
La rencontre sur le sol américain en Alaska entre Poutine et Trump, à l’initiative de ce dernier, aurait été un échec pour Trump et un succès pour Poutine, dit-on dans les milieux dirigeants européens qui sont dépités de n’avoir pas été invités au festin. Ce tête-à-tête au sommet entre Poutine et le représentant de l’impérialisme le plus puissant du monde aurait réintégré un criminel de guerre dans le concert des « grands » de ce monde. Précisons que, pour nous tous sont des brigands, des voleurs et des assassins ; tous ont sur les mains du sang de travailleurs et de peuples du monde !
Mais, effectivement, il n’y a pas eu d’annonce de « cessez-le-feu » en Ukraine que Trump se targuait pourtant d’obtenir. Il a néanmoins été question d’un bel accord, scellé par une belle mise en scène de tapis rouges et poignées de main – à peine troublé par le fond sonore de ce B2 (bombardier dit furtif de l’US-Air Force) qui volait au-dessus d’un tarmac truffé d’avions de combat américains de dernière mode : on ne peut pas dire que Trump n’a pas le sens des rapports de force ! Et, si rien de concret n’est sorti publiquement de cette rencontre, c’est que, derrière la scène du théâtre, il y a les coulisses et les préparatifs. Entre autres, tout récemment, des éléments de deals restés encore secrets ont probablement avancé entre l’américain Steve Witkoff et Poutine lui-même, à plusieurs reprises au Kremlin et encore le 6 août dernier. La démocratie en direct, ce n’est pas leur tasse de thé !
Et Zelensky ? Et l’Europe ?
Bien sûr, Trump a téléphoné à Zelensky suite à ces quelque trois heures de discussion avec Poutine. Le président ukrainien devrait se rendre très vite à Washington. En porte-parole des intérêts des capitalistes ukrainiens qu’il représente, mais aussi en porte-parole des dirigeants impérialistes européens qui sont dépités de n’avoir pas été invités en Alaska. Eux aussi comptent bien tirer profit d’une sortie de guerre (pour demain ou plus tard). Ils prétendent en particulier offrir à l’Ukraine des « garanties de sécurité », qui accompagneraient un cessez-le-feu ou une « paix » des cimetières, par le positionnement de troupes (garantes d’investissements) sur ce chantier d’une nouvelle Ukraine à reconstruire, amputée de quelque 20 % de son territoire. Pour ce qui est de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne (UE), il faudra très probablement attendre encore un paquet d’années, car pas question de froisser les intérêts, en particulier ceux des gros céréaliers français !
Zelensky ira donc à Washington comme à Canossa, s’agenouiller devant Trump et accepter ses diktats – il lui a déjà maintes fois fait allégeance. Qu’en sortira-t-il pour ce qui concerne le sort de l’Ukraine, et quand ? Le président ukrainien aura droit à une prochaine rencontre tripartite avec Trump et Poutine, pour entériner – de fait ou de droit – la partition du pays dont les deux parrains ont dû causer entre eux, sur la base du rapport de force militaire sur le terrain, c’est-à-dire par consolidation de la mainmise de la Russie sur le Donbass et quelques autres régions du sud de l’Ukraine.
Les démocrates impérialistes, rois des deals sur le dos des peuples
Les grands du monde impérialiste, qui se disent « démocrates », surtout en Europe et à commencer par Macron, crient au viol du droit du peuple ukrainien qui n’est pas consulté. Effectivement ! Et très drôle tout de même, ces mêmes chefs impérialistes européens invoquent des exemples historiques où, précisément, leurs ancêtres ont bafoué le droit des peuples : les accords de Munich entre l’anglais Chamberlain, le français Daladier et le nazi Hitler pour se partager la Tchécoslovaquie en 1938 ; les accords de Yalta à l’été 1945 pour se partager le monde entier sur la base des rapports de force issus de la Seconde Guerre mondiale… On pourrait remonter au partage colonial de l’Afrique à la conférence de Berlin en 1884-1885 ; au découpage du Liban, de la Syrie et de la Palestine entre impérialistes français et anglais en 1920. Le mépris des peuples pour mieux dealer des promesses de profits… Toujours au nom de leur démocratie !
Mais la paix en Ukraine pour le bonheur de son peuple, après dix ans de guerre dont trois ans et demi d’invasion russe dévastatrice, ce n’était pas ce dont il était question en Alaska. Ni pour Trump ni pour Poutine. La rencontre était une étape d’un deal États-Unis – Russie, d’une reconfiguration à l’initiative de Trump de leurs relations économiques et politiques, à des fins de pépètes… Dans bien des domaines. Ce que le directeur de l’Observatoire des chambres de commerce et d’industrie franco-russe, Arnaud Dubien, exprimait très diplomatiquement (et avec quelque soulagement) de la sorte : « On peut cependant penser que, pour le président américain, la tenue du sommet avec Poutine et la perspective d’une normalisation bilatérale est désormais plus importante que le soutien à Kiev… » Un secret de Polichinelle !
C’est que cette normalisation en route ouvre bien des perspectives d’investissements profitables en termes économiques comme d’affermissement des rapports de force – tout particulièrement des États-Unis face à la Chine, si les premiers réussissent à découpler quelque peu la Russie de la seconde ! (La Russie s’est davantage tournée vers la Chine, pour exporter comme pour importer, depuis que la guerre qu’elle mène en Ukraine et les sanctions qui lui sont liées ont presque totalement coupé ses liens économiques avec l’Europe occidentale.)
Investissements américains dans les terres rares et le pétrole russes ?
Dix-sept éléments aux utilisations différentes, des aimants permanents de turbines éoliennes aux écrans plats, en passant par les ampoules « basse consommation », sont devenus vitaux pour les nouvelles technologies industrielles. C’est un produit d’exportation pour la Russie qui n’en est pas aussi riche que la Chine – loin de là –, mais qu’elle sait extraire sans avoir les capacités de raffinage suffisantes pour de grandes quantités : les États-Unis pourraient s’en charger… En tout cas, la Russie posséderait des réserves conséquentes de terres rares, estimées en 2018 de 15 à 22 % du total des réserves mondiales – troisième rang mondial après la Chine et le Brésil.
Il y a aussi les minerais dits « stratégiques » car étroitement liés aux technologies nucléaires (lithium et uranium) et, pour ce qui est de la Russie, liés au complexe d’État Rosatom qui domine le marché mondial. Aussi bien l’Europe occidentale que les États-Unis, malgré les sanctions économiques, restent dépendants – et acheteurs ! – de l’uranium russe. De nouvelles mines sont en projet… en particulier dans l’Extrême-Orient russe. Le dealer Trump ne peut qu’imaginer (voire planifier) de nouvelles coopérations économiques profitables pour les États-Unis, accessoirement pour des capitalistes russes aussi, tous spéculant sur le gap entre les immenses richesses minières russes et la faiblesse des capacités technologiques actuelles permettant de les exploiter.
Lors de ses dernières visites à Moscou, Steve Witkoff (l’homme de Trump) aurait aussi évoqué des accords concernant l’exploitation de réserves de pétrole dans l’Arctique. Et ces discussions se sont menées avec des décideurs économiques russes, dont Kirill Dmitriev, qui est à la tête du fonds d’investissement direct russe – tenu pour étroitement lié à des industriels souhaitant la levée des sanctions occidentales…
Si l’économie russe commence à trop souffrir de la guerre, Poutine pourrait ainsi dealer un retour dans le « concert des nations » – ou plutôt concert de couacs et sales coups guerriers entre prédateurs de la planète. Pour le grand plaisir aussi de représentants politiques du capitalisme français, des amis de Chirac à ceux de Fillon, en n’oubliant pas Le Pen, et de grands noms du CAC 40 français qui ont dû abandonner leurs investissements profitables en Russie après l’invasion russe de 2022, la mort dans l’âme… ou surtout dans le portefeuille ! Sans le crier trop fort, ils sont en train d’imaginer eux aussi un come back ! Leurs deals à tous étant basés sur des rapports de force et le sang des peuples.
Michelle Verdier, 17 août 2025