Nos vies valent plus que leurs profits

1850, 1880, 1930 ou 1945 : La sécurité (sociale) de l’État bourgeois avant tout

80 ans après la création de la « Sécu », la gauche ne rabiote par sur les célébrations dithyrambiques. Mais, pour citer Pierre Laroque, principal architecte de la Sécu : « La mise en place de la protection sociale n’a pas nui à la reconstruction du pays. Elle l’a même favorisée car on a pu demander des efforts considérables aux travailleurs. »

Napoléon III ou Bismarck : associer « le bout de sucre » au « fouet »

Au XIXe siècle, l’émergence des « classes dangereuses » – la classe ouvrière – lors de la révolution industrielle a poussé la bourgeoisie à réprimer et contrôler, ce qui passait parfois par concéder un minimum de charité. Dans le même temps, des caisses ouvrières de secours mutuel se sont développées. Après la révolution de 1848, Louis-Napoléon Bonaparte institua des « sociétés de secours approuvées » placées sous le contrôle des curés et des préfets et dont le but avoué était de « neutraliser, en grande partie, le résultat de la misère ». La Commune, écrasée dans le sang par la bourgeoisie française, la conduisit à ne chercher aucune politique dite « sociale ». Mais le nouvel empire d’Allemagne innova : face à la poussée social-démocrate que la répression ne pouvait contenir, Bismarck a fait voter dans les années 1880 des lois sur les assurances maladie, vieillesse et accident du travail, pour – comme il le disait – associer le « bout de sucre [au] fouet ». Entre les mains de l’État et des patrons, cette « protection sociale » reposait uniquement sur les salaires ouvriers, amputés de cotisations.

1910 – 1930 : le mouvement révolutionnaire contre la mainmise de l’État

À la fin des années 1930, la moitié de la population française était couverte par des « assurances sociales ». Mais ça n’a pas été sans heurts. En 1910, la CGT s’était notamment opposée à une loi qualifiée de « retraites des morts », parce que cette loi prévoyait la retraite à 65 ans… quand seulement 6 % des travailleurs atteignaient cet âge ! Mais, surtout, elle opposait que le prélèvement de l’État sur les salaires n’offrait aucune garantie que l’argent prélevé ne serve pas à en fin de compte à financer la guerre. En 1930, lors de l’extension de la protection sociale obligatoire, L’Humanité dénonçait une « vaste escroquerie puisqu’elle va voler six millions à la classe ouvrière » par le biais des prélèvements ouvriers. Et des grèves massives forcèrent une partie du patronat à augmenter les salaires pour compenser les prélèvements ouvriers opérés par la loi.

1945 : Sécurité sociale à la charge des travailleurs… adoubée par la gauche

En 1941, pour mobiliser les travailleurs dans la guerre, Roosevelt, Churchill et de Gaulle ont affiché le « progrès économique et la Sécurité sociale » comme objectifs. Mais, en 1945, hors de question pour l’État français de financer cette protection sociale. Les « assurances sociales » ont alors été unifiées et étendues, mais le principe restait le même : les cotisations, y compris prétendument « patronales », étaient supportées par les travailleurs. Le capital ne payait rien. Et, en prime, il a fallu financer les allocations familiales : la France devait être repeuplée. Cette arnaque, élaborée par des hauts fonctionnaires, fut validée par les dirigeants de la CGT, de la SFIO et du PCF dont le soutien a été déterminant pour calmer la colère devant les efforts à fournir dans l’après-guerre. Le PCF prônait le « produire d’abord, revendiquer ensuite », à l’instar de la CGT, qui qualifiait la grève d’« arme des trusts ». Heures sombres de l’histoire du PCF, qui était du reste au gouvernement (ministère de l’Aviation !) quand les révoltes de 1945 en Algérie furent bombardées, faisant plusieurs dizaines de milliers de morts… avant de réitérer à Madagascar.

« La Sécu, elle est à nous »… vraiment ?

Lors de sa mise en place, le régime général ne couvrait que la moitié de la population ! Et les indemnités maladie ne s’élevaient qu’à 50 % du salaire. L’extension des prestations et du périmètre de l’assurance maladie a permis, dans les décennies suivantes, une meilleure prise en charge, au prix de la compression des salaires, mais n’a jamais été un moyen de redistribution entre actionnaires et salariés. Loin du mythe, la Sécu n’appartient ni aux travailleurs, ni même aux syndicats associés à son administration. Son budget, formellement séparé, est contrôlé par l’État : il fixe les cotisations et prestations, contrôle la gestion et nomme les hauts fonctionnaires à la tête des caisses. Aujourd’hui encore, ce sont nos cotisations qui supportent le plus gros des investissements dans les hôpitaux, la recherche médicale ou la formation du personnel, sans même parler du coût des partenariats public-privé et des intérêts bancaires. L’intégration des structures syndicales à l’appareil d’État n’implique pas une prise en compte des intérêts des salariés, au contraire.

« L’émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste » affirmée dans la charte d’Amiens votée au congrès de la CGT de 1906 s’accompagnait dans les décennies qui l’ont suivie d’objectifs immédiats visant à faire payer le patronat et à ce que la classe ouvrière contrôle directement l’assurance sociale. À rebours des fabulations des mystificateurs de la Sécu et de l’État bourgeois, cette perspective socialiste reste la nôtre.

 

 


 

 

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