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Embrasement meurtrier en Syrie : les puissances régionales soufflent sur les braises

Capture d’écran d’affrontements à Soueïda

À l’heure où nous écrivons ces lignes, plus de 1 200 personnes ont perdu la vie lors d’affrontements entre milices druzes et troupes islamistes au sud de la Syrie. Plus de six mois après la chute de la dictature d’al-Assad, la population syrienne continue de subir quotidiennement les milices et de vivre sous la menace des bombardements, une situation attisée par les manœuvres des puissances régionales.

Une semaine de violences « communautaires »

La Syrie est une mosaïque de peuples et de religions (arabes, kurdes, sédentaires ou bédouins, sunnites, chiites ou chrétiens, etc.), dont les divisions ont été savamment entretenues par les différents régimes. Après 2011, la guerre civile avait précipité le développement de dizaines de milices rivales sur lesquelles les grandes puissances – directement ou par le truchement de leurs alliés régionaux – s’étaient appuyées pour trouver une dictature de rechange à celle d’al-Assad. Le mouvement islamiste HTS, qui a fait tomber al-Assad, a pris le pouvoir avec l’appui de la Turquie et obtenu l’aval des puissances occidentales. Cela n’a pas pour autant fait disparaître les autres groupes armés et le nouveau régime n’a toujours pas réussi à asseoir son pouvoir.

L’embrasement de la province de Soueïda, suite à l’enlèvement d’un marchand druze par des miliciens bédouins, était une occasion pour le régime de tenter de s’imposer1 : en se positionnant comme arbitre dans un conflit « communautaire », il pouvait envoyer son armée et espérer s’imposer dans le sud du pays en désarmant les milices druzes.

L’administration Trump en soutien d’al-Charaa

À la suite de la rencontre entre Trump et al-Charaa en mai dernier – sous le patronage de l’Arabie saoudite et de la Turquie – les États-Unis ont levé leurs sanctions économiques contre la Syrie et retiré HTS de la liste des organisations qu’ils considèrent comme « terroristes ». Les États-Unis semblent avoir tablé sur ce régime islamiste pour maintenir l’ordre en Syrie. Ils l’appuient dans sa volonté de contrôler ou éliminer toutes les milices « communautaires », quitte à s’opposer à certaines minorités particulièrement organisées comme les Kurdes ou les Druzes. Ce qu’attendent aussi et surtout les États-Unis et les autres puissances impérialistes, c’est que le nouveau régime soit capable de maintenir l’ordre contre tous les pauvres du pays. Ils sous-traitent volontiers à la Turquie, à l’Arabie saoudite et au Qatar le soin de mettre en selle le régime islamiste, en consolidant l’appareil d’État (Arabie saoudite et Qatar payent les salaires des fonctionnaires) et en aidant à la formation d’une armée centralisée.

Israël protège… ses intérêts

Sous prétexte de protéger les Druzes, l’État israélien s’est servi des pillages commis par les islamistes d’HTS pour bombarder les troupes envoyées par le pouvoir syrien à Soueïda et bombarder à Damas le ministère de la Défense et le siège de l’état-major. Une prise d’initiative guère appréciée des États-Unis au moment où ils s’efforcent de renforcer le régime. L’administration Trump a traité – en privé – Netanyahou de « fou furieux ». Mais l’État israélien ne s’oppose pas réellement à la politique américaine : il tient d’une part à éviter que le régime syrien concentre des troupes dans le sud afin de protéger ses frontières et les zones tampons que constituent ses nouvelles annexions du Golan et d’autre part, à rappeler qu’il est le gendarme en chef de la région et que rien ne se fera sans lui. Cette démonstration faite, Netanyahou a fini par signer le cessez-le-feu voulu par l’administration Trump.

Un chaos mortifère pour les classes populaires de Syrie

Il est aujourd’hui difficile de savoir comment la situation va évoluer, alors que les affrontements continuent dans la région de Soueïda et qu’ils ont provoqué plus d’un millier de morts et 120 000 déplacés. Sous la houlette des puissances impérialistes et de leurs alliés régionaux, c’est une nouvelle dictature qui se met en place pour remplacer le pouvoir d’al-Assad. Les choix faits ne peuvent qu’attiser les rivalités et tensions communautaires, ces divisions qui désarment les classes populaires de Syrie vivant sous la menace constante de la pauvreté et de la guerre.

Stefan Ino

 

 

1  Des journalistes racontent que le régime syrien estimait avoir le « feu vert » des États-Unis et d’Israël après s’être entretenu avec Thomas Barrack (ambassadeur américain en Turquie et Syrie)… et une délégation israélienne à Bakou, quelques jours avant d’envoyer ses troupes au Jabal Druze.