L’attentat de Pahalgam le 22 avril au Cachemire, région administrée par l’Inde a provoqué un regain de tension avec le Pakistan. En touchant cette région à fort potentiel touristique, le groupe terroriste Résistance au Cachemire a fait 26 morts civiles en majorité indiennes et frappé un grand coup. Sans surprise, l’Inde accuse le Pakistan d’être l’instigateur et le protecteur du groupe terroriste et a suspendu le traité de 1960 sur la gestion commune des eaux du fleuve Indus, bloquant l’accès à cette ressource vitale pour près de 268 millions d’habitants. Les deux puissances nucléaires se sont affrontées dans le passé dans trois guerres : en 1947, entraînant 12 millions de déplacés et plus de trois millions de victimes, puis en 1965 et 1971. Les risques d’une nouvelle guerre ne peuvent être sous-estimés.
Le dernier cadeau empoisonné de la couronne britannique : une violente partition
L’impérialisme britannique a régné sur le sous-continent indien par la violence, en montant les communautés les unes contre les autres. En 1947, face au soulèvement des populations, il organise la partition entre l’Inde, à majorité hindoue, et le Pakistan, à majorité musulmane. Le Cachemire est depuis une région sous administration indienne, à majorité musulmane, qui cristallise les tensions entre l’Inde et le Pakistan. Les volontés d’auto-détermination de cette province de presque 4 millions d’habitants, et le fait qu’elle occupe un espace stratégique sur le plan économique, produisent un mélange explosif de tensions nationalistes.
Les révolutionnaires dans cette tourmente
Nous présentons une interview de membres de la direction de l’organisation La Lutte, du Pakistan. Cette organisation trotskiste, liée à la Ligue Internationale socialiste, est implantée depuis plusieurs décennies avec quelques milliers de militants, intervenant dans des conditions hostiles sur les lieux de travail, d’études, les quartiers et en organisant les femmes des milieux populaires à la base dans une société qui leur laisse très peu de place.
Entretien avec Imram Kamyama, de la direction de La Lutte, section pakistanaise de la Ligue internationale socialiste1.

Nous avons gardé le style oral lors de la transcription, raccourci les répétitions et ajouté quelques notes.
Question 1. Les tensions entre l’Inde et le Pakistan ne sont pas nouvelles. La fin du traité sur les eaux de l’Indus – contrôlées en amont par New Delhi – indique néanmoins un niveau de danger très élevé. Tout comme les premiers échanges de tirs du 24 avril. Comment évaluez-vous les risques d’une quatrième guerre entre les deux pays ?
Des tensions issues de la domination coloniale
Fondamentalement, nous devons opposer à ce discours d’État notre discours de classe, notre discours socialiste et présenter la solution à tous ces problèmes brûlants. L’histoire moderne du sous-continent indien commence en 1947 avec la partition entre l’Inde et le Pakistan sur des bases religieuses. Au cours des événements de 1947, au moins 2,7 millions de personnes ont péri d’une manière ou d’une autre, d’innombrables atrocités sexuelles ont été commises et une frénésie de haine et d’effusion de sang s’est emparée de toute la région. Mais, pour être très précis, c’est l’impérialisme britannique qui a orchestré cette scission. Ce sont eux qui, après leur arrivée dans le sous-continent indo-pakistanais, ont introduit la catégorie de la religion dans le recensement effectué dans les années 1870. Dès le premier jour, ils ont donc utilisé cette politique de diviser pour régner, en semant les graines de la division religieuse au sein de la population locale, en utilisant principalement le conflit hindou-musulman. Cette politique a finalement abouti à ce qui s’est passé en 1947, avec la création de deux États, l’Inde et le Pakistan, ce dernier ayant deux parties, une orientale et l’autre occidentale, qui sont devenues plus tard, en 1971, le Bangladesh et le Pakistan actuel. Mais ce qu’il faut retenir, c’est qu’en quittant l’Inde, l’ancienne puissance coloniale britannique s’est assuré une fois de plus que les habitants du sous-continent resteraient divisés selon des critères religieux et qu’ils pourraient poursuivre sous une autre forme leur domination impérialiste : le Pakistan étant un État islamique théocratique et l’Inde un État à majorité hindoue, mais comptant également une importante minorité musulmane. Mais ces deux États n’étaient pas de nouvelles formations, ils étaient essentiellement la continuation de l’État colonial que les Britanniques avaient établi dans cette partie du monde selon leurs plans de pillage et d’oppression, comme ils l’ont fait en prélevant plus ou moins 50 000 milliards de dollars22 dans cette partie du monde en l’espace d’environ 150 ans et en les transférant en Grande-Bretagne. Toute cette richesse, cet argent et ces ressources ont été cruciaux pour les révolutions industrielles en Grande-Bretagne et ailleurs, comme c’est le cas en Afrique, en Amérique latine et dans toutes les colonies des puissances impérialistes occidentales, et c’est également le cas en Inde. En ce qui concerne la guerre, il y a eu trois guerres majeures entre ces deux États, en 1947, en 1965 et 1971. Et il y a eu de nombreux conflits d’importance, y compris la guerre de Kargil, la « guerre des glaciers » en 1999. Mais depuis que ces États ont acquis des capacités nucléaires – le Pakistan a fait exploser son premier engin nucléaire en 1998, l’Inde dans les années 1970 parce qu’elle devait aussi rivaliser avec la Chine – , au cours des dernières décennies, la peur que la guerre échappe à tout contrôle et détruise tout dans cette partie du monde, y compris les milliers de milliards de dollars d’investissements impérialistes occidentaux, il y a une sorte de règle simple qui est que ces États ne peuvent pas se lancer dans une guerre à grande échelle. Mais ils sont en mesure de le faire. Ainsi, les bourgeoisies des deux pays utilisent cette rivalité, chaque fois que des crises sociales internes s’intensifient dans ces États, ou qu’il y a une résistance à leur domination, au pillage et à l’exploitation par les classes dirigeantes. Ce qu’ils font habituellement, c’est qu’ils ont recours à l’hystérie guerrière et créent une situation de guerre pour détourner l’attention des masses des deux côtés de la ligne Durand3 ou de cette frontière artificielle créée par les Britanniques en 1947.
Le facteur de l’eau
À propos de la question concernant le traité sur l’eau de l’Indus. Il a été mis en place comme si ces États avaient conclu un accord avec la médiation de la Banque mondiale dans les années 1960, mais il s’agit toujours d’une menace très creuse de la part de l’Inde et elle ne peut pas annuler ce traité unilatéralement. En réponse, le Pakistan dit qu’il annulera le traité sur la ligne de contrôle, la frontière temporaire au Cachemire entre l’Inde et le Pakistan, et les dirigeants du Pakistan disent aussi qu’ils annuleront la convention de Shimla4. Il n’est donc pas si facile pour l’Inde d’arrêter l’écoulement de l’eau vers le Pakistan ; ce dernier a menacé que si le blocage était effectif, ce serait considéré comme un acte de guerre.
Une hystérie nationaliste pour masquer la lutte des classes
Il y a actuellement une hystérie guerrière : toutes les chaînes de télévision des deux côtés s’envoient du poison nationaliste, l’une contre l’autre et attisent les flammes de la haine religieuse, ce dont le BJP le parti d’extrême droite de Modi au pouvoir a particulièrement besoin en Inde, parce que sa popularité est en baisse et qu’il y a des élections à venir dans un État important appelé le Bihar. Il est très probable, qu’après un certain temps, toute la situation se calmera, il y aura une désescalade. Mais les deux bourgeoisies ne peuvent maintenir la paix, une paix durable, et elles ne peuvent pas se lancer dans une guerre à grande échelle. C’est comme une règle générale, mais il peut y avoir des exceptions, comme je l’ai souligné plus haut. Les classes dirigeantes de l’Inde et du Pakistan ont fait de la suppression de la lutte des classes un pilier essentiel de leur pouvoir dans ces pays, afin de détourner l’attention du peuple et de trouver des moyens d’opprimer davantage les classes laborieuses de ces deux pays où, comme au Pakistan, 60 % de la population souffre d’insécurité alimentaire et où 700 millions de personnes comptent parmi les plus pauvres du monde, avec des inégalités qui augmentent d’année en année. Ainsi, sans ce dispositif nationaliste et ce fondamentalisme religieux, ils ne peuvent pas gouverner ces populations, ces classes laborieuses. C’est une fois de plus l’expression de l’échec du capitalisme dans cette partie du monde où la bourgeoisie n’a pas pu accomplir une seule des tâches historiques qu’il a fondamentalement accomplies en Europe, y compris les vestiges féodaux par l’établissement d’un État laïque, une démocratie bourgeoise relativement stable, une industrialisation, etc. C’est donc un échec total du capitalisme. Cela montre sur un autre plan que tous les discours sur « l’Inde montante » , « l’Inde brillante » et le progrès et le développement avec Modi – Premier ministre d’extrême droite en place depuis 2014 – sont des outrances, tout ça est creux. La situation réelle de l’Inde et les conditions de la majorité des masses indiennes sont très différentes de ce qui est dépeint dans les médias.
Le péril nucléaire
Pour poursuivre, même s’il y a une certaine compréhension des deux côtés des dangers immenses, et même si la possibilité d’une guerre totale est infime, ce scénario serait horrible, car les deux États sont armés d’armes nucléaires. S’il y a une guerre, le Pakistan a pour doctrine d’utiliser les armes nucléaires en premier, même si l’Inde ne les utilise pas, tout comme Israël frappe en premier dès lors que le gouvernement identifie une « crise existentielle ». Dans ce cas, c’est un scénario horrible et la dévastation qui en résulterait serait d’une ampleur que nous ne pouvons pas imaginer aujourd’hui, c’est pourquoi, chaque fois qu’ils commencent à franchir cette ligne, ils ouvrent d’abord eux-mêmes des canaux de négociation secrets. Ils sont parvenus jusqu’ici à un accord sur la manière dont ils vont gérer toutes ces crises tout en affirmant devant leur population qu’ils ont supporté cette situation et que leur ennemi a reculé. De même les impérialistes interviennent généralement, y compris la Chine ou la Russie, les États-Unis et récemment l’Arabie et les États du Golfe. Les Iraniens ont même proposé leur médiation pour tenter d’amener les deux parties à la table des négociations. Dans une telle situation, ces pourparlers de paix commencent une fois de plus comme des pourparlers pour le plaisir de parler, puis la situation se calme dans une certaine mesure et après quelques années, toute cette affaire éclate une fois de plus.
Les fragilités internes de l’Inde et du Pakistan
Il en va de même pour les insurrections en Inde. Il faut avoir à l’esprit qu’il y a eu au moins 17 ou 18 insurrections séparatistes en Inde depuis 1947. Il y a tout un « corridor rouge » qui est dirigé par des groupes maoïstes5 ; l’Inde prétend que ces groupes reçoivent le soutien de la Chine contre l’État indien. La question nationale et sociale est donc brûlante dans toute l’Inde mais aussi au Pakistan. Au Pakistan, comme dans le cas de l’insurrection séparatiste indienne, il existe des sentiments d’oppression et de privation des droits nationaux. Et ce que vous pouvez appeler les sentiments contre l’État et le centre dans toutes les nationalités, et c’est le cas dans les deux pays. C’est un autre échec du capitalisme qui n’a pas pu créer un État-nation unifié en Inde et au Pakistan. Il n’a pas pu ou n’a pas su donner les mêmes droits et la même prospérité à toutes les nationalités de ces pays. Ainsi, tous ces États, que ce soit la Chine, l’Inde ou les États-Unis, exploitent ces sentiments nationaux et utilisent des éléments de ces mouvements nationaux les uns contre les autres. C’est le cas au Cachemire, il y a eu un soulèvement au Cachemire contre l’occupation indienne dans les années 1980, mais il s’agissait d’un mouvement authentique et c’est toujours le cas. Soyons clairs : tous ces mouvements, les mouvements nationaux d’émancipation nationale, sont des mouvements authentiques. Nous les soutenons. Nous nous opposons à toute forme d’oppression étatique. Nous reconnaissons le droit des nations à l’autodétermination. Mais ce qui se passe, c’est que le Pakistan soutient certains de ces mouvements en Inde pour faire chanter l’Inde et vice versa. L’État pakistanais a donc commencé à envoyer des groupes djihadistes au Cachemire et tout ce mouvement politique s’est transformé en une insurrection islamiste armée. La suite de l’histoire est la suivante : des milliers et des dizaines de milliers de personnes ont été tuées dans le Cachemire occupé par l’Inde. Elles ont été enlevées. Il y a eu des disparitions forcées, comme c’est le cas actuellement au Baloutchistan. Il s’agit là du principal aspect de l’intervention des puissances impérialistes. Elles mènent leurs guerres par procuration et luttent pour leur domination en manipulant ces mouvements nationaux et même les différentes factions au sein de l’État. C’est là une autre source de chaos et de désordre dans ces pays qui n’ont pas réussi à briser les chaînes de l’impérialisme. Et toujours, comme je l’ai dit, le caractère des classes dirigeantes, qui est fondamentalement ce que Trotski appelait les classes dirigeantes compradores : au sein d’États néocoloniaux ces bourgeoisies sont sans autonomie face à l’impérialisme.
Question 2. Dans le contexte actuel de montée des rivalités inter-impérialistes – que nous aborderons ensemble à la conférence de Paris – on ne peut s’empêcher de faire le lien avec les tensions actuelles entre le Pakistan et l’Inde. Pouvez-vous nous donner votre interprétation de ces rivalités pour le sous-continent indien ?
Le jeu des puissances régionales
J’en viens à la deuxième question, les rivalités inter-impérialistes dans le contexte du sous-continent indo-pakistanais ou de l’Asie du Sud ou de l’Inde ou du Pakistan, peu importe comment vous l’appelez. C’est une question très intructive. Pendant la guerre froide, l’Inde était dans le camp soviétique et le Pakistan était initialement le principal acteur de l’impérialisme occidental, de l’impérialisme américain dans cette partie du monde. En fait, c’est l’une des raisons pour lesquelles le Pakistan a été créé pour servir d’État religieux théocratique afin de contrer la menace de la « propagation du communisme » dans cette partie du monde, pour agir également comme une zone tampon. Le Pakistan était donc partie prenante de ces traités appelés Ceto et Cento [signés dans les années 1950 entre l’Irak, la Turquie, l’Iran et le Pakistan pour créer une zone d’endiguement de l’influence soviétique], et il était l’un des principaux bénéficiaires des armes, de l’aide et du soutien politique des États-Unis, tandis que l’Inde était dans le camp de l’URSS, en particulier sous Nehru, dans le cadre du modèle dit « socialiste » qui était fondamentalement un modèle capitaliste d’État. Mais au cours des années 1960, le Pakistan a élaboré une politique visant à faire chanter l’impérialisme américain en se rapprochant de la Chine. La Chine et l’Inde ont donc connu ces conflits frontaliers très rapidement et se sont toutes deux considérées chacune comme une grande puissance régionale. Elles étaient donc dans une guerre larvée l’une contre l’autre. Ainsi, lorsque les États-Unis ne leur apportaient pas le soutien financier ou militaire qu’ils demandaient, conformément à leurs attentes, ils se tournaient généralement vers la Chine et disaient : « Regardez, nous nous rapprochons maintenant de la Chine. » Cette politique se poursuit encore aujourd’hui. Ceci est très révélateur. Ainsi, après la chute de l’URSS et au cours des dernières années, l’Inde s’est rapprochée de l’impérialisme américain, qui la soutient en tant que contrepoids à la Chine dans la région et dans le monde, tandis que le Pakistan continue de jouer entre deux puissances. Bien que la principale dépendance financière du Pakistan soit manifestement liée à l’impérialisme américain, ces dernières années, avec l’arrivée de l’Inde, le Pakistan s’est encore plus rapproché de la Chine. Mais ces dernières années, avec le retrait de l’impérialisme américain de la région, le Pakistan a attiré beaucoup d’investissements chinois, d’aide chinoise et d’armes chinoises. Il fabrique des avions de chasse très avancés et d’autres armes avec le soutien de la Chine, notamment le JF-17 Thunder, un type d’avion de chasse relativement moderne. D’autres projets sont prévus dans les années à venir.
D’accord, la suite de la deuxième série de questions. Dans la situation actuelle, cette partie du monde est le théâtre de guerres par procuration ou de conflits entre les puissances impérialistes. Ces dernières années, nous avons constaté qu’au Baloutchistan, l’impérialisme américain s’est opposé aux investissements chinois et que les Chinois continuent d’investir dans le port de Gwadar. Il existe donc des groupes de libération au Baloutchistan qui reçoivent des fonds pour contrer l’influence chinoise de l’Inde et de l’impérialisme américain. Il s’agit donc d’un autre aspect du conflit dans cette partie du monde. Ensuite, il y a eu les groupes mandataires saoudiens et iraniens dans cette partie du monde, les groupes mandataires sunnites et chiites qui continuent, même si ce n’est pas le cas aujourd’hui à tuer des gens, à mener ces actes de terrorisme contre les populations comme les groupes sunnites qui tuaient les chiites au Baloutchistan, en particulier la communauté Hazara, et les groupes chiites qui ripostaient ensuite. Dans une certaine mesure, cette pratique se poursuit encore aujourd’hui, de sorte qu’il existe également un aspect de la guerre par procuration entre l’Arabie saoudite et l’Iran au Pakistan.
Question 3. Comment abordez-vous la question du Cachemire, actuellement sous domination indienne, avec les travailleurs pakistanais ? La confrontation avec le nationalisme pakistanais sera une tâche difficile dans la période à venir, tout comme la formulation d’une politique internationaliste pour l’unité de la classe ouvrière.
Lier un programme socialiste et question nationale pour aboutir à son dépassement
D’accord, pour en venir à la question numéro trois, je dirais précisément que le nationalisme pakistanais est déjà en crise. Comme je vous l’ai dit, même au Pendjab, qui est considéré comme une nationalité dominante au Pakistan, le sentiment nationaliste pakistanais est en train de mourir. L’État pakistanais souffre d’une grave crise idéologique. Il ne trouve aucune excuse idéologique ou politique pour gouverner ce pays et pour justifier l’existence de l’État. Il y a de nombreuses raisons à cela, mais il s’agit de la crise générale du capitalisme pakistanais et aussi de l’oppression continue dans la région pachtoune et dans la région baloutche. Et maintenant, après le mouvement contestataire en ascension au Cachemire – le Cachemire occupé par les Pakistanais – ils répriment ce mouvement. Le nationalisme pakistanais est donc lui-même en crise et les gens, au moins les couches avancées des masses laborieuses d’autres nationalités, soutiennent le récent mouvement au Cachemire occupé par le Pakistan, qui a au moins gagné dans ses phases initiales : le peuple travailleur par la lutte a gagné le droit à une électricité et à une farine de blé abordables. Le fait décisif est que notre position de classe au Pakistan, en Inde ou, d’ailleurs, dans toute l’Asie du Sud et dans le monde, est une position internationale. Tout d’abord, nous défendons le droit à l’autodétermination pour toutes les nations et nous n’imposons pas artificiellement la question de classe à la question nationale, mais nous les lions d’une manière marxiste et dialectique et nous expliquons aux gens que, d’accord, nous soutenons ce droit de séparation de l’État capitaliste et que nous soutenons les revendications nationales, mais nous considérons que cette séparation n’est pas l’émancipation nationale. Nous lions donc l’ensemble de notre programme de classe au programme d’émancipation nationale, car sans une telle politique marxiste au sens léniniste sur la question nationale, il est impossible de construire un parti révolutionnaire ou un parti socialiste marxiste dans cette partie du monde. Nous avons donc beaucoup écrit, nous avons beaucoup expliqué dans le passé, dans le passé récent, que nous essayons de relier les questions de classe immédiates aux sentiments généraux d’oppression nationale et de privation nationale. Et nous présentons essentiellement un programme socialiste pour l’émancipation des classes, selon lequel nous ne voulons pas créer de nouvelles frontières, mais nous voulons éliminer les frontières existantes et nous voulons fusionner ces nations. Nous voulons rassembler les aspirations des travailleurs de ces nationalités et nous voulons former un front uni contre l’impérialisme, contre le capitalisme, contre l’oppression nationale sur la base d’un programme socialiste. C’est ainsi que nous abordons la situation au Cachemire, au Baloutchistan ou dans ces cas en Inde où il y a des sentiments d’oppression nationale et où les gens veulent se séparer de l’État indien. Tel est donc notre programme qui est international. Bien sûr, certaines choses sont en partie abstraites et doivent être examinées concrètement sur le terrain, mais c’est le principe de base sur lequel nous construisons l’organisation révolutionnaire et internationale.
Question 4. Pouvez-vous expliquer aux lecteurs de Révolutionnaires les difficultés auxquelles vos militants sont confrontés ? Sentez-vous une puissante vague d’unité nationale ?
Des vagues réactionnaires décalées au Pakistan et en Inde
J’en viens à la quatrième question, si je ne me trompe pas : sentez-vous une puissante vague d’unité nationale ? Je crois que cette question a été posée dans le contexte de cette situation chaleureuse et belliqueuse. La réponse est donc très simple : non. Parce qu’au Pakistan, les classes dirigeantes ont joué cette carte encore et encore : dès qu’il y a une dissension interne et dès qu’il y a une résistance interne, elles commencent à battre le tambour de la guerre avec l’Inde. Au cours des dernières années, les gens n’ont pas pris cette affaire au sérieux. Ces derniers jours, les médias sociaux ont été inondés de mèmes amusants de la part de gens ordinaires, de jeunes, qui se moquent de toute cette hystérie guerrière et de cette propagande de guerre, et les gens créent des mèmes très amusants concernant le traité sur l’eau de l’Indus. On voit donc ces images dirent à l’Inde : « Ouvrez notre eau, s’il vous plaît. » C’est une façon amusante de protester contre cette situation. Les gens savent qu’il y a très peu de chances que ces États se lancent dans une guerre totale. La situation en Inde est quelque peu différente parce qu’au Pakistan, ce qui s’est passé sous la dictature de Zia-ul-Haq [1979-1988], c’est la mise en place d’une dictature islamiste draconienne soutenue par l’impérialisme américain. Mais ce que vous pouvez appeler l’islamisation du Pakistan, avec ses groupes fondamentalistes, ses mollahs et cette rhétorique conservatrice, cela a été imposé à la société, mais elle a plus ou moins perdu sa capacité à contrôler le peuple bien que cela ne signifie pas qu’elle ait disparu et que le peuple travailleur ait totalement compris toute cette intrigue des classes dirigeantes. Mais elle a perdu beaucoup de son effet, de son influence. En revanche en Inde, avec un décalage ce qui s’est passé au Pakistan dans les années 1980 se passe actuellement en Inde sous Modi. Ce projet d’Hindutva, ce renouveau nationaliste hindou, est fondamentalement la réplique de l’islamisation du Pakistan par Zia-ul-Haq. Il s’agit d’un projet visant à transformer l’État en un régime autoritaire qui opprime les minorités et promeut l’idéologie fondamentaliste hindoue Hindutva. Or historiquement, l’Inde est un État laïc de par sa constitution. Les choses sont donc quelque peu différentes en Inde pour le moment, avec cette hystérie guerrière ou cette montée du fondamentalisme hindou. Le nationalisme hindou est une sorte de peur en miroir en Inde par rapport aux sentiments nationaux ou religieux au Pakistan. Mais il y a toujours les mêmes voix qui s’interrogent sur ce qui s’est passé au Cachemire ce jour-là lors du dernier attentat, comment cela a été possible avec la présence d’un million de soldats et que vous ne pouvez pas aller dans un magasin après avoir quitté votre maison sans être fouillé au moins deux fois au poste de contrôle. Les gens s’interrogent : pourquoi, comment ? qu’est-ce qui s’est passé ? Des voix s’élèvent, mais dans les jours à venir, bien sûr, les gens se rendront compte, même en Inde, et ils s’en rendent compte déjà d’ailleurs. Mais les gens se rendront compte de plus en plus dans les jours à venir que tout ce projet de Modi le Premier ministre indien est fondamentalement un projet visant à augmenter le taux de profit des capitalistes indiens, à réprimer et à opprimer de plus en plus les gens, à transférer de plus en plus de richesses des gens ordinaires vers les classes dirigeantes, à intensifier l’exploitation capitaliste et que c’est l’essence de tout ce projet nationaliste hindou. Mais pour combattre ces sentiments nationalistes, en particulier au Pakistan avec notre programme de classe, nous parlons de la hausse des prix, de l’inflation, du chômage, de la privatisation, des autres classes, des questions de genre, nous parlons de la réalité de cette oppression nationale. C’est ainsi que nous controns toute cette idéologie des classes dirigeantes avec notre programme de classe, notre propagande, notre journal, notre site web6, nos médias sociaux, nos réunions, nos séminaires et nous présentons une alternative, un programme alternatif et une vision alternative du monde, une vision alternative de l’avenir, c’est ainsi que nous essayons de le faire. Nous essayons de contrer la propagande de l’État et la propagande officielle.
Question 5. Comment envisagez-vous une campagne publique, sur les lieux de travail, les quartiers, les lieux d’études, contre cette barbarie, compte tenu de toutes les contraintes imposées par le gouvernement pakistanais ?
Pour en venir à la cinquième question, il est vrai que l’oppression de l’État s’est intensifiée ces dernières années. Il est de plus en plus difficile de dire quoi que ce soit qui contredise le discours de l’État ou qui proteste contre les politiques des classes dirigeantes, mais nous devons manœuvrer à travers toutes ces restrictions. Tout d’abord, nous essayons de mettre en évidence les questions de classe, les questions que j’ai mentionnées précédemment et, tout en parlant de ces questions de classe, nous soulevons d’autres questions concernant les restrictions à la liberté d’expression, les disparitions forcées et l’oppression de l’État sous d’autres formes. C’est ce qui nous différencie des libéraux ou peut-être des réformistes de gauche : nous pensons que toute cette oppression n’est pas faite pour le plaisir d’opprimer, qu’ils ne le font pas parce qu’ils aiment ça, mais que le but ultime de toute cette oppression, de ces restrictions et des autres formes d’atrocités de l’État est de sauvegarder l’ordre de l’exploitation de classe. Nous commençons donc tout notre programme par les problèmes de classe, la solution à ces problèmes et l’agitation contre ces problèmes, puis nous passons à d’autres points plus avancés de la situation, y compris la classe, y compris l’oppression nationale, y compris l’assaut fondamentaliste qui est fondamentalement soutenu par l’État pakistanais, tout comme en Inde les groupes fondamentalistes sont fondamentalement soutenus par l’État indien ; sans le soutien de l’État ou des classes dirigeantes, ils ne peuvent pas exister longtemps. C’est ainsi que nous commençons, mais aussi, comme je l’ai mentionné plus tôt, nous menons la lutte contre cette exploitation de classe et nous la combinons avec l’oppression de genre, l’exploitation de genre et les mouvements nationaux de libération nationale et d’émancipation nationale. C’est donc une sorte d’art et de technique de s’exprimer dans un contexte de censure sévère, mais cela ne garantit pas que nous soyons épargnés et nous ne le sommes généralement pas. Il y a eu des cas où des camarades du Cachemire ont été impliqués dans des affaires policières très sérieuses avec des allégations de blasphème qui est en fait une condamnation à mort au Pakistan et nous avons mené toute une campagne mondiale à travers nos camarades de la Ligue internationale socialiste dans le monde entier contre cette oppression ; ils sont toujours confrontés, l’un d’entre eux est toujours confronté à ces affaires et il a de nouveau été arrêté il y a quelques semaines avant notre 42e congrès. Alors il n’y a pas de garantie mais c’est ainsi que nous luttons et comme je l’ai dit au congrès : « Nous ne vendons pas de crème glacée. » Nous ne devons pas leur faciliter la tâche et sévir contre nous, mais cela ne signifie pas qu’une fois que nous sommes attaqués, nous devrions fuir ou reculer, bien sûr, nous devons nous battre. Pour cela nous utilisons les moyens légaux ainsi que les moyens politiques et dans les jours à venir nous allons lancer un front d’avocats, une organisation d’avocats socialistes dont l’objectif est de sauvegarder l’organisation contre la répression de l’État. Les affaires policières sont traitées comme des allégations sérieuses afin que nous puissions mener la bataille juridique de manière efficace, c’est donc la réalité de cette partie de notre lutte révolutionnaire ici, car vous pouvez être arrêtés, vous pouvez disparaître de force, vous pouvez être tués. Alors bien sûr, nous faisons une révolution, c’est donc une partie du paquet cadeau.
Question 6. Votre 42e congrès a établi un certain nombre de décisions et de perspectives. Pouvez-vous nous présenter vos domaines d’intervention et vos tâches pour la période d’instabilité qui s’annonce ?
OK, tout d’abord, pour la dernière question, oui, je demanderais aux camarades de lire ce rapport très court et précis sur le 42e congrès7. Il y a eu quatre sessions, l’une sur les perspectives mondiales, l’autre sur le Pakistan, l’autre sur les Afghans et l’histoire de la guerre et de la révolution afghanes, et enfin sur la construction de l’organisation. Nous nous efforçons de sauvegarder les droits des travailleurs contre la privatisation, la réduction des effectifs, la lutte contre le licenciement et d’autres problèmes de classe immédiats, en particulier dans le secteur public. Nous avons ensuite notre front de la jeunesse, qui est essentiellement un front étudiant, le RSF (Front révolutionnaire des étudiants), grâce auquel nous essayons d’intervenir dans les universités et les lycées. L’éducation est un budget très faible par rapport au budget militaire et aux autres dépenses de fonctionnement de l’État. Ces deux demandes sont donc nos fronts fondamentaux à travers lesquels nous intervenons auprès des travailleurs et des jeunes non seulement au Pakistan mais aussi dans d’autres parties de cette région et aussi au niveau international à travers la LIS. De même sur les points d’organisation dans les différentes régions qui sont dysfonctionnelles, nous devons recruter plus de camarades, nous devons former nos membres et fondamentalement, nous essayerons de tout consolider, y compris les finances, les branches, les organes fédéraux de l’organisation, les organes de coordinations locales de l’organisation, y compris les branches locales que vous pouvez appeler cellules. Jammu Kashmir National Student Federation est une organisation étudiante large que nous animons au Cachemire et qui a une audience importante. Nous allons essayer d’organiser au moins deux écoles de formation nationales, l’une en été, l’autre en hiver. L’année suivante, il y a des élections législatives au Cachemire et nous lançons notre propre parti qui s’appelle RSF (Front révolutionnaire du peuple). Nous avons besoin de beaucoup d’argent et de beaucoup de gens pour intervenir dans ces élections et les utiliser pour la propagande révolutionnaire, ce qui est une tactique bolchevique classique. Il y a donc de nombreux fronts et dans les jours à venir, nous devons rétablir de nombreuses régions et de nombreuses villes dans lesquelles l’organisation est minimale ou pratiquement inexistante. Nous devrons donc rétablir nos organisations dans ces villes, y compris dans la très importante ville de Karachi, mais il y a aussi d’autres villes où nous devrons aller, où nous devrons rester à partir du centre, à partir d’autres régions, et où les permanents devront passer un certain temps pour établir les racines et la base de l’organisation. C’est plus facile en Europe ou dans n’importe quelle autre partie du monde, mais il y a quand même des complexités, des questions, des problèmes qui sont très spécifiques à des pays comme le Pakistan, y compris le retard culturel, l’oppression sans précédent de l’État, les questions de genre, l’extrême pauvreté, et toutes ces questions qui émergent de ce modèle de développement inégal et combiné. dans des pays comme le Pakistan ou l’Inde et le Bangladesh, comme l’avait souligné Trotski, cet amalgame de modernité et de retard crée des problèmes très particuliers, des formes sociales et culturelles très différentes, de sorte que nous devons tenir compte de toutes ces choses en construisant l’organisation. Nous espérons qu’avec l’aide de la solidarité de nos camarades du monde entier, avec la solidarité des camarades de la LIS et d’autres organisations qui sont nos organisations sœurs, nos organisations amies, nous serons en mesure de construire un parti révolutionnaire non seulement au Pakistan mais en Asie du Sud en tant que partie d’une internationale révolutionnaire mondiale et nous serons en mesure de renverser cette pourriture dans ce système obsolète appelé capitalisme et d’établir une société plus humaine, plus juste et plus prospère dans le cadre du socialisme, merci camarades.
1 La Lutte vient de tenir son 42e congrès.
2 Pour se faire une idée, le budget annuel de l’État français est d’environ 260 milliards de dollars.
3 Crée en 1893, cette frontière artificielle partage l’Afghanistan de l’ancien Empire britannique des Indes (Raj) en divisant les populations pachtounes, et en faisant de cette région un espace incontrôlable.
4 Accord fixant les frontières entre le Tibet, la Chine et l’Empire britannique des Indes de 1913 et 1914.
5 La guérilla dite naxaliste, qui demande la réforme agraire, s’étend dans le « corridor rouge » qui s’étend du Bihar à l’Andhra Pradesh. Le mouvement naxaliste tire son nom de la ville de Naxalbari, située dans le Bengale occidental, où des groupes armés mènent une « guerre de classe » de type maoïste depuis 1967.
6 En ourdou https://www.struggle.pk/ et des publications en anglais dans Asian Marxist Review
7 https://lis-isl.org/fr/2025/04/pakistan-le-42e-congres-de-la-lutte-trace-la-voie-de-la-revolution/