
Le gouvernement est démissionnaire, mais cela n’empêche pas la collaboration harmonieuse entre ministères, – dans ce cas ceux de l’Intérieur et de l’Enseignement supérieur. 18 septembre : intervention des CRS pour lever des barrières posées par des étudiants mobilisés et pour les intimider en pleine assemblée générale. 22 septembre : sur demande de la présidence de l’université, des CRS pénètrent dans un bâtiment et le font évacuer pour mettre fin à une réunion militante. 23 septembre : évacuation et fermeture de l’ensemble du campus lettres et sciences humaines sur décision du préfet, à la demande là encore de la présidence.
Trois interventions policières en moins d’une semaine : c’est l’université casquée et bottée ! Les dirigeants de Nantes Université se mettent au diapason du parti de l’ordre… foulant au pied les libertés académiques et la longue histoire d’ouverture des campus au débat et à la contestation sociale.
Rassemblements interdits et bâillon sur les revendications
Le personnel et les étudiants de Nantes Université ont eu la désagréable surprise la semaine dernière, en pleine séquence de mobilisation sociale, de découvrir un projet de modification du règlement intérieur qui s’en prend sans complexe aux libertés d’expression et de réunion. Et il y a urgence : la présidence souhaite le faire voter début octobre par le conseil d’administration !
Si ce projet était adopté, des poursuites disciplinaires pourraient être engagées contre des personnes participant à un rassemblement « non autorisé » sur le campus. Dans le viseur, les étudiants qui participent aux AG et autres rassemblements… et qui n’ont jamais eu, jusqu’à présent, à demander une quelconque autorisation. Mais ce n’est pas tout : un article du règlement condamnerait désormais « l’usage abusif de la liberté d’expression » et menacerait d’éventuelles poursuites disciplinaires ou pénales les membres du personnel qui « porter[aient] atteinte à la réputation de l’établissement », y compris en dehors de leurs heures de service. La formulation est tellement floue qu’elle pourrait allègrement être utilisée pour faire taire syndicalistes, salariés de l’université ou étudiants critiquant la politique menée par les dirigeants de l’université… alors que les motifs de colère sont légion à l’heure des coupes claires dans les budgets de la recherche et de l’enseignement supérieur.
Lock-out et intimidations
L’habitude est prise depuis quelques années, à Nantes comme sur d’autres campus : dès qu’un blocage se profile, les bâtiments sont fermés administrativement. Une fac vidée de ses étudiants et de son personnel est sans doute plus facile à gérer… Mais un cap a été franchi lundi 22 septembre : alors qu’un collectif militant autonome tenait une réunion avec quelques dizaines de personnes (tout à fait pacifiquement… et comme ils ont l’habitude de le faire depuis plusieurs mois), la présidence a prétexté du fait qu’ils n’avaient pas réservé la salle pour faire intervenir la police. Pas moins de dix camions de CRS ont alors été mobilisés pour déloger les « gêneurs », qui ont même été filmés par un policier en civil alors qu’ils quittaient la salle.
Rebelote le lendemain midi, en version XXL. Sur décision du préfet, saisi par la présidence de l’université, plusieurs dizaines de policiers sont déployés sur le campus, tous les bâtiments évacués illico presto et la fac fermée pour le reste de la journée. Au prétexte fallacieux d’un risque imminent d’intrusion violente dans les bâtiments, ordre est donné aux enseignants et au personnel administratif et technique d’interrompre leurs activités et de quitter les lieux à la hâte, alors que des centaines d’étudiants se demandent, dans la confusion, ce qui se passe.
Le déploiement de force est en effet à tout le moins disproportionné… Il fait suite à une AG étudiante, convoquée pour protester contre l’intervention policière de la veille, rassemblant entre 150 et 200 personnes. En marge de cette AG, un petit groupe envahit le « pôle étudiant » qui comporte une cafétéria et quelques bureaux administratifs. La porte du bureau du responsable sécurité (absent à ce moment-là) est taguée et du matériel de bureau renversé avant que le petit groupe ressorte et se disperse.
Des étudiants surveillés ?
Peu après l’évacuation, un responsable de l’administration, très en verve, se confie à des enseignants-chercheurs qui s’opposent à ce tour de vis sécuritaire : les étudiants considérés comme des fauteurs de troubles seraient « suivis ». On connaîtrait leurs habitudes en manif et leur assiduité en cours… Des relevés d’empreintes digitales auraient été réalisés dans les locaux dégradés. L’amorce d’une probable répression, préparée en duo par les services de la fac et la préfecture.
Conférence de presse sous bonne garde policière
Quelques heures plus tard, toute honte bue, la présidente de l’université tient une conférence de presse dans un campus désert. Le soutien du gouvernement est immédiat : Philippe Baptiste, ministre démissionnaire de l’Enseignement supérieur, dénonce le « saccage du campus ». Rien que cela !
L’après-midi se termine. Un petit groupe de syndicalistes enseignants-chercheurs et étudiants souhaite assister à la conférence de presse de la présidente. Encerclés et contrôlés, ils sont vite refoulés : interdiction de circuler sur le campus. Une conception très « policée » du débat démocratique.
Alors que la colère sociale s’accumule et que les conditions de vie se dégradent, notamment pour des étudiants de plus en plus touchés par la pauvreté, ces événements nantais sont tout sauf anecdotiques. Ils montrent qu’une riposte d’ensemble est à l’ordre du jour, pour sortir des actions isolées et minoritaires, faire face collectivement au durcissement autoritaire dans les universités, dans les entreprises et dans la rue. Contre celles et ceux qui rêvent d’une société où règne l’ordre des casernes.
Correspondant