Nos vies valent plus que leurs profits

Plateforme 1 : Pour un monde sans frontières ni patrons, urgence révolution ! Construire le NPA-R comme outil pour un pôle des révolutionnaires — Texte 1 – International

A) Montée des tensions inter-impérialistes et soulèvements populaires

1. La réorganisation d’ampleur du capitalisme mondial donne lieu à une conflictualité croissante – commerciale, technologique mais aussi militaire – dans les relations inter-impérialistes. Génocide à Gaza, enclave ensevelie aujourd’hui sous les ruines. Menace d’un sort semblable pour la population libanaise, engendrée par la guerre sauvage de l’État sioniste israélien, soutenue inconditionnellement par ses alliés occidentaux. Guerre aussi en Ukraine, déclenchée par l’invasion du pays par l’armée de Poutine et dont le bilan humain et matériel est catastrophique. Sans oublier, parmi d’autres conflits qui ensanglantent la planète, la guerre qui plonge le Soudan dans le chaos, et a fait plus de 10 millions de déplacés dans le pays et près de 20 000 morts en un an. Partout, les budgets militaires augmentent et les accents nationalistes et « va-t-en-guerre » qui les accompagnent vont crescendo. Le spectre des deux guerres mondiales passées plane et la question est posée : l’impérialisme nous mène-t-il vers un nouveau conflit militaire généralisé ?

L’augmentation des tensions inter-impérialistes pour les marchés et les profits

2. La période suivant la fin de l’URSS, d’un impérialisme américain hégémonique, gendarme en chef de l’ordre capitaliste mondial pour mieux s’y tailler la part du lion, semble avoir pris fin. S’il reste de loin dominant – plus de 750 bases militaires dans au moins 80 pays, un dollar qui reste la monnaie de référence dans les échanges internationaux, des entreprises américaines qui gardent le leadership dans la plupart des secteurs –, l’impérialisme américain doit aujourd’hui faire face à « l’émergence » d’autres puissances capitalistes, à commencer par la Chine. Autant de puissances rivales qu’il tolère mal, même celles qui lui arrivent à la cheville. Tout en étant prêt à toutes les extrémités pour maintenir militairement une hégémonie qui tend à s’éroder sur le plan économique, l’impérialisme américain défend jalousement son statu quo mondial, ce qui paradoxalement donne l’illusion qu’il ne serait pas fauteur de guerre, contrairement aux régimes qui revendiquent une place plus importante dans le système impérialiste mondial, comme la Russie ou la Chine.

3. Intégrée à l’économie mondiale à partir des années 1970 comme sous-traitante de l’industrie occidentale, qui y a généré et continue à y générer d’immenses plus-values à travers la surexploitation de centaines de millions de prolétaires, la Chine a néanmoins réussi à devenir la deuxième économie mondiale en termes de PIB (qui a été multiplié par quarante depuis 1980). Le dirigisme économique étatique d’un Parti communiste qui n’a rien de communiste, dote la bourgeoisie chinoise d’un outil très affuté de défense de ses intérêts collectifs. Elle a accumulé son propre capital, par l’exploitation d’importantes richesses naturelles mais surtout d’un immense réservoir d’esclaves salariés. En 2023, parmi les 500 plus grosses entreprises mondiales, 142 étaient chinoises (136 américaines, dont beaucoup arrivant, certes, en tête). Excédents commerciaux, transferts technologiques, l’économie chinoise est montée en gamme : ses exportations ne concernent plus simplement des jouets, vêtements ou articles de voyage, mais davantage des téléphones, des véhicules automobiles, des machines et équipements électriques.

4. Cette évolution fait que les intérêts de la bourgeoisie chinoise, moins soumis aux investissements et aux décisions des multinationales occidentales, ne sont plus si concordants avec ceux des bourgeoisies occidentales. Ils sont même en concurrence directe, non seulement sur son marché intérieur, mais de plus en plus au niveau mondial. Le marché automobile est éclairant : en 2023, la Chine est à la fois le premier marché au monde avec 21,7 millions de voitures vendues, le premier producteur avec 30 millions d’automobiles assemblées et, enfin, le premier exportateur mondial. Ses entreprises ont le leadership technologique dans le véhicule électrique présenté comme l’avenir, grâce au contrôle intégral de la production : de l’extraction et du raffinage des matières premières clefs jusqu’aux usines d’assemblage en passant par les usines de batterie. Les accords entre groupes occidentaux et groupes chinois, comme entre Stellantis et Leapmotor, reviennent en boomerang à ceux conclus y a une vingtaine d’années : les constructeurs chinois sont à la conquête des marchés européens voire américains, qui tentent de se protéger par des barrières douanières.

5. Quels que soient ses discours sur le « Sud global » et la solidarité qui devrait lier ses États, l’État chinois, comme les autres puissances impérialistes, défend les intérêts politiques et économiques de sa bourgeoisie nationale, dans bien des domaines et sur l’arène internationale. Il développe aussi ses capacités militaires, année après année, en empiétant aujourd’hui sur des zones d’influence et des parts de marché dévolus aux impérialismes dominants du 20e siècle.

6. Les États-Unis, pour contenir le développement de ce nouveau rival, infléchissent sensiblement leur politique. Taxes douanières allant jusqu’à 100 % sur certains produits chinois, restrictions des exportations de puces les plus performantes, sanctions sur les entreprises chinoises comme Huawei : ces mesures cherchent à endiguer la concurrence du capitalisme chinois, en cherchant à lui couper l’accès aux technologies de pointe dans l’industrie des semi-conducteurs et en le privant d’une partie des débouchés du marché américain.

7. Cette guerre commerciale et technologique menée par les États-Unis n’a pourtant pas pour but de couper les liens avec la Chine dont l’industrie abreuve encore l’économie mondiale. L’interdépendance des économies chinoise et américaine reste aujourd’hui importante : la Chine demeure le deuxième détenteur de la dette américaine, les participations des capitalistes américains dans l’économie chinoise augmentent, les échanges commerciaux restent élevés, malgré une baisse ces deux dernières années (ils s’élèvent à 664,4 milliards de dollars de biens et services en 2023, sans compter les produits chinois qui passent par le Mexique pour contourner les droits de douane). La Chine en tant qu’atelier du monde est centrale dans les chaînes mondiales d’approvisionnement et reste pour les capitaux des multinationales une destination de choix du fait de sa main-d’œuvre qualifiée et d’infrastructures ultra développées. Par ailleurs, le marché intérieur chinois est devenu vital pour les profits de certains secteurs comme le luxe ou l’agroalimentaire… tandis que ses surcapacités industrielles rendent l’économie chinoise dépendante des débouchés commerciaux sur les marchés mondiaux.

8. Peut-on parler de « démondialisation » ou « découplage » entre toutes les économies à l’échelle mondiale ? Certainement pas, mais protectionnisme accru à coup sûr. Chaque État cherche à soutenir ses champions nationaux à coup de subventions massives ou de barrières commerciales, l’appropriation des profits restant privée ! Dans un contexte d’instabilité, la mondialisation se fragmente, des flux commerciaux et des investissements de capitaux tendent à se réorienter à l’instar de l’essor des échanges, notamment d’hydrocarbures, entre la Chine et la Russie. L’Inde, l’Indonésie et le Viêt-Nam commencent pour leur part à voir affluer certains capitaux occidentaux qui cherchent à réduire leur dépendance à la Chine.

9. Les reconfigurations des rapports inter-impérialistes touchent toutes les puissances, même celles dites secondaires. Les « vieilles » puissances européennes sont prises en étau entre l’agressivité commerciale de leur « partenaire » américain, qui se manifeste parfois à leur détriment, et l’essor de nouvelles puissances, dont la Chine. Les capitalistes d’Allemagne, première puissance économique de l’UE, sont ainsi impactés par la guerre en Ukraine et la politique des sanctions américaines, en termes notamment d’accès au gaz russe, alors qu’ils sont sérieusement concurrencés par l’industrie chinoise sur leurs marchés d’exportation. L’industrie « made in Germany » s’affaiblit, et bien sûr ce sont les travailleurs et les plus pauvres qui le paient : entre autres conséquences, par des licenciements massifs qui sont programmés chez Volkswagen ou Bosch, mais bien plus largement dans le pays.

10. À la suite des décolonisations, la France, qui a gardé des intérêts économiques et politiques en Afrique subsaharienne et au Sahel, subit le retour de bâton de dizaines d’années de pillage des richesses naturelles et de surexploitation des hommes, organisé avec l’appui de gouvernements locaux corrompus et dictatoriaux. Au Burkina, Mali, Niger, Sénégal, Gabon, des opposants aux régimes, souvent en treillis militaires, prennent le pouvoir en surfant sur les légitimes sentiments « anti-France » des populations. Ils remettent en question la tutelle de l’impérialisme français… pour négocier avec lui une plus grande part du gâteau ou pour se tourner vers un nouveau parrain. Car la Chine, la Russie, à la suite des États-Unis et d’autres, essaient d’étendre en Afrique leur propre zone d’influence.

11. C’est aussi à travers ses territoires d’outre-mer que l’impérialisme français continue à affirmer sa prétention à un rôle mondial. Perpétuant une domination héritée de la colonisation, il impose aux peuples vivant dans ces territoires une situation profondément inégalitaire, à tous les niveaux. Pauvreté et chômage y sont plus répandus que dans l’Hexagone, mais répression policière et lois d’exception aussi.

Mayotte :
l’impérialisme français a créé une frontière de plus en plus hermétique et meurtrière entre Mayotte et les habitants des autres îles des Comores, cherchant par là à susciter les divisions entre populations d’un même archipel. La brutale opération Wuambushu menée en 2023 pour détruire des bidonvilles et expulser à tour de bras, illustre toute la violence par laquelle le gouvernement français administre ces territoires. À noter un nouveau recul de la législation déjà d’exception à Mayotte, sur le droit du sol.

Kanaky : c’est avec la même violence que l’impérialisme français s’oppose à la décolonisation de la Kanaky, territoire d’outre-mer qui évoluait vers l’indépendance. En réaction à la mobilisation contre la brutale tentative de révision du corps électoral par le Parlement français en mai 2024 (visant à rendre les Kanak toujours plus minoritaires sur leur propre territoire), la répression a fait plus d’une dizaine de morts parmi les militants kanak. Sept d’entre eux, dont Christian Tein, le porte-parole du collectif qui a animé la lutte (la Cellule de coordination des actions de terrain, CCAT), sont aujourd’hui emprisonnés en France, à 17 000 kilomètres de chez eux. Devant la révolte du peuple kanak, qui n’a toujours pas désarmé, Macron et son Premier ministre Barnier ont dû reculer, du moins remballer le projet de loi constitutionnelle réformant le code électoral.

Martinique : le mouvement contre la vie chère, annoncé en juillet 2024 et démarré le 1er septembre, se poursuit. Il s’inscrit dans le cadre de profondes inégalités économiques qui ont déjà déclenché des révoltes majeures, dont la grève générale de plusieurs semaines de Guadeloupe en 2009, contre la « pwofitasyon ». Le mouvement actuel en Martinique se dresse contre un surcoût de la vie d’au moins 40 % par rapport à l’Hexagone. Ces inégalités prennent un caractère non seulement lié à l’exploitation capitaliste, mais aussi à la réalité coloniale. Et en Martinique aussi, ce sont les forces de répression de l’État français qui défendent les privilèges des nantis, en ciblant tout particulièrement les leaders de la contestation. Au moment où nous écrivons, Rodrigue Petitot, porte-parole du RPPRAC (Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens), a été arrêté et incarcéré.

Par notre expression politique et notre participation aux manifestations, nous dénonçons cette perpétuation de l’oppression coloniale par notre propre impérialisme, dans ces prétendues « collectivités territoriales ».

Vers une nouvelle guerre mondiale ?

12. En tant que marxistes révolutionnaires, nous savons que le capitalisme porte en lui la guerre, notamment à son stade impérialiste. Marx a souligné combien la force était un agent économique du capitalisme. L‘exacerbation de la conflictualité entre les différentes puissances impérialistes se traduit par des tentatives de repartage du monde, par des changements de rapports de force commerciaux qui peuvent basculer vers des affrontements armés. La reconfiguration des rapports de force qui se joue depuis plus d’une dizaine d’années, marquée par une conflictualité accrue, y compris militaire, n’exprime pas aujourd’hui une volonté programmée des bourgeoisies mondiales d’entrer en guerre à un terme et selon des camps définis. Les États-Unis et leurs alliés de l’Otan ne s’affrontent pas directement à la Russie sur le sol ukrainien ; les États-Unis et la Chine non plus, autour de Taïwan. Mais il ne faudrait pas prendre à la légère l’augmentation sensible et mondiale des budgets militaires – au détriment des budgets sociaux – et les tentatives d’embrigadement nationaliste. Plus les tensions s’accroissent, plus les budgets militaires augmentent, et plus les risques d’un dérapage généralisé sont grands. Chaque puissance impérialiste, dont la France, cherche aujourd’hui à moderniser son armée, au plus grand bénéfice de ses marchands d’armes dont les profits sont florissants. Cela rappelle combien les complexes militaro-industriels sont les poumons de rechange d’économies capitalistes essoufflées. Et bien sûr, le boom du marché de l’armement veut dire aussi que ces armes peuvent servir. Pour quelles guerres ?

13. Mettre excessivement l’accent sur le danger, réel, de guerres interétatiques à venir, dites de « haute intensité » dans le jargon militaire, entre puissances impérialistes expose au risque de minimiser les guerres de classe et guerres contre les peuples qu’elles mènent aujourd’hui sous nos yeux, parfois conjointement. Au risque de minimiser aussi les complicités entre protagonistes impérialistes s’affichant dans des blocs opposés mais cherchant par la permanence d’accords et accointances à maintenir avant tout l’ordre social capitaliste, au prix d’une exploitation et oppression accrues des travailleurs et des peuples, et tout particulièrement d’un creusement terrible des inégalités sociales dans le monde. Celles-ci sont croissantes et donnent lieu depuis des années à d’importantes révoltes et mobilisations sociales, contre lesquelles les puissances impérialistes fourbissent leurs armes politiques et aussi et surtout répressives – contingents policiers et militaires de plus en plus nombreux et surarmés.

C’est de l’enfer des pauvres – et de la planète – qu’est fait le paradis des riches

14. D’après le classement 2024 du magazine Forbes, il n’y a jamais eu autant de milliardaires sur la planète qu’en 2024 (ils sont 2 781) et ils n’ont jamais été aussi riches (ils totalisent un magot de 14 200 milliards de dollars). Vieux lions de l’industrie ou du luxe, jeunes loups de la tech, quelle que soit leur nationalité, ces fortunes s’abreuvent à la même source de l’exploitation capitaliste. Les dividendes versés aux actionnaires ont battu un nouveau record en 2023, notamment grâce à l’arme de l’inflation. Le développement du secteur des technologies de l’information et de la communication a créé de nouveaux mastodontes dont les capitalisations équivalent chacune au PIB de la France. Du haut de leurs fortunes et de leurs empires médiatiques, les plus grands patrons s’affichent. Ici, Bolloré promeut ses idées réactionnaires. Là, l’homme le plus riche du monde, Elon Musk, réactionnaire XXL, s’est jeté dans la bataille des présidentielles américaines pour soutenir son ami milliardaire Trump.

15. Cette accumulation de richesses dans les mains d’un nombre infime de milliardaires se fait sur le dos des travailleurs et a pour contrepartie directe la précarisation des conditions de vie et de travail pour l’immense majorité de la population mondiale. Sans compter celles et ceux qui sont en proie aux oppressions, désastres écologiques et guerres alimentées par le capitalisme. Durant les quarante ans écoulés de développement capitaliste effréné de la Chine, de nombreux travailleurs ruraux ou du secteur informel ont été intégrés (de la manière la plus brutale et barbare) à la grande industrie. Ces travailleurs sont devenus des salariés, ont rejoint par dizaines de millions les rangs de la classe ouvrière et ses luttes. Partout, les profits des grandes entreprises sont nourris par les politiques de casse sociale et d’aggravation de l’exploitation menées par les gouvernements à leur service, à l’instar du recul, en France comme en Chine et dans bien d’autres pays, de l’âge de départ à la retraite. Les salaires réels, de leur côté, sont partout ou presque rongés par l’inflation. « Réservée » ces dernières décennies aux pays les plus pauvres, celle-ci est devenue mondiale. Dans certains pays, comme en Argentine ou au Venezuela, l’inflation démesurée a des conséquences sociales dramatiques et fait basculer des parties entières de la population dans la pauvreté, ce qui alimente les terreaux favorables aux démagogues d’extrême droite.

16. Par son exploitation sans limites des humains comme de la nature, le capitalisme menace aussi de transformer notre planète en enfer. + 3,1 °C (selon le rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement d’octobre 2024) : c’est la trajectoire la plus probable vers laquelle nous mène sa recherche insatiable de profit, son productivisme, forcené et anarchique. Dès aujourd’hui, face à l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des désastres liés au changement climatique, ce sont les populations les plus pauvres qui sont frappées de plein fouet. Les récents et tragiques événements de Valence, en Espagne (qui s’ajoutent à des catastrophes plus terribles encore dans des pays comme le Bangladesh), montrent combien ces drames ne sont pas « naturels » mais sociaux et politiques : le capitalisme tue en masse. À Valence, la colère et la conscience des responsabilités du patronat et des autorités étatiques explosent en manifestations qui montrent la voie.

17. Alors que les possibilités technologiques n’ont jamais été autant à même de satisfaire les besoins de l’humanité et que les moyens de communication modernes tendent à abolir les distances, le rôle réactionnaire et barbare du capitalisme n’en est que plus manifeste. Ce système est totalement défaillant à assurer le bien-être voire la survie des milliards d’habitants de la planète. L’urgence est bien à la révolution mondiale pour retirer le pouvoir des mains de la poignée d’exploiteurs qui mènent l’humanité dans le mur.

B) Ukraine, deux ans et demi de guerre et reconfiguration des rapports de force

18. La guerre, dont l’Ukraine est le terrain depuis deux ans et demi à la suite de l’invasion du pays par la Russie de Poutine en février 2022, présente un bilan extrêmement lourd pour les classes populaires du pays (des dizaines de milliers de morts et blessés militaires et civils et des difficultés de plus en plus grandes à recruter pour le front, accompagnées de scènes de violence pour y parvenir, des millions de déplacés et exilés, des infrastructures vitales et habitations détruites, voire des villes rasées, et 20 % du territoire occupé par l’armée russe). Elle offre le spectacle de ce que les tensions et rivalités inter-impérialistes peuvent engendrer : un basculement de rivalités commerciales ou « géopolitiques » en conflit armé. S’il nous semble du devoir de révolutionnaires prolétariens d’exiger que les troupes de l’impérialisme russe quittent le sol de l’Ukraine, au nom du droit du peuple ukrainien à décider de son sort, il nous semble tout aussi important de dénoncer les responsabilités de l’impérialisme américain qui a saisi l’occasion de donner une nouvelle vie à l’alliance militaire de l’Otan, prétendument en « défense de l’Ukraine ». Derrière Biden, se sont ainsi ligués Scholz et Macron, pour fournir dollars et joujoux de guerre (à rembourser par les classes populaires) au gouvernement de Zelensky, en défense non pas de la population ukrainienne dont le territoire est de plus en plus profondément dévasté et occupé, mais en apport aux profits et marchés des multinationales américaines du gaz, du nucléaire et surtout de l’armement.

19. L’aide occidentale pilotée par Biden a été conséquente (en vente d’armes et profits) mais mesurée politiquement. Les prétendues « lignes rouges » que s’étaient initialement fixées les puissances occidentales en livraison de chars et d’avions ont été franchies : des conseillers militaires occidentaux sont présents sur le sol ukrainien tandis que des militaires ukrainiens ont été formés en Grande-Bretagne ou en France. Mais si Biden vient d’autoriser l’Ukraine à utiliser les missiles à longue portée capables de frapper la Russie en profondeur, les États-Unis campent sur le refus que les troupes occidentales affrontent directement les troupes russes.

Sur le terrain ne s’entretuent « que » les forces armées de l’impérialisme russe et celles de l’État capitaliste ukrainien. Parmi les derniers épisodes, l’invasion par l’Ukraine de la région russe de Koursk avec l’occupation de 70 bourgades et l’évacuation de 130 000 personnes, semble surtout un coup de bluff de Zelensky pour faire diversion à l’avancée russe dans le Donbass, une diversion que seules les populations russe et ukrainienne des deux côtés de la frontière payent au prix fort. D’un autre côté, l’arrivée en Russie de quelques milliers de soldats nord-coréens illustre surtout que Poutine considère la Corée du Nord comme un réservoir de mercenaires.

20. Cette guerre peut encore durer ou devenir un de ces « conflits gelés » que connaît la planète. Depuis quelques mois, les États-Unis mettent un frein à leur soutien militaro-financier à l’Ukraine. Certaines sphères de la bourgeoisie américaine souhaiteraient un cessez-le-feu entre les parties, sur la base du rapport de force sur le terrain, dans une certaine mesure au profit de Poutine (ce qui ne veut pas dire au détriment des États-Unis). La démagogie électorale de Trump a inclus la promesse de marchander la fin de la guerre dès son arrivée en fonction. Rappelons que si les États-Unis et la Russie sont concurrents pour se partager des richesses de la planète et que ces rivalités inter-impérialistes-là, ou d’autres, pourraient exploser en un conflit mondial, l’impérialisme américain continue à considérer le régime de Poutine comme un pilier de l’ordre impérialiste. C’est certainement Trump qui exprime de la façon la plus décomplexée ce que pourraient devenir les visées américaines en la matière : celles d’un impérialisme qui après avoir profité de la guerre menée par Poutine pour réinvestir économiquement, politiquement et militairement le continent européen, tout particulièrement sa zone orientale, pourrait reprendre des relations officielles avec la Russie. Accord sur le dos des classes populaires ukrainiennes, qui pourrait piétiner aussi tout ou partie des intérêts de Zelensky et des capitalistes qu’il représente, voire bon nombre d’intérêts économiques et politiques des alliés de l’Otan, allemands au premier chef. Car l’Otan est certainement une alliance, mais entre brigands qui se font une dure concurrence.

21. Confrontée à cette situation où l’impérialisme américain, prédominant, réussit à tirer profits de l’annexion guerrière d’un morceau de l’Ukraine par Poutine, l’extrême gauche et lagauche radicale internationale ont réagi diversement. Une partie a soutenu quasi-inconditionnellement Zelensky et l’appui militaire que lui ont apporté les puissances de l’Otan, laissant entendre que la lutte de classe pouvait être renvoyée après une « libération » du pays. Une autre partie a été tentée par le « campisme », à savoir le choix du camp opposé à l’impérialisme américain. Ce qui se traduit de différentes façons : refus de considérer le régime russe installé sur les ruines de l’ex-URSS comme impérialiste, refus d’exiger que les troupes russes quittent l’Ukraine, appels à la « paix » comme si les belligérants russes et ukrainiens, sur le terrain, étaient en position symétrique. Cette tentation campiste, qu’on peut comprendre sans la partager, prend ses racines dans les crimes commis depuis des décennies par les impérialismes occidentaux dominants. Nous disons sans hésiter « Hors de tous les continents, les troupes de l’Otan, dont les troupes françaises ! » La liberté pour le peuple ukrainien ne peut pas être le remplacement d’un oppresseur impérialiste par un autre.

22. Mais les révolutionnaires n’en doivent pourtant pas moins dénoncer l’impérialisme russe, certes de second rang, mais qui sévit contre les travailleurs et les peuples à commencer par ceux qu’il domine directement dans une vaste zone. Depuis presque 25 ans qu’il est au pouvoir, Poutine a apporté un soutien indéfectible aux dictateurs aux prises avec des révoltes populaires : en Syrie, en Ukraine, en Biélorussie, au Kazakhstan ou en Afrique. Sa dictature est de plus en plus coûteuse et répressive pour les classes populaires russes elles-mêmes ; Poutine a mené une guerre coloniale en Tchétchénie et c’est une traque mortelle qu’il livre aux opposants à sa politique, dont plus d’un million ont pris les routes de l’exil. Il tente de se faire le champion de l’anti-impérialisme (lui qui défend les intérêts de capitalistes richissimes) en se prévalant entre autres du soutien des Brics (alliance entre Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) dont il a organisé une réunion élargie à une trentaine de pays en Russie même, à Kazan. Pied de nez certain aux États-Unis et à leurs alliés de l’Otan, mais certainement pas coup fatal contre eux. Le Monopoly impérialiste mondial est aujourd’hui un billard à trop de bandes pour que le mouvement ouvrier révolutionnaire puisse se satisfaire d’aucun « campisme », séparant deux camps conjoncturellement opposés du même impérialisme mondial. Le seul « campisme » qui vaille est celui posé par Marx, entre « bourgeois et prolétaires ». Il reste à le faire vivre par nos efforts militants de construction d’un pôle révolutionnaire international. Oui, urgence révolution, urgence à dégager une voie commune d’indépendance de classe pour les travailleurs et les populations paupérisées de la planète.

23. Bien sûr, en France, dans nos meetings et campagnes électorales, nous avons dénoncé le soutien hypocrite ou très intéressé (par les ventes d’armes) de Macron à Zelensky, et continuons à le faire. Nous dénonçons la façon dont la guerre en Ukraine a été la justification de l’augmentation du budget militaire, c’est-à-dire du magot que peuvent empocher les marchands de canons français qui arrivent désormais au deuxième rang des exportateurs mondiaux (et Barnier ne compte pas réduire leur position). Nous dénonçons aussi l’occasion qu’a saisie Macron de sonner du clairon nationaliste et de mettre en chantier un SNU (service national universel), nouvelle mouture de service militaire pour tenter d’embrigader la jeunesse. Au-delà de nos propres interventions, nous avons fait la proposition d’un meeting des révolutionnaires, le 1er mai dernier, contre la guerre et la montée du militarisme, qui est restée malheureusement sans réponse. La difficulté à mobiliser contre la guerre de Poutine et la façon dont les puissances impérialistes occidentales l’exploitent, vient aussi des pressions exercées par la bourgeoisie française : une partie de la droite et l’extrême droite sont de façon honteuse du côté de Poutine ; les partis rassemblés dans le Nouveau Front populaire (NFP) se divisent, socialistes et Verts sont à la traîne de l’impérialisme américain tandis que PCF et LFI défendent un pacifisme abstrait. Une politique d’indépendance de classe et des discussions pour la définir entre révolutionnaires de différents pays, dont d’Ukraine et de Russie, seraient de la plus haute importance. Quelques avancées dans ce sens existent, auxquelles nous travaillons, mais bien maigres.

C) La guerre d’Israël contre Gaza et le Liban, les grandes puissances complices

24. À l’heure où nous écrivons, il est impossible de dire jusqu’où ira l’escalade guerrière d’Israël au Moyen-Orient. Malgré les multiples voyages du secrétaire d’État américain pour tenter de mettre sur pied les conditions d’un cessez-le-feu en s’appuyant sur leurs autres alliés dans la région, malgré les remontrances verbales de Macron à propos de la guerre au Liban, les grandes puissances occidentales, en pompiers pyromanes, sont bien incapables de limiter un incendie déclenché par Israël : Gaza rasée et 43 000 morts, le Liban bombardé et des milliers de personnes sur les routes de l’exode, et la poursuite d’affrontement à coups de missiles avec l’Iran.

Pyromanes et complices, les grandes puissances occidentales le sont depuis le début

25. La politique expansionniste de Netanyahou affichée depuis des années, de réaliser le « Grand Israël » de la mer au Jourdain en expulsant les Palestiniens, avait eu l’encouragement de Trump, symbolisé par l’installation, en 2018, de l’ambassade américaine à Jérusalem. Un soutien sur lequel son successeur Biden s’était bien gardé de revenir, tout en disant qu’il n’en aurait pas fait le choix. Netanyahou avait le feu vert des États-Unis. Le raid criminel du 7 octobre mené par le Hamas, pour se poser en héros du peuple palestinien sur lequel il exerce sa dictature à Gaza, lui en a fourni le prétexte.

26. Depuis le déclenchement de la guerre menée par Israël à Gaza, prolongée par une campagne de nouvelles colonisations en Cisjordanie, suivie fin septembre 2024 par l’invasion du Liban et les menaces à l’encontre de l’Iran, Israël a eu, étape après étape, l’assentiment des États-Unis et des autres grandes puissances, dont la France. En même temps, l’escalade guerrière d’Israël a suscité chez celles-ci des appels à la modération par crainte de voir déstabilisé, une fois de plus, un Moyen-Orient source de tant de richesses pétrolières et voies commerciales.

L’ordre impérialiste avant tout

27. Ensanglanter le Moyen-Orient, les puissances occidentales, États-Unis en tête, ne s’en sont jamais privées. Après avoir encouragé la guerre Iran-Irak (1980-1988, près d’un million de morts) pour affaiblir le nouveau régime iranien, les États-Unis ont envoyé leurs propres troupes dans la région. Avec la fin de l’URSS, ils ont jugé que leur heure était venue de pouvoir régenter le monde sans partage. Au bilan : deux guerres en Irak, dont la seconde a engendré plus de chaos que d’ordre, au point que les États-Unis ont fini par confier le pouvoir aux dirigeants chiites, en composant pour cela avec le régime iranien qui passait pour être leur grand ennemi dans la région ; puis vingt ans de guerre en Afghanistan pour combattre les talibans, avant de les remettre finalement au pouvoir en se retirant du pays.

28. Leur intervention militaire dans la guerre de Syrie n’a été, elle, que ponctuelle, se terminant par leur ralliement et celui de leurs alliés (dont la France) à la politique de sauvetage du régime de Bachar al-Assad, sous l’égide de la Russie de Poutine et de l’Iran, avec l’aide militaire des troupes du Hezbollah libanais, faute d’avoir pu trouver une dictature de rechange à celle d’al–Assad. Cette politique des États-Unis en Syrie, comme leur politique en Égypte en 2011 où ils avaient prôné le partage du pouvoir entre l’armée et les Frères musulmans pour enrayer la révolte qui avait renversé la dictature de Moubarak (avant que le maréchal Sissi ne se débarrasse des Frères malgré les conseils américains), sont caractéristiques d’une chose : les grandes puissances occidentales au Moyen-Orient ne craignent pas tant les mouvements islamiques (Hamas, Hezbollah, Houthis) ou des dictatures aux intérêts en partie rivaux des leurs (Iran), que les peuples de la région s’ils revendiquent leur liberté et leur dû. Au-delà même des concurrences, l’ordre contre les peuples avant tout.

Israël, un gendarme de l’impérialisme

29. Au-delà des raisons de politique intérieure, le soutien indéfectible des grandes puissances à Israël a une raison fondamentale : petit pays riche au milieu d’un Moyen-Orient de misère, il joue un rôle de police dans la région. Israël est le seul État gendarme dont l’impérialisme occidental ne peut pas craindre le retournement. Mais pas le seul gendarme dans la région, loin s’en faut. Tous les efforts de la diplomatie américaine de ces dernières années ont été d’amener les régimes dictatoriaux des pays arabes qui leur sont liés à abandonner leur solidarité de façade avec le peuple palestinien pour nouer des relations diplomatiques et commerciales avantageuses avec l’ami israélien. Une diplomatie que l’aventurisme de Netanyahou met quelque peu à mal.

30. L’insistance de la diplomatie américaine et de ses alliés occidentaux à réclamer l’ouverture de Gaza à une aide humanitaire, même extrêmement insuffisante, cherche à maintenir ces deux millions de pauvres dans le ghetto où ils sont enfermés depuis des dizaines d’années.

31. La guerre menée au Liban serait plus conforme à la politique américaine qui a classé le Hezbollah au registre des « organisations terroristes ». Moins à celle de la France dont les hommes d’affaires ont gardé bien des intérêts au Liban (ancien protectorat colonial français) et qui voit dans le Hezbollah un parti de gouvernement comme les autres – dont Macron a tenu à rencontrer les dirigeants à Beyrouth. Un parti d’extrême droite religieux, né en 1982 au lendemain de la guerre civile libanaise dans les régions pauvres du pays, qui a aujourd’hui, outre son armée, ses hommes d’affaires, ses ministres et a participé, comme les autres, à la répression du mouvement social qui a ébranlé le Liban de 2019.

Rivalités mais solidarités de classe

32. Les peuples victimes de cette guerre n’ont aucun allié ni du côté des gouvernants qui, comme ceux de l’Iran ou de la Syrie sont en rivalité avec les États-Unis, ni du côté de ces mouvements nationalistes religieux comme le Hamas ou le Hezbollah, partis bourgeois et réactionnaires pour qui les peuples ne sont que chair à canon pour accroître leur influence et leur pouvoir dictatorial. Il y a quelques décennies, la cause palestinienne avait un écho dans tout le Moyen-Orient, et même en Afrique du Nord, quand elle semblait représenter le prolongement des révoltes coloniales. Cette solidarité avait pu lui donner sa force, indépendamment même des directions nationalistes du mouvement qui ne cherchaient d’alliance qu’auprès des gouvernements voisins. Aujourd’hui cette solidarité semble avoir de la peine à s’exprimer, si ce n’est en Jordanie où la communauté émigrée palestinienne est nombreuse, et où le roi s’est empressé de réprimer toute manifestation.

33. Reste cette poudrière sociale qui s’est manifestée à plusieurs reprises au Moyen-Orient ces dernières années (dont le profond mouvement de révolte sociale en Iran, toujours latent malgré la répression), surtout depuis les printemps arabes de 2011. C’est l’éruption d’une révolte contagieuse dans ces différents pays, à l’encontre des massacres en Palestine et au Liban, qui pourrait apporter un soutien réel aux peuples palestinien et libanais. Et pourquoi pas, bien que nous en soyons malheureusement encore loin, une opposition enfin en Israël contre cette guerre génocidaire qui dure depuis plus d’un an.

34. C’est aussi pour cela, à la fois pour faire pression sur les gouvernants qui soutiennent la politique belliciste d’Israël, mais aussi pour renforcer autant que nous le pouvons tous ceux qui là-bas sont révoltés, que nous nous devons de manifester ici notre solidarité avec les Palestiniens et les Libanais écrasés par la guerre. C’est ce que notre parti s’est donné comme priorité depuis un an, au fil des manifestations de soutien aux Palestiniens et au peuple libanais désormais.

35. En France, ce mouvement de solidarité, bien qu’il soit resté numériquement limité, marque la situation politique par sa durée et la politisation qu’il suscite, notamment dans la jeunesse. Nous sommes aujourd’hui une composante reconnue et identifiée de cette mobilisation dans plusieurs villes, par notre participation quasi-hebdomadaire à des manifestations – que notre intervention, y compris sur le terrain juridique pour imposer leur autorisation en octobre 2023, a aidé à exister. Depuis un an, nous avons impulsé un collectif dit « Inter-orga Palestine », acquis au renforcement de cette mobilisation sur une base de classe, sans nous aligner derrière la perspective nationaliste de la seule « résistance » palestinienne : pour l’arrêt immédiat des bombardements et contre la politique colonialiste et ségrégationniste de l’État d’Israël soutenue par les grandes puissances impérialistes, tout en dénonçant les perspectives obscurantistes et réactionnaires du Hamas et du Hezbollah libanais. Dans le cadre de ce mouvement, nous avons été de celles et ceux qui sont intervenus contre la répression de l’État mais aussi contre les campagnes du pouvoir et de ses soutiens, amalgamant la solidarité avec le peuple palestinien à de l’antisémitisme. Nous avons cherché à porter la discussion dans les syndicats et plus largement sur les lieux de travail, entre autres par l’initiative de « Soignant.es pour Gaza ».

D) La montée de l’extrême droite dans le monde

36. Dans ce contexte de crise exacerbée du système capitaliste, les bourgeoisies concurrentes à l’échelle internationale combattent les travailleurs et les peuples avec le même arsenal politique d’armes de division massive, afin de continuer à tirer le maximum de profits de l’exploitation de la classe ouvrière. Ces armes sont entre autres l’autoritarisme, le racisme, la xénophobie et le nationalisme. D’où la montée partout dans le monde d’une extrême droite, plus ou moins nostalgique du fascisme des années 1930, dont les cadres mettent systématiquement en avant une propagande raciste, réactionnaire et autoritaire. Elle remporte des succès électoraux spectaculaires, jusqu’à accéder au pouvoir dans de nombreux pays de la planète, seule ou grâce à des alliances ponctuelles ou durables avec d’autres partis bourgeois (Argentine, Italie, Inde, Autriche, Pays-Bas entre autres). Les succès électoraux des démagogues d’extrême droite se couplent avec une accentuation de l’offensive politique et culturelle contre les LGBTI (lesbiennes, gays, bis, trans, intersexes) et contre les femmes, au nom des valeurs traditionnelles de la famille et de la patrie. Mais aussi contre les migrants, bien sûr, leur cible à tous, parce qu’au travers des migrants ils ciblent tous les travailleurs.

37. Le retour de Trump au pouvoir s’inscrit dans ce cadre, après l’intermède d’un mandat du Parti démocrate qui a écœuré une bonne partie de ceux qui avaient voté pour lui en 2020, mettant alors en échec la candidature Trump au terme de son premier mandat. Désillusions notamment dans la classe ouvrière dont la situation n’a cessé de s’aggraver. Si bien que le Parti démocrate perd cette année dix millions de voix par rapport à l’élection de 2020, ce qui exprime davantage la déconsidération envers les démocrates qu’un progrès en soi des idées portées par Trump. Victoire cependant du fric et de la réaction. Aux côtés du milliardaire Trump s’affiche le patron le plus riche de l’Amérique, Elon Musk, promis au poste de ministre « de l’efficacité gouvernementale » : productivité et profits avant tout. Et toutes les idées les plus réactionnaires sont au programme : mépris des droits des femmes, renforcement de la chasse aux immigrés, renforcement du protectionnisme économique (annonce de pressions accrues sur la classe ouvrière américaine). Et si Trump a promis dans sa campagne une paix en Ukraine marchandée avec Poutine sur le dos des peuples, son élection est d’ores et déjà un encouragement à la politique génocidaire et aux surenchères guerrières de Netanyahou.

Il reste à voir ce que seront les réactions des classes populaires face aux nouvelles attaques en préparation, en particulier celles de la classe ouvrière dont les mouvements de grève se sont multipliés ces dernières années ; à voir aussi les réactions d’une fraction de la jeunesse, politisée, comme partout ailleurs dans le monde, par la situation internationale.

38. Tout particulièrement dans les pays les plus riches de la planète, l’extrême droite fait son beurre grâce à l’épouvantail de l’immigration, qui masque aux yeux des classes populaires paupérisées et inquiètes les responsabilités des capitalistes et de leur système d’exploitation. La chasse aux migrants est menée par tous les gouvernements en place, d’extrême droite, de droite, de gauche ou de coalition, à tel point qu’en Europe par exemple, la Manche et la Méditerranée sont devenues des cimetières. Dans l’Union européenne, la chasse est organisée et financée de concert pour retenir les migrants en dehors des frontières d’une UE qui se barricade, dans des camps en Tunisie, Libye ou Turquie. Dans bien d’autres pays comme l’Inde ou la Birmanie, la chasse aux migrants tourne souvent aux massacres encouragés voire orchestrés par les États.

39. Les révolutionnaires doivent évidemment prendre la tête de la lutte contre l’emprise idéologique de l’extrême droite en mettant en avant les revendications d’ouverture des frontières, de liberté de circulation, d’abrogation de toutes les lois racistes, de défense des droits acquis par les femmes et les LGBTI, mais aussi la dénonciation du patriarcat et du racisme systémique.

40. Pour en finir avec l’extrême droite à l’échelle internationale et toutes les politiques de droite comme de gauche qui lui pavent la voie, ce ne sont pas des appels à des fronts électoraux « républicains » ni même de « gauche » qui seront opérants. La solution à ce problème, à la fois nationale et internationale, est liée à la nécessaire résurgence et réorganisation d’un mouvement ouvrier révolutionnaire, international et internationaliste.

E) Working class is back ?

41. Nous écrivions fin 2022 dans le texte de la Plateforme C au 5e congrès du NPA :

« La régression mondialisée provoque des révoltes populaires et l’émergence de contestations prolétariennes. Dans le même temps, le prolétariat réagit, avec des vagues inédites de contestations sociales de grande échelle. D’abord en 2011, nous avons assisté à des processus révolutionnaires sans précédent – depuis des décennies – au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Mais l’absence de directions révolutionnaires a fait basculer ce « printemps arabe » en hiver, vers des contre-révolutions ou en tout cas des régimes autoritaires. Pourtant, moins de dix ans après, en 2019, nous avons connu un regain de contestations de masse, là aussi touchant les zones urbaines, cette fois partout dans le monde : au Soudan, en Algérie, en Haïti, à Hong-Kong, au Honduras, au Kazakhstan, à Porto Rico, au Liban, au Chili, en Irak, en Colombie, au Sri- Lanka, et une montée des grèves en Iran suivie de l’explosion des manifestations contre le régime aujourd’hui […] Les sentiments de révolte contre l’explosion des inégalités (au niveau mondial comme au sein des pays impérialistes) se propagent, et le discrédit des partis politiques, y compris dits « de gauche » (voir l’usure rapide du néo-réformisme au Chili), comme des appareils syndicaux traditionnels, s’accélère. D’un côté, cette situation renforce une extrême droite multiforme mais bien présente sur toute la planète. De l’autre, ces facteurs objectifs pourraient converger et déboucher sur de véritables révolutions sociales. Ce qui rend indispensable le renforcement du facteur « subjectif », par la construction de directions, de partis révolutionnaires capables de comprendre, de se lier et d’intervenir dans ces contestations politiques et sociales, avec l’objectif de transformer les révoltes en révolutions sociales qui ne renversent pas seulement un dictateur ou un régime, mais mettent fin à la dictature du capital et établissent une situation de double-pouvoir débouchant sur un gouvernement des travailleurs et des travailleuses. »

42. Ces lignes sont toujours d’actualité : la situation reste marquée par une polarisation sociale et politique entre une extrême droite qui se renforce et l’existence de contestations sociales et politiques, parfois d’ampleur, à l’instar du mouvement « Femmes, vie, liberté » en Iran. Quand elle est revenue aux affaires, que ce soit en Espagne, au Chili, en Angleterre ou au Brésil, la gauche n’a en rien répondu aux aspirations populaires et s’est comportée en gérante loyale du capitalisme, ce qui a accéléré son discrédit. Fait notable : dans un contexte inflationniste, nous assistons au retour de grèves massives dans les pays industrialisés, comme au Royaume-Uni, aux États-Unis ou en Allemagne : « La force des travailleurs, c’est la grève »… plus que jamais ! Ces grèves peuvent arracher des revendications immédiates à l’instar des augmentations de salaire obtenues dans le secteur automobile aux États-Unis et pourraient encourager un regain de l’organisation collective, dans la classe ouvrière – elles se traduisent déjà par le renforcement et le rajeunissement d’une gauche syndicale. Néanmoins, cantonnées par les appareils syndicaux à un strict plan économique, elles n’ont pas contrecarré jusqu’à présent la montée des idées réactionnaires – sur le plan idéologique et politique. Pour que ces grèves et mobilisations échappent aux impasses syndicales ou « réformistes », se transforment en contestation politique et incursion des travailleurs dans le domaine de la propriété privée capitaliste, pour imposer leur propre loi et propre pouvoir, le besoin d’une politique révolutionnaire (direction et partis révolutionnaires) est urgent.

F) Notre construction de liens internationaux

Un pôle des révolutionnaires à l’échelle internationale

43. Le système capitaliste auquel nous faisons face, et le pouvoir de la classe dominante, sont par nature internationaux. Notre classe aussi. La prise du pouvoir, la construction du communisme, et plus largement la lutte de classe se mèneront à l’échelle internationale. La tâche de construction d’un parti mondial, d’une Internationale, en parallèle de la construction d’un parti dans les frontières nationales imposées, constitue logiquement un des piliers de notre orientation et de notre pratique quotidienne. Nous sommes conscients du fossé qui sépare la situation actuelle de cet objectif. L’émiettement des forces des révolutionnaires à l’échelle nationale comme internationale creuse d’autant ce fossé.

44. Nous mettons l’accent sur les pas possibles en direction de la construction de partis révolutionnaires en France comme au niveau mondial. Nous mettons en avant l’orientation vers un pôle des révolutionnaires comme une étape vers cet objectif. Dans ce sens, nous participons ou nous prenons des initiatives pour nouer des relations avec des organisations, des militants révolutionnaires à l’échelle internationale, sans sectarisme. Nous ne cherchons pas à proclamer une énième Internationale dont nous penserions être l’élément central. Nous sommes ouverts aux discussions avec les courants et organisations dont les positions et les pratiques peuvent nourrir notre compréhension des situations, et qui sollicitent comme nous des échanges. Nous ne souhaitons pas opérer de rapprochements sur la base de seuls textes. Les références programmatiques doivent être éclairées par les pratiques militantes et organisationnelles, mises à l’épreuve des implantations et interventions dans la classe ouvrière, et aussi la jeunesse. Nous cherchons à développer une vision commune de la situation et des tâches par ce contact entre les idées révolutionnaires et leur mise en œuvre.

Notre expérience récente en France depuis l’explosion du NPA à son 5e congrès nous incite à penser la construction d’organisations révolutionnaires au travers de processus de fusions et recompositions, à l’échelle nationale mais aussi internationale, qui au vu de l’urgence du contexte général devraient s’accélérer.

Nos rencontres d’été révolutionnaires (RER) sous le signe de l’internationalisme

45. Nos RER sont une illustration de notre conception de ces liens internationaux et de nos efforts pour les construire. À l’été 2024, pour la deuxième année, s’y sont retrouvés des militants d’organisations invitées – Ligue pour la 5e Internationale, Opposition trotskiste internationale (dont le Parti communiste des travailleurs d’Italie), Socialist Alternative d’Australie, Lutte ouvrière, Lotta comunista ; des organisations proches du NPA-R – Izar (Gauche anticapitaliste révolutionnaire d’Espagne), OKDE Spartakos (Organisation communiste internationaliste Spartakos de Grèce), RSO (Organisation socialiste révolutionnaire d’Allemagne et Autriche), SON (Speak out Now, États Unis) ; et des organisations internationales dont des militants sont organisés au sein du NPA-R – Socialisme ou barbarie et la Ligue internationale socialiste. Encore une fois, la distance politique qui peut exister entre différents groupes n’empêche pas des échanges et collaborations nécessaires à tous.

L’expérience de la conférence de Milan

46. C’est en appliquant cette méthode que nous avons participé aux deux premières conférences de Milan, dont l’initiative a été prise par l’organisation Lotta Comunista. Cette organisation a pris la bonne initiative de proposer à toutes les forces révolutionnaires qui le souhaitaient de discuter des moyens de s’opposer aux risques de guerre impérialiste et a réuni à l’été 2023 un nombre significatif d’organisations révolutionnaires, dont un bon nombre d’organisations trotskistes. Nous avons de francs désaccords, mais aussi des points d’accord importants, avec cette organisation révolutionnaire italienne. De tels points d’accord ont permis l’organisation commune d’une manifestation et d’un meeting qui a regroupé plus de 800 personnes à Paris en mars 2024, contre l’Europe forteresse et pour la liberté de circulation. La prochaine (et troisième) « conférence de Milan » se tiendra au printemps 2025 à Paris, et nous en sommes coorganisateurs.

Vers un camp international commun entre organisations aux liens préexistants

47. Depuis plusieurs années, les courants l’Étincelle et A&R du NPA-R avaient noué des liens étroits avec des organisations à l’international : Speak Out Now des USA et le RSO d’Allemagne pour l’Étincelle, Izar de l’État espagnol et l’OKDE-Spartakos de Grèce pour A&R. Les liens tissés entre ces organisations sont issus des parcours respectifs de ces deux courants. Le processus de fusion dans lequel nous sommes engagés en France, entre l’Étincelle et A&R (courants révolutionnaires issus de l’ancien NPA), et des camarades non liés à un courant, nous convainc de la faisabilité et du besoin de prolonger un tel processus à l’échelle internationale. Les étapes sont à fixer mais la participation à nos rencontres d’été révolutionnaires et la réunion internationale qui s’est tenue dans ce cadre ont permis de donner corps à cette perspective. Nous nous fixons l’objectif de coorganiser, l’été prochain, un camp international permettant les échanges entre militants, et pas seulement entre directions. Ce premier camp international organisé par le NPA-R, Izar, OKDE-Spartakos, SON et RSO se tiendra dans l’État espagnol début août. Il sera l’occasion d’approfondir la connaissance de nos organisations respectives et les discussions programmatiques.

 

 


 

 

Textes des plateformes