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Roumanie : l’extrême droite battue, mais seulement dans les urnes

Après bien des péripéties, c’est finalement le candidat « indépendant », Nicușor Dan, qui a été déclaré vainqueur de l’élection présidentielle en Roumanie, avec près de 54 % des voix contre son rival d’extrême droite, George Simion. Cette élection avait d’abord été annulée après un premier tour en novembre 2024, qui avait vu une nouvelle figure de l’extrême droite, Călin Georgescu, arriver largement en tête. Ce scrutin a été invalidé au prétexte de manipulations par la Russie. Georgescu a été empêché de se représenter par une décision judiciaire concernant ses comptes de campagne. Il a laissé la place à son compère George Simion.

L’arrivée en tête, au premier tour, de deux candidats en rupture de ban avec les partis traditionnels qui se succèdent au pouvoir en Roumanie depuis l’adhésion à l’Union européenne en 2007, est révélatrice de la colère des classes populaires. Si le pays est devenu un eldorado pour les capitaux étrangers (Renault, Carrefour, Continental, BASF et beaucoup d’autres), la situation est restée très difficile pour la majorité de la population. Pour un coût de la vie comparable à celui de l’Europe de l’Ouest, le salaire minimum est équivalent à 387 euros net et l’inflation atteint encore 5 % ; le taux de chômage officiel s’établit à seulement 5,5 %, mais 5 millions de personnes ont dû émigrer dans un pays d’Europe occidentale, ce qui représente presque le quart de la population de ce pays de 19 millions d’habitants !

George Simion, le candidat d’extrême droite battu, se déclare proche de Viktor Orbán et de Giorgia Meloni. Comme eux, il mélange démagogie, racisme et xénophobie, entre autres contre l’importante minorité hongroise de Roumanie. À leur image, il est conciliant avec la Russie de Poutine… et grand admirateur de Trump ! Après sa percée de 40 % au premier tour, il est arrivé en deuxième position au deuxième, le taux de participation étant passé de 53 à 65 % d’un tour à l’autre, selon le mécanisme bien connu qui transforme parfois l’élection en un vote pour ou contre l’extrême droite. Mais George Simion ne s’est pas effondré et son programme n’a pas été désavoué : son score est passé de 3,8 millions à 5,3 millions de voix, soit un gain de presque un million et demi de voix.

Le vainqueur, Nicușor Dan, maire de Bucarest, grand favori de Macron, von der Leyen et des dirigeants de l’Union européenne, ancien élève de Normale Sup et de la Sorbonne, se présente, lui, comme démocrate, soucieux des libertés et de la démocratie. Mais il ne faut pas chercher bien loin les limites de son « progressisme » : il est par exemple opposé au mariage pour tous. Il prétend lutter contre la corruption (son slogan de campagne était même : « la Roumanie honnête »), mais il va gouverner avec les partis traditionnels… qui en sont responsables. Il ne fait aucun doute qu’il appliquera au pouvoir les mêmes politiques d’austérité, qui vont détériorer davantage le niveau de vie de la classe ouvrière et contribuer à la montée des idées réactionnaires.

L’élection de Nicușor Dan est présentée comme une victoire face à l’extrême droite, mais elle n’offre en réalité aucune issue pour les classes populaires. Seule la lutte de classe, dans les usines et dans les rues, pourra s’en charger.

Michel Grandry