principe pour empêcher les actes de guerre, mais qui laisse passer les troupes… toujours dans le même sens : d’Israël vers le Liban. Plusieurs centaines de civils libanais ont déjà été tués dans des frappes qui n’ont de chirurgicales que le nom, sauf à confondre chirurgie et boucherie. Depuis bientôt un an qu’Israël se livre au massacre génocidaire en cours à Gaza, c’est tous les jours que l’humanité vérifie que la « civilisation » génère la barbarie la plus abjecte – par exemple, l’emploi de l’intelligence artificielle pour déterminer les cibles de « probables militants du Hamas » (l’armée israélienne elle-même estime que, dans au moins 10 % des cas, ces cibles n’ont rien à avoir avec l’organisation islamiste) et à quel moment frapper ces cibles : quand elles rentrent… au domicile familial.

Un partenariat militaire vital pour Israël

Les puissances occidentales n’ignorent rien du massacre en cours. Israël a tenu Washington informé de son opération terrestre juste avant de la déclencher. Les états-majors des grandes puissances occidentales, en premier lieu des États-Unis, suivent avec attention, et probablement grâce un accès assez large aux salles d’opération de leur homologue israélien, le déploiement des dernières technologies militaires employées contre le peuple palestinien et maintenant le peuple libanais, cobayes des guerres futures de l’impérialisme, tout comme les peuples russe et ukrainien sur un autre théâtre d’opération.

Les parrains occidentaux – États-Unis en tête mais aussi la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne – de l’État israélien fournissent à ce dernier non seulement un soutien diplomatique, en votant à l’ONU contre toutes les résolutions condamnant son action, mais aussi tout simplement un approvisionnement en armes : des munitions, mais aussi des équipements spécialisés, de l’électronique de guerre ou encore des véhicules. Seule l’Italie et l’Espagne ont assuré avoir suspendu leurs livraisons. Mais bien malin qui peut vérifier ce qu’il en est, tant le commerce des armes est opaque. Le Royaume-Uni s’est livré à un certain bluff, annonçant pour la galerie qu’il suspendait ses livraisons à Israël, avant de préciser qu’il s’agissait de 30 licences… sur un total de 350.

Macron a prétendu au cours de son déplacement au Canada, alors que des manifestants l’interpellaient sur sa complicité dans le massacre en cours, que la France ne vend pas d’armes à Israël. On aurait cependant bien tort de le croire sur parole. En fait, bien des fleurons de l’industrie d’armement française (Thales, Safran, MDBA, Airbus…) ont noué des partenariats avec leurs homologues israéliens et développent conjointement leurs activités1. Faire cesser cette implication reviendrait à démanteler une partie d’entre elles : c’est hors de question pour les capitalistes français de l’armement.

Biden a, quant à lui, non seulement autorisé des ventes d’armes et fait voter une procédure d’urgence pour les faciliter, mais il a aussi donné à Israël un accès illimité aux stocks de munitions prépositionnées par son armée au Moyen-Orient, fractionné les livraisons de munitions en plus d’une centaine d’opérations pour les soustraire au contrôle du Congrès et donc à une certaine publicité, et fait adopter plusieurs milliards de dollars de subventions au titre de la « défense d’Israël ». Le versement de la dernière tranche, d’un montant de 8,7 milliards de dollars, a été confirmé par le secrétaire d’État américain à la Défense, Lloyd Austin, jeudi dernier.

Israël à l’initiative, sûr du soutien inconditionnel des puissances occidentales

Les États-Unis et la France ont demandé à Israël, par les voix de Biden et Macron à la tribune des Nations unies, de cesser ses actions militaires au Liban. Mais le gouvernement israélien, s’il prévient ses soutiens occidentaux de ce qu’il va faire, ne leur demande pas un feu vert et passe outre leurs « exigences ». D’autant que les déclarations des puissances occidentales ne sont pas suivies de la seule chose qui pourrait contraindre les dirigeants israéliens à interrompre leur politique guerrière : l’arrêt de la livraison des armements, fournis essentiellement par les États-Unis, sans lesquels l’espace aérien israélien ne serait certainement pas inviolable et l’armée vite à court de ces bombes puissantes qui sèment la terreur à Gaza depuis un an et, désormais, le font aussi au Liban.

Israël a certes développé sa propre industrie d’armement, et celle-ci tourne à plein régime. Mais elle est incapable d’alimenter à elle seule les drones, les canons, les chars et les avions en bombes et missiles au niveau où ceux-ci sont consommés.

Netanyahou a donc passé outre les timides mises en garde de l’administration Biden, voire piétiné ouvertement les semblants de « lignes rouges » que cette dernière tentait mollement d’édifier. Biden alerte sur le risque d’une guerre de grande ampleur au Moyen-Orient ? Mais lui et sa vice-présidente Kamala Harris saluent l’assassinat du leader du Hezbollah Hassan Nasrallah comme une « mesure de justice ». Tout se passe comme s’ils remerciaient Netanyahou de leur avoir forcé la main… Macron joue sur un registre à peine différent. Poursuivant la politique de l’impérialisme français qui s’ingénie depuis 1860 à jouer les parrains de l’État libanais, il lance des appels solennels au cessez-le-feu… mais impute au Hezbollah la responsabilité de la situation.

Certes, Biden et plus encore Harris pèsent leurs déclarations au trébuchet avec en ligne de mire l’élection présidentielle du 5 novembre prochain. Il s’agit d’éviter de perdre des voix tant du côté des électeurs juifs majoritairement pro-israéliens, que de la fraction de la jeunesse et de la gauche des démocrates qui ont pris fait et cause contre le génocide des Palestiniens.

Mais l’embarras des puissances occidentales ne s’explique pas plus par ces considérations de politique intérieure que par le sort des peuples de la région, dont ils n’ont que faire. Ce sont les risques que la politique belliciste de Netanyahou fait courir dans la région qui les alarment. L’Iran, le Hezbollah peuvent être, à un moment donné, des adversaires pour Israël et les puissances occidentales. Mais leurs forces armées sont elles aussi garantes de l’ordre social. Les dirigeants israéliens peuvent penser que le traitement inhumain qu’ils ont imposé à la population de Gaza sert d’avertissement à tous les peuples de la région, mais il n’est pas du tout certain que cela prévienne les révoltes. D’ailleurs, en Iran, malgré la répression, la contestation qui couve reste perceptible dans les images de femmes sans voile marchant dans les rues de Téhéran. Ailleurs dans le monde, des régimes dictatoriaux ont été renversés par des soulèvements populaires, comme hier au Sri Lanka et aujourd’hui au Bangladesh. La force brute déployée par Netanyahou peut se révéler insuffisante face à la révolte populaire. Fondamentalement, c’est cette déstabilisation d’appareils d’État rodés à réprimer leurs propres peuples qui inquiète les dirigeants occidentaux.

L’extrême droite au pouvoir en Israël a, jusqu’à maintenant, réussi à les entraîner dans une fuite en avant qui ne les arrange pas forcément, mais qu’ils assument parce qu’ils n’ont pas le choix. Les visées expansionnistes de l’extrême droite israélienne et sa solution génocidaire de la question palestinienne pourraient bien déclencher en retour une réaction des peuples de la région inverse du sentiment de terreur recherché : une colère décuplée. Et c’est bien cela qui inquiète les puissances impérialistes occidentales.

Mathieu Parant

 

 

1 Voir l’article de Piera Rocco di Torrepadula, « Les liaisons dangereuses de l’industrie française de l’armement avec Israël », site de l’Observatoire des multinationales https://multinationales.org/, 20 mars 2024.

 

 


 

 

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