
« Le capitalisme nous fait la guerre, renversons-le »
C’est le texte d’une nouvelle affiche du NPA-Jeunes : un positionnement qui peut paraître bien général et abstrait mais synthétise pourtant une situation à la fois d’instabilité du système capitaliste, dont les contradictions et rivalités économiques éclatent en guerres locales, de natures diverses mais dont aucune n’est sans risque de dérapage et de généralisation ; face à quoi surgissent de multiples formes de contestation du système capitaliste, du Népal à la France, dont on peut constater la force mais aussi les limites. Le camp impérialiste a des difficultés à maintenir son ordre social sur la planète, des ripostes des exploités et opprimés font l’actualité, sous forme de révoltes, grèves, mobilisations politiques en particulier à l’échelle planétaire en défense de Gaza et de la Palestine, mais sans que n’en émergent les nécessaires partis et direction internationale révolutionnaires, porteurs d’une politique d’indépendance de classe dont les travailleurs et la jeunesse ont besoin.
En face, l’extrême droite franchit probablement un cap, en sortant de la seule montée, un peu partout, de ses performances électorales. Aux États-Unis, à la faveur de l’assassinat du militant d’extrême droite Charlie Kirk, Trump lance une sérieuse offensive répressive contre tout ce qu’il considère comme de gauche ou d’extrême gauche – les camarades américains nous restituent le climat de peur,fondé ou non, qui commence à s’emparer de milieux militants face à cette chasse aux sorcières. En Angleterre, l’extrême droite a spectaculairement mobilisé 100 000 à 150 000 personnes dans la rue, contre l’immigration. La polarisation politique s’accentue. Une évidence et une urgence : ce n’est pas la gauche ni la gauche dite radicale, avec leur prétendue solution institutionnelle d’unité dans les urnes (et même si elles savent à l’occasion appeler à descendre dans la rue et à faire grève pour appuyer leurs ambitions institutionnelles), qui fera rempart à l’extrême droite ou aux politiques inspirées par l’extrême droite que mènent déjà bien des gouvernements sur la planète.
Donc oui, « Le capitalisme nous fait la guerre, renversons-le »… Concentrons nos moyens et efforts, politiques et organisationnels, pour que celles et ceux qui luttent s’organisent pour tout bloquer et tout changer. Ici même en France, et ailleurs dans le monde où manifestement il y a les mêmes mécontentements, colère et des situations bien plus dramatiques encore, que l’extrême droite exploite, tandis que les partis de gauche et les directions syndicales essaient de les détourner sur des voies de garage institutionnelles.
Cette résolution discute à partir de trois points de cristallisation des conflits dans le monde (Palestine, Ukraine-Russie, mobilisation de l’extrême droite contre mobilisations sociales et politiques), sachant qu’il en existe bien d’autres et que la présente contribution ne prétend à aucune exhaustivité.
1. Le mouvement de solidarité avec la Palestine et nos tâches concernant l’opposition à l’impérialisme et au militarisme
La montée des tensions entre impérialismes, en particulier entre les États-Unis et la Chine, et les menées des grandes – et des moins grandes – puissances nourrissent la déstabilisation du monde : les rapports de force entre les classes en sont d’autant plus heurtés et chaotiques. Au-delà de la très grande diversité des conflits entre États, classes et peuples, une ligne d’affrontement ressort cependant à l’heure actuelle avec plus de relief que les autres à l’échelle internationale : celle qui oppose les soutiens et les adversaires des Palestiniennes et des Palestiniens.
La volonté de l’impérialisme américain de maintenir son hégémonie face à des concurrents impérialistes émergents a favorisé l’offensive de son principal gendarme dans la région stratégique du Moyen-Orient, à la fois contre le peuple palestinien mais aussi contre le Hezb (marxiste-léniniste quand même !)ollah libanais, contre l’Iran et le Yémen. Israël affirme ainsi une force accrue sur le plan militaire, tout en sapant sa légitimité aux yeux des peuples du monde et des travailleurs. Le génocide perpétré par Israël a fait émerger et grossir un mouvement international de solidarité sur tous les continents, malgré des hauts et des bas. Le contraste est frappant, entre la complicité des grandes puissances et avec elles des régimes arabes réactionnaires d’une part, et la multiplication des manifestations de masse partout dans le monde de l’autre. C’est un facteur de politisation et cela nourrit une prise de conscience internationaliste pour des milliers de jeunes et de moins jeunes.
Persistance des manifestations de masse dans le monde et réussite de la grève du 22 septembre en Italie
Ces derniers mois, deux développements du mouvement de solidarité avec la Palestine méritent d’être soulignés : l’émergence ou la persistance de manifestations de masse et la réussite de la grève du 22 septembre en Italie.
La persistance de manifestations de masse en Grande-Bretagne ou aux Pays-Bas montrent que des possibilités de construire un mouvement de solidarité de masse existe, même quand le rapport de force global semble défavorable, et même s’il nous est difficile à notre niveau de distinguer le rôle des différentes forces et de leurs politiques respectives, et l’impact de ces politiques dans la réussite de ces manifestations. En revanche, nous avons une idée d’une des raisons de la réussite de la manifestation du 24 août de 300 000 personnes en Australie. Les camarades de Socialist Alternative nous ont expliqué que la participation large à cette manifestation a été favorisée par une orientation qu’ils ont impulsée aux côtés d’autres en particulier à Sydney, se démarquant très clairement d’un soutien au nationalisme. Ce n’est probablement pas un hasard si leur porte-parole a été catapultée sur le devant de la scène médiatique dans les jours qui ont précédé la manifestation.
En Italie, la grève du 22 septembre en soutien à la Palestine marque un cap important. La situation n’est pas forcément plus simple là-bas : un gouvernement d’extrême droite, un mouvement ouvrier majoritairement très intégré à l’appareil d’État… Et pourtant, l’initiative d’un courant syndical minoritaire (USB) et d’autres syndicats de base qui avaient appelé à la grève générale et à « tout bloquer » a ouvert à une mobilisation massive. Des manifestations ont eu lieu dans 80 villes, rassemblant sans doute près d’un million de manifestants, dont 300 000 à Rome. Une présence notable de la jeunesse dans la rue mais aussi de nombreuses grèves en particulier dans les écoles, la logistique et les transports publics. 25 % de grévistes ont été par exemple officiellement annoncés par le gouvernement dans le secteur des trains régionaux. Les taxis aussi étaient en grève, et même des employés du Vatican. Partout, les ports étaient bloqués et des collectifs d’étudiants ont occupé les universités. Des commerces étaient fermés en signe de soutien. Les manifestations ont également servi de test au nouveau décret-loi « DDL Sicurezza », qui prévoit des peines d’amende et de prison en cas de blocage d’établissements publics ou de la circulation, que les manifestants n’ont pas hésité à braver dans de nombreux endroits.
Des pistes d’orientation concernant la solidarité avec la Palestine en France
Le décalage entre les niveaux de mobilisation en Italie et en France est frappant. Sans être capables d’en donner à l’heure actuelle une explication satisfaisante, on peut néanmoins souligner la passivité-complicité ici de la CGT et du PCF, et l’écart entre les positions publiques de la FI, nettement opposées à la politique de soutien à Israël, et l’absence par cette FI de construction volontariste d’un mouvement militant capable de mettre en difficulté la politique de soutien de la France à la politique génocidaire d’Israël. À notre niveau, nous devons agir en faveur d’initiatives de manifestations communes aux différents cadres de mobilisation.
L’exemple du 22 septembre en Italie doit nous encourager à militer pour une prise en charge de l’opposition au génocide par le mouvement ouvrier, et à renforcer notre intervention politique et syndicale sur la question de la Palestine dans les entreprises. L’intérêt et les possibilités existent en la matière comme en témoignent la reprise large des slogans de soutien au peuple palestinien dans les manifestations du 10 septembre et du 18 septembre.
L’opposition au cours militariste et guerrier est à construire en France et en Europe
En Europe, la politique de renforcement du militarisme s’inscrit également dans l’effort de redéploiement des impérialismes occidentaux. Nous devons nous appuyer sur l’intérêt que suscite la question palestinienne pour dénoncer à plus forte raison la politique guerrière et militariste de notre propre impérialisme. Notre propagande en faveur d’un pôle des révolutionnaires inclut ce que nous pourrions faire sur le terrain « internationaliste » de défense des exploités et opprimés massacrés de Palestine (à une petite échelle, une initiative a été prise en juillet dernier, de rassemblement par un appel commun EuroPalestine-PT-LO-NPA-R, et nous ne revenons pas sur nos tentatives d’inter-orga Palestine, ou de collectifs de soignants ou profs pour Gaza). Comment faire apparaître à une échelle nationale l’existence d’une opposition nette à la politique de Macron et de l’impérialisme français, surtout aujourd’hui où Macron a le culot de se présenter en défenseur des Palestiniens et de leur État ? C’est dans ce sens que nous devons persévérer en faveur d’initiatives qui dépassent l’audience que chacune des organisations d’extrême gauche a de son côté.
2. Exacerbation de la guerre sur le front russo-ukrainien
La guerre s’exacerbe sur le front russo-ukrainien, Alors que les bombardements russes sur l’Ukraine s’intensifient, l’intrusion récente dans le ciel polonais, puis roumain, de drones venus apparemment de Russie, puis l’incursion russe dans l’espace aérien estonien de trois chasseurs Mig-31, dont Poutine dément être responsable, sont-elles une dernière étape de l’escalade ou un dérapage aux conséquences plus graves ? Dans tous les cas cette situation est montée en épingle par les pays occidentaux, dans le but de dénoncer Poutine comme seul responsable des « violations du droit international », alors que les puissances occidentales ne se gênent pas elles-mêmes de ce point de vue (bateaux coulés en Méditerranée par l’UE, dans la mer des Caraïbes par les États-Unis, attaques de drones contre la flottille pour Gaza par Israël). En face, l’Otan réunit 32 de ses représentants le 23 septembre à Bruxelles pour envisager une riposte, dans le cadre son article 4 qui prévoit des consultations entre alliés en cas de menace sur l’un de ses membres. Dans quelle situation sommes-nous ? Une exacerbation du conflit, à l’initiative essentiellement de la Russie, pour être en meilleur rapport de force dans les négociations qui se poursuivent, ou l’abandon de perspectives de négociations ? Et une « guerre sans fin » ? Nous ne sommes pas les seuls à nous interroger, sans avoir de réponse, bien qu’à ce stade l’hypothèse de la montée des enchères vers un deal dont Trump resterait le maître d’œuvre nous semble la plus probable.
Brigandages sur le dos du peuple ukrainien
Trump et Poutine ont aujourd’hui le culot de se faire les champions de la paix, d’une paix sur le dos du peuple ukrainien et d’un pays dont ils se partageraient des richesses minières et bien d’autres. Ce sont bombes, missiles et drones tueurs à l’appui que Poutine marchande la part qui lui reviendrait. Trump et Poutine sont contestés ou jalousés par des dirigeants impérialistes européens qui voudraient leur part du festin. D’où ces « garanties de sécurité » exigées par Macron et Starmer, sous la forme de troupes qu’ils pourraient installer en Ukraine, pour protéger les profits qu’ils pourraient y faire une fois la guerre gelée.
Si l’on en juge par l’état actuel des marchandages – tractations secrètes tous azimuts – cette « paix » consisterait à céder à Poutine, en plus de la Crimée déjà annexée par la force en 2014, cinq régions de l’Ukraine que son armée occupe en presque totalité (20 % du territoire du pays) ; tandis que Trump a déjà fait main basse sur des richesses d’Ukraine et convoite aussi les bonnes affaires qu’il pourrait tirer d’un rabibochage avec l’oligarchie russe ; et il compte bien, à la faveur d’un conflit qui serait gelé mais pas éteint, continuer à booster son budget militaire pour vendre davantage d’armement à une Union européenne à laquelle reviendrait la charge de les lui acheter, prétendument pour protéger militairement l’Ukraine. Une Europe dont les brigands impérialistes se disputent entre eux leurs marchés de l’armement, la France étant en bonne place dans la production d’engins de mort et de juteux profits sur la planète.
La paix ne viendra que du renversement du système impérialiste Il ne peut y avoir de paix pour les travailleurs et les jeunes d’Ukraine, sans le retrait des troupes russes du pays, et l’expulsion de l’Otan et des intérêts impérialistes de la région. C’est transformer la guerre en guerre sociale qu’il faudrait. Une guerre sociale qui ne se jouerait pas en kilomètres d’avancées ou reculs dans le Donbass, mais qui briserait les frontières, car elle pourrait attirer du côté des travailleurs ukrainiens aujourd’hui sous les bombes, demain surexploités au nom des « dettes de guerres à payer », les travailleurs russes que Poutine a envoyés se faire trouer la peau en Ukraine, et qui devront payer eux aussi les frais de cette guerre, « victorieuse » dira Poutine. La « guerre à la guerre » n’a jamais consisté en pleurnicheries pour la paix.
Les États-Unis contestés… mais pas le système capitaliste
Il pourrait même s’agir d’une situation montée en épingle par les pays occidentaux, ce qui relativiserait la dénonciation du seul Poutine comme responsable des « violations du droit international », les puissances occidentales ne se gênant pas elles-mêmes de ce point de vue (bateaux coulés en Méditerranée par l’UE, dans la mer des Caraïbes par les États-Unis, contre la flottille pour Gaza par Israël). Le contexte international plus large des contradictions et rivalités internationales continue à s’imposer aussi. Trump a ouvertement invité Poutine à Anchorage (aux États-Unis) pour tenter de le détacher de la Chine. Xi Jinping invite Poutine à Tianjin (en Chine), au sommet de l’OCS (Organisation de Coopération de Shangaï, créée par la Chine il y a plus de 25 ans) pour le détacher des USA ! C’est ainsi qu’après le spectacle du tapis rouge avancé devant Poutine par Trump, on a le tapis rouge – et un méga défilé militaire, avec tous les joujoux de guerre ultra-modernes de l’armée chinoise – étalés devant Poutine… et devant une imposante brochette de dictateurs de pays dits du Sud (dont Narendra Modi pour l’Inde, Kim Jong-un pour la Corée du Nord, Min Aun Hlaing pour la Birmanie, Recep Tayyip Erdogan pour la Turquie, Massoud Pezeshkian pour l’Iran, et beaucoup d’autres). La concurrence fait rage.
La distribution punitive de taxes douanières par Trump, entre autres bien salée contre l’Inde par exemple, a contribué à réunir des chefs d’États jusque-là pas vraiment considérés comme alliés. L’Inde est théoriquement alliée des États-Unis, la Turquie est membre de l’Otan, la Russie marchande avec Trump, mais ce sont autant de prises pour Xi Jinping, à la tête de l’impérialisme chinois. C’est avec cette Chine, de même qu’avec l’Inde, que la Russie de Poutine, depuis son invasion de l’Ukraine en 2022 et les sanctions économiques qui l’ont frappée, a dû renforcer ses liens économiques, pour compenser la rupture de liens importants avec l’Europe. Et dans ce contexte mouvant et conflictuel, ces participants au sommet de l’OSC ont pu se poser en champions de l’anti-impérialisme américain. Un anti-impérialisme dont les peuples qu’ils exploitent et oppriment devraient évidemment se défier.
Face aux différents camps impérialistes : l’union des travailleurs !
Dans cette situation, la bourgeoisie « de gauche » autour du parti socialiste ou d’EELV a fait le choix de s’aligner totalement derrière l’OTAN, la défense de la prétendue « Europe démocratique ». Ils ont été rejoints dans ce concert par certains courants issus de l’extrême-gauche, qui sous couvert de « défense du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », défendent les livraisons d’armes à l’armée ukrainienne, et l’alignement derrière le gouvernement bourgeois de Zelensky.
À l’opposé, les résidus du stalinisme, ainsi que certains courants de la gauche dite « radicale », voient dans le sommet de l’OCS à Tianjin une résurrection du vieux camp anti-impérialiste des années 1960. Cet « anti-impérialisme » s’accompagne en réalité d’un alignement très réel derrière l’impérialisme français : ainsi un Jean-Luc Mélenchon défend la « paix » sous prétexte que l’Ukraine ne serait « pas l’affaire des Français » – n’hésitant d’ailleurs pas à reprendre les discours panrusses de Poutine sur la Crimée appartenant à la Russie, et… vante les mérites de l’industrie française de l’armement, félicitant Dassault et défendant la « priorité à l’indépendance et à la souveraineté pour se défendre ».
C’est pourquoi les appels à « la paix » sont des leurres. Pire encore la prétendue « lutte contre la guerre » peut servir, comme le fait le POI dans son hebdomadaire Informations ouvrières, à aligner des travailleurs sincèrement révoltés par le cours guerrier de l’impérialisme… derrière des réformistes nationalistes comme Mélenchon.
Pour les travailleurs du monde, le choix n’est pas entre un pôle impérialiste (Chine-Russie) qui serait meilleur que le pôle dominé par l’impérialisme américain et son bras armé de l’Otan, dont les alliances fluctuent au gré des champs de pétrole à contrôler, des ressources minières d’Ukraine ou d’Afrique à se disputer. Il s’agirait qu’émerge des luttes un pôle prolétarien contre celui de la bourgeoisie impérialiste.
Contre ces guerres des puissances impérialistes contre les travailleurs et les peuples, notre tâche est à poursuivre, et immense, de participation à la construction d’un pôle révolutionnaire.
3. À propos des réactions à la mondialisation, des inquiétudes : entre mobilisations réactionnaires et interventions populaires
L’impérialisme d’aujourd’hui présente sur certains aspects politiques des traits plus proches de ceux du début du siècle dernier plutôt que de celui ouvert d’il y a 25 ans. En effet, si les mécanismes, les facteurs de l’économie mondiale se sont transformés et les classes sociales à leur suite, les contradictions inter-impérialistes ont retrouvé une actualité nouvelle avec l’entrée sur scène de nouvelles puissances. Les analogies avec les années 1930 ne sont, en ce sens, que de peu d’utilité : plus de stalinisme, une social-démocratie réduite, un encadrement syndical affaibli. Le courant réactionnaire à l’échelle internationale a su en revanche se renouveler de Trump à Milei en passant par Orbán et Meloni. Dans cette partie, nous ne discuterons pas directement d’économie politique. Un seul aspect sera abordé, celui d’un mécanisme mondial de polarisation sociale, plus précisément d’un affaissement lent des conditions de vie de la petite bourgeoisie et du prolétariat en parallèle d’un enrichissement insolent d’une bourgeoisie qu’il est désormais impossible de cacher. Une injustice qui rend populaire la formule sympathique de « taxer les riches », qui sonne bien et se comprend facilement. Mais cette formule aux airs de slogan laisse dans l’ombre la question du partage et de la production des richesses, et davantage dans l’ombre encore celle qui est à la base de tout, l’exploitation du travail salarié et l’extorsion de la plus-value : d’où l’écran de fumée à parler de taxation sur des bases étatiques nationales, là où il y a exploitation de classe. Et à l’échelle internationale le délitement des classes intermédiaires et du prolétariat a produit des réactions symétriques.
Les effets mortifères de l’affaissement social
Parmi les effets délétères, le cas britannique mérite toute notre attention, car l’avertissement est international, même si les événements de Torre Pacheco ou des Pays-Bas sont tout aussi inquiétants. La manifestation initiée par le fasciste Robinson, financée par E. Musk, a dépassé les 150 000 manifestants à Londres. Trois faits majeurs semblent indiquer un seuil. D’abord, cette démonstration de force dans la rue sort en partie de la voie Meloni que semblent emprunter toutes les formations d’extrême droite compatibles électoralement avec les grands choix des promoteurs de l’Union européenne. En partie, car elle est complémentaire de la voie électorale de N. Farage (Reform UK) crédité de la tête des sondages avec plus de 30 %. Ensuite, son caractère ouvertement raciste et xénophobe est affirmé – mêlant un nationalisme chrétien renouvelé et une intervention à l’échelle industrielle sur les réseaux sociaux contre de prétendus assassins – lui permettant de dépasser les actions locales des deux derniers semestres pour devenir un fait politique national. Enfin, cette manifestation a drainé un public populaire, dont des familles, loin du riche folklore néo-fasciste britannique, qui en creux posait la revendication de la priorité aux nationaux pour les aides sociales. Et pour être complet, ce tableau doit souligner la faiblesse de la contre-manifestation, à peine 10 % de celle de Robinson, des directions syndicales et de l’extrême gauche.
La première leçon de cet événement est que le barrage de la gauche syndicale et politique ne marche pas. Début septembre avait lieu à Brighton le congrès du TUC, la centrale syndicale (cinq millions d’adhérents). Des motions parfois radicales ont été votées (la veille de la manifestation d’extrême droite !) : une contre l’augmentation des dépenses militaires et une autre de solidarité avec la Palestine contre les livraisons d’armes à Israël. Avec le résultat qu’on connaît. La politique travailliste au pouvoir n’est sans doute pas sans conséquences, mais aussi la distance de toute cette gauche politique et syndicale avec les milieux populaires. La rupture sur la gauche de Corbyn-Sultana et leur nouveau parti, « Your Party », qui aurait reçu 700 000 demandes d’adhésion n’ont pas beaucoup pesé non plus, sans compter que depuis le jeudi 18 septembre, le duo rebelle s’affronte publiquement sur la collecte de fonds.
Les défis à relever sont ceux d’une perspective militante et non d’adhérents, d’un parti de lutte, révolutionnaire, car les questions d’auto-défense, d’organisation de milieux d’entreprises et populaires ne souffrent aucun raccourci.
Les réactions salutaires à l’impasse capitaliste
Mais ce mouvement à droite n’est pas unilatéral. Des réactions populaires ont vu le jour dans la dernière période avec la chute, en Indonésie, d’un gouvernement par une révolte immense contre la pauvreté et la corruption, mais aussi une contestation inédite. Après la révolte du Bangladesh, et encore d’autres comme au Kenya et au Sri Lanka, on assiste au retour de l’intervention des masses populaires contre les pouvoirs en place. Avec peu de grèves, sans émergence de nouvelles formes d’auto-organisation permanente, elles portent bien entendu des limites, mais nous les percevons comme une phase préparatoire, d’accumulation d’expériences nécessaires qui rendent possibles l’éclosion de formations révolutionnaires. Pas seulement parce que 450 commissariats de police ont été brûlés sur les 600 que compte le Bangladesh, mais surtout parce que les milieux populaires de ces pays ont pris en partie conscience de leur force. Et c’est un pas énorme. Et comme dans les pays impérialistes, l’impasse du réformisme est toujours vivante. Pas du tout sur le terrain économique mais sur le terrain démocratique (impasses des assemblées constituantes, alternances électorales).
Cette tendance à la dégradation va se prolonger, car ces économies sont en croissance, parfois à deux chiffres, mais avec, de façon presque uniforme, 25 % de la jeunesse diplômée au chômage, 21 pays en presque banqueroute comptant 700 millions d’habitants, et trois milliards de personnes qui vivent dans des pays qui dépensent plus pour rembourser leurs dettes qu’en équipements et programmes sociaux.
Cette colère sociale explosive pourrait se rapprocher de celle des pays au niveau de vie occidental. L’OIT (Organisation internationale du travail) estime que 80 millions d’emplois dans le monde sont liés à la demande du marché américain et sont fragilisés par la guerre tarifaire de Trump ; en Europe, les restrictions des budgets sociaux et les centaines de milliers d’emplois détruits ouvrent la possibilité de riposte de la classe ouvrière, dont les manifestations et grèves de septembre en France sont peut-être un élément annonciateur.
Le besoin se fait fortement sentir d’une direction révolutionnaire à ces luttes de classe qui éclatent sans sérieuse boussole politique, d’un pôle révolutionnaire qui regrouperait celles et ceux qui dans le monde militent pour renverser le système capitaliste. Qui déjà leur permettrait d’échanger leurs expériences. C’est ce vers quoi sont tournés nos efforts – qui s’expriment par nos initiatives évidemment ultra modestes par rapport aux nécessités : camp international cette année 2025 (avec les camarades de groupes qui nous sont proches), et pour l’année prochaine à nouveau la conférence de Milan-Paris, auxquels s’ajoutent les contacts que nous entretenons avec un certain nombre de groupes et militants révolutionnaires de Turquie, Argentine, Australie et de bien d’autres pays.
Texte écrit le 27 septembre 2025