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Le syndicalisme de cogestion allemand à l’épreuve des attaques patronales

Des milliers de travailleurs manifestent lors de l’AG du groupe VW, le 4 septembre (Photo DPA)

Fort de millions d’adhérents et profondément intégré à l’appareil d’État et au fonctionnement des plus grandes entreprises, le syndicalisme allemand est un modèle de cogestion et de partenariat social. Pourtant, la fuite en avant de Volkswagen, annonçant de possibles fermetures sans passer par les négociations habituelles, et l’ampleur des attaques et suppressions de postes pourraient bien mettre les appareils syndicaux en difficulté, entre la colère d’en bas et le mépris d’en haut.

La première réaction syndicale face aux annonces de Volkswagen a été sur le mode combatif : menaces de grève et opposition à toute fermeture. A priori, toute fermeture de site de Volkswagen nécessite l’approbation syndicale, même si la « convention de groupe » est floue sur les fermetures. À une exception près : 35 ans après la réunification, l’accord collectif de groupe ne s’applique pas dans les deux usines de Dresde et de Zwickau en Allemagne de l’Est, où l’accord syndical n’est pas nécessaire. Au moins pour Dresde, la menace s’est confirmé le mardi 29 octobre, puisque la direction a donné la confirmation qu’il s’agissait d’un des sites menacés de fermeture.

Mais, après la première réaction, la direction d’IG Metall est rapidement revenue à son discours habituel. Dans les négociations, on marchande une augmentation de 7 % et une centaine d’euros de plus pour les apprentis – pas question de mobilisation face aux fermetures et licenciements, sujets qui fâchent. Et sur le temps de travail, le syndicat parle déjà de semaine de quatre jours – sans maintien du salaire bien sûr – pour éviter des licenciements, ce qui correspond aux souhaits patronaux de flexibilisation. La bureaucratie syndicale de Volkswagen met en cause les mauvaises décisions de la direction, car, comme le dit la présidente du Betriebsrat1 central (comité social et économique à l’allemande), Daniela Cavallo : « Sur l’analyse de la situation, il n’y a pas de différences entre la direction et les travailleurs2. Volkswagen va mal. » Et de s’empresser de donner de bons conseils : il faut revenir à la « pointe technologique », et il n’y aurait d’autres « variables pour réduire les coûts » que les licenciements. Un appel à la raison, « après des décennies de volonté de compromis de la part des salariés, […] du bon travail […] et de la participation active à la rentabilité du groupe ». Un autre syndicaliste haut placé d’Osnabrück – l’un des sites que la direction veut fermer – résume bien le rôle d’IG Metall : « Il s’agit aussi de ramener un peu de calme. Les collègues ne peuvent pas croire tout ce qui est envoyé sur des groupes WhatsApp. » Calmez-vous, on négocie ! On aura entendu déclaration de guerre plus féroce…

Ces premières prises de position avant la précision des attaques – notamment sur les sites visés – fin octobre, n’ont pas beaucoup évolué. Si quelques syndicalistes parlent timidement d’une « vraie » grève, illimitée, pour forcer la direction à reculer, les dirigeants gardent le cap des négociations, maintenant avec un contenu plus précis…

Et pourtant, ça bouge…

Il y a pourtant des luttes et des mobilisations. 16 000 salariés de Volkswagen ont manifesté le 4 septembre lors de l’assemblée générale du groupe à Wolfsburg, 10 000 autres attendaient bruyamment devant les portes du bâtiment – la direction s’attendant visiblement à une assemblée un peu moins… générale. Peu après, plus de 20 000 salariés du sous-traitant ZF Friedrichshafen ont manifesté dans une petite dizaine de villes allemandes. Dans la sidérurgie, des salariés de ThyssenKrupp ont manifesté à plusieurs reprises, dont des milliers devant le siège à Duisburg le 30 septembre dernier. Après l’avoir bloqué, ils se relaient maintenant pour une « veille » à chaque changement d’équipe et des débrayages camouflés en réunions d’information syndicales3 ont lieu régulièrement.

Il en faudra cependant bien plus face à ce rouleau compresseur, dont les dommages s’annoncent également sur le plan politique : quelques semaines après les victoires retentissantes de l’extrême-droite aux élections régionales, la reprise des discours protectionnistes des patrons comme des syndicats, et l’accompagnement fidèle de la casse sociale par la coalition gouvernementale fédérale de gauche, risquent de renforcer la montée de l’extrême droite et du nationalisme ambiant.

Mais rien n’est joué. Car si la bourgeoisie allemande détient avec la puissante bureaucratie syndicale un extincteur social à portée de main, la situation pourrait bien s’enflammer malgré tout. Le prolétariat industriel allemand, fort de ses plus de 5 millions de salariés – dont 2,14 millions organisés dans IG Metall –, concentrés dans des usines immenses, serait un combattant de taille s’il devait ne plus être bercé par les mythes du dialogue social entretenus par les directions syndicales.

Dima Rüger et Sabine Müller, 3 novembre 2024

 

 


 

 

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1  Les plus proches équivalents en France sont les anciens comités d’entreprise.

2  Le mot « travailleurs » n’a évidemment plus sa place dans le discours syndical. La citation originale parle de « Arbeitnehmerseite », littéralement « ceux qui prennent le travail », opposés à ceux qui… le donnent. Merci patron !

3  Comme ils ne sont pas en période officielle de négociation, ils n’ont pas le droit de faire grève. Les syndicats peuvent cependant organiser des réunions d’information sans durée limite ou presque. Dans les années 2000, certaines grèves contre des fermetures étaient donc légalement… des réunions d’information syndicales illimitées !