
Jeudi 23 octobre, les salariés de cette grosse association du secteur social se sont de nouveau mis en grève (voir nos articles précédents sur le site). Deux salariées grévistes, Marie et Camille ont répondu aux questions de Révolutionnaires.
Vous pouvez nous parler de la mobilisation d’aujourd’hui ?
Marie. Émergence-s, c’est une grosse association, plus de 350 salariés, sur deux gros sites, celui de Grémonville, près d’Yvetot, « les Tilleuls », là où on est aujourd’hui et celui de Rouen. Émergence-s, c’est de l’hébergement, pour des personnes sans domicile, c’est de l’accompagnement « santé », c’est de l’accompagnement RSA, pour le logement, du suivi par rapport à des mesures judiciaires. C’est une association qui a grandi au fil des années, et qui, à notre avis n’a pas bien su gérer un tel agrandissement. Elle est depuis mars 2025 en redressement judiciaire, sous l’égide d’une administratrice et d’une mandataire judiciaire. Les difficultés financières sont difficiles à évaluer vraiment, plein de chiffres sortent.
Camille. Le premier chiffre qu’on nous annonce avant le redressement judiciaire, dans le cadre d’un plan dit « de retour à l’équilibre », c’est un déficit de 1,7 million.
M. Et là maintenant on nous parle de 6 millions de dettes. Notre ancien DG, M. Adam, est parti en décembre et le conseil d’administration a fait le choix de mettre une direction de transition, un cabinet parisien qui est venu et dont les objectifs était de remettre la comptabilité d’équerre… et au passage de faire des économies sur nos tronches. Donc, il y a eu plusieurs mouvements sociaux depuis l’annonce du redressement judiciaire. Au départ, on ne savait même pas qui était notre ennemi : est-ce que notre ennemi, ce sont les pouvoirs publics qui ne financent pas suffisamment, est-ce que c’était notre ancien DG qui a fait n’importe quoi, notre CA, la nouvelle directrice de transition ? Franchement, on sait maintenant qu’elle est bien notre ennemie !
C. Le CA a fait le choix d’employer ce cabinet et cette directrice pour 1000 euros par jour, pour trois jours de présence par semaine. Donc cela nous a coûté de décembre à juin, 3000 euros par semaine.
M. Aujourd’hui, les salariés d’Émergence-s ont décidé de faire grève, car on nous annonce des économies, encore des économies. Et des économies, dans le social, ça joue sur l’humain.
C. La masse salariale c’est 70 % du budget de l’association.
M. On nous annonce aujourd’hui qu’il va y avoir un PSE, un plan de sauvegarde de l’emploi, donc des licenciements. Sauf qu’actuellement, la réorganisation, elle est déjà en cours et pèse sur les salariés qui sont en place et sur les résidents évidemment. Comme on a une directrice de transition maltraitante, qui a utilisé le mépris comme méthode de direction et la non-réponse, on a eu beaucoup de démissions et d’arrêts de travail. On a eu aussi beaucoup d’accidents de travail liés à la violence des usagers, car beaucoup de services ont été remodelés, car tous ces postes-là n’ont pas été remplacés. On a déjà un dégraissage, avant même le PSE !
C. On a bien en effet un premier ennemi, les pouvoirs publics, qui ont énormément baissé les dotations sur les dix dernières années. On a une direction générale qui nous a emmené droit dans le mur, on a une dette de 6 millions qu’il faut résorber, des déficits structurels annuels. On nous impose donc structure par structure un retour à l’équilibre et on nous dit que cela ne se fera pas sans baisser la masse salariale. Cela fait trois mois qu’on nous répète quotidiennement : réorganisation et PSE à venir. Mais celui-ci ne se met pas en place, il était censé être coordonné par le CA fin septembre, mais toujours rien. Du coup, on travaille dans tous les services constamment en sous-effectifs, ce qui retombe sur les usagers, car cela n’est pas possible autrement. La direction générale est maltraitante, elle ne respecte pas le Code du travail et ne répond à aucune de nos interpellations, ni même aux mails pour certains services, avec des dispositifs à l’abandon.
Comment envisagez-vous la suite ?
C. On sait qu’il y a une réforme de l’hébergement qui arrive avec une tarification qui sera encore moins favorable à celle qu’on a aujourd’hui. D’autres dispositifs vont voir leur budget réduit, alors que tout est déjà misérable. C’est une catastrophe qui s’annonce. Que Les Tilleuls se mobilisent comme ça aujourd’hui, c’est inédit. J’ai des collègues qui sont là depuis douze ans et c’est la première fois que ça débraye comme ça, que c’est aussi fort. Nous, ce qu’on attend aujourd’hui, c’est de la communication, c’est qu’on sache où on va, parce que là on a l’impression clairement que tout le monde navigue à vue. Et en attendant, eh bien les gens partent, ils ne sont pas remplacés, ce sera des indemnités licenciement qu’ils n’auront pas besoin de payer. Ce n’est plus possible, ça fait deux ans qu’on nous dit « on a une dette, on a une dette, on a une dette… », le montant monte de mois en mois. On a payé des organismes pour faire un plan de retour à l’équilibre qui n’a absolument pas abouti, des audits qui n’ont pas abouti. Tout est tombé à l’eau : la compta, on a quand même engagé quelqu’un qu’on a payé à prix d’or en tant que directrice pour nous remettre à flots, on n’a toujours pas de compta claire et nette qui soit compréhensible.
M. on n’arrive toujours pas à nous expliquer le déficit. C’est fou.
C. C’est fou furieux. La politique publique ne croit plus en l’hébergement collectif, on le finance moins, donc baisse la masse salariale. Sauf que du coup l’accompagnement qui est proposé n’est plus aussi bon que quand on a suffisamment de moyens, donc nécessairement les gens vont moins sortir du dispositif collectif. C’est un non-sens, un non-sens total. On est censés être une association « militante » et aujourd’hui on a une gouvernance qui ne milite absolument pas, qui accepte et qui fait tout retomber sur les salariés et les usagers.
Propos recueillis par M.I.
