
Texte d’un exposé des Rencontres d’été révolutionnaires, le 25 août 2025
Dimanche 17 août, le Qatar a annoncé qu’un accord de paix avait été partagé entre le mouvement du 23 mars (M23) et la République Démocratique du Congo (RDC). Cet accord a pour but de mettre fin à l’offensive du M23, un groupe armé crée en 2012 par des anciens officiers des forces armées congolaises, entrés en rébellion contre le gouvernement de l’époque et soutenu par le Rwanda, pays voisin.
Cette offensive du M23 a débuté en 2021, mais a eu son point d’orgue au début de l’année 2025, l’avancée des troupes du M23 soutenues par près de 4 000 soldats des forces de défense rwandaises (FDR – armée régulière du Rwanda) ayant entraîné la prise de Goma, capitale de la province congolaise du Nord-Kivu, de Rubaya, principale cité minière du Nord-Kivu et de Bukavu, capitale de la province du Sud-Kivu. De fait le M23 et donc le Rwanda contrôlent une importante zone de l’est congolais, frontalière de l’Ouganda, du Rwanda et du Burundi.
Malgré l’annonce de ce projet d’accord de paix, le bruit des bottes continue de se faire entendre dans cette région déstabilisée depuis plusieurs décennies par des conflits armées et la présence de milices en tous genres, que l’on estime à plus de 120 réparties entre le Nord et le Sud-Kivu.
Les guerres d’Afrique : insécurité ou pillage ?
Ces milices sont d’obédiences variées : certaines comme le M23 (qui est l’une des plus puissantes aujourd’hui) roulent pour le Rwanda. L’Ouganda tout comme le Burundi voisins peuvent eux aussi compter sur des milices qui interviennent pour leurs intérêts dans la région. D’autres encore sont liées à Étatl’État Islamique comme les ADF (Forces Démocratiques Alliées). Et parmi ces milices qui prolifèrent certaines sont directement liées au pouvoir central de la RDC : ainsi les Forces Armées de la RDC (FARDC) administraient militairement la province du Nord-Kivu depuis des années en s’appuyant sur des milices dites « d’auto-défense communautaire », sur les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), dernière résurgence politico-militaire des génocidaires hutus rwandais ou encore sur des sociétés privées.

L’offensive du M23 de ces derniers mois a entraîné le déplacement de plus de un million de personnes, à cause des affrontements principalement. Les milices toutes puissantes s’adonnent sans scrupules à des exactions en tous genres : exploitations, vols et pillages, viols collectifs, enlèvements et exécutions sommaires, enrôlement d’enfants-soldats… Le M23 n’a pas l’exclusivité des violences envers les populations locales : un rapport de l’ONU sur la situation des droits de l’homme1 dans l’est de la RDC entre janvier et juin 2023 indique que les principaux responsables des exactions (mauvais traitements, exécutions, violences sexuelles, travaux forcés, etc.), commises sur les populations civiles, sont les milices communautaires (Maï-Maï et Codeco), les FARDC (35 % des violations des droits de l’homme) et les agents de l’État congolais, devant les miliciens du M23, qui ne sont néanmoins pas en reste.
Une guerre pour le contrôle d’une zone riche en matières premières
Ce qui se joue depuis des décennies, c’est le contrôle sur des régions riches en ressources : la RDC en général et les régions autour du lac Kivu en particulier regorgent en effet de bois, de gaz et de pétrole mais aussi et surtout d’or, de diamants, d’uranium, de cobalt, de niobium, de cuivre, de manganèse, d’étain, de tantale ou encore de plomb et de zinc. Autant de minerais qui sont considérés de nos jours comme « stratégiques ». Ce sont ces ressources minières qui sont la principale ressource économique de la RDC, le secteur minier contribuant aujourd’hui pour près de 80 % des ressources à l’exportation de la RDC.

Parmi les métaux extraits du sol congolais, le cobalt est un élément essentiel qui rentre dans la composition de différents types de batteries électriques (donc pour les industries automobiles ou des téléphones portables, entre autres), les turbines à gaz ou même dans les réacteurs nucléaires. Le tantale, tout comme le niobium sont utilisés pour fabriquer des alliages pour les turbines à gaz, dans les moteurs d’avions mais également de plus en plus dans l’électronique, notamment des voitures et des téléphones portables. Ces quelques exemples sont parlants, car la RDC est aujourd’hui le 1er producteur africain pour le cuivre et en possède la 7e réserve mondiale, le premier producteur mondial de cobalt avec près de 75% de la production en 2023, et elle possède entre 20 et 30% des réserves mondiales de coltan, un minerai qui contient du tantale et du niobium.
Pendant que les populations souffrent des crises humanitaires par manque d’accès à la nourriture, à l’eau et aux soins, et à cause de la prolifération de la violence, de la pauvreté et des déplacements forcés, le business continue pour les milices et les États. Les mines contrôlées par les milices leur permettent de faire passer la production en contrebande dans d’autres États qui les revendent alors pour leur propre compte, assurant ainsi de jolis bénéfices. Un groupe d’experts de l’ONU estimait par exemple, début 2024, que les pillages rapportaient 800 000 dollars par mois au M23, rien que par les taxes qu’il prélève sur le coltan exporté. Les revenus réels du M23 sont donc sans aucun doute bien supérieurs puisqu’il s’agit d’une part d’une estimation, qu’aujourd’hui le M23 contrôle un bien plus grand territoire que début 2024, et enfin qu’elle ne s’appuie que sur les taxes sur le commerce et le transport des marchandises, pas sur l’exploitation directe des mines et des creuseurs artisanaux. Le Rwanda lui est devenu en 2023, et pour la 5ème fois depuis 2014, le premier exportateur mondial de coltan alors qu’il ne possède pas une seule mine de coltan sur son territoire, l’exportation de minerais rapportant à l’État rwandais plus de un milliard de dollars. Ce ne sont que deux exemples qui ne sont évidemment pas exclusifs, il faudrait aussi généraliser ces faits aux autres minerais, aux autres milices et aux autres États de la région, même si le Rwanda est le principal acteur et bénéficiaire de l’exploitation illégal dans le Nord-Kivu.
Les acteurs locaux, milices comme États et bourgeoisies locales, ne sont que les intermédiaires tirant leur dîme de l’exploitation de ces richesses. Tous ces métaux et minerais dits stratégiques sont essentiels pour des industries de pointe : l’automobile, la téléphonie, l’électronique en générale et bien évidemment, pour l’industrie de la guerre. Nombre d’entreprises bien connues comme Apple, Samsung, Google, Microsoft, Tesla pour n’en citer que quelques-unes s’approvisionnent en minerais de cette région. Dignitaires rwandais, et congolais, mais aussi ougandais et burundais, comme les entreprises du secteur minier engrangent les gros billets et à travers eux, les industries capitalistes clientes de ces minerais réalisent elles-aussi de juteux profits grâce à ces « minerais de sang », en connaissance de cause.
Du roi des Belges aux rois du coltan, la malédiction du Congo

Les convoitises des capitalistes, notamment européens et américains, pour les richesses du sol et du sous-sol congolais ne sont pas nouvelles : toute l’histoire récente de cette région est intimement liée aux capacités d’exploitation des ressources naturelles, surtout minérales. Sous Léopold II déjà, roi des Belges de 1865 à 1909, qui était le propriétaire direct de ce qu’on appelait à l’époque « l’État indépendant du Congo » entre 1885 et 1908. Le « Congo belge » n’était donc pas officiellement une colonie, c’était une « association internationale » qui était reconnue à la tête de l’État. Léopold II a organisé à cette époque le pays pour assurer au maximum l’exploitation de ses ressources (caoutchouc, ivoire et minerais (or, cuivre…), et bien sûr agriculture) par le développement d’un État colonial à travers quelques infrastructures comme des voies ferrées, des itinéraires fluviaux… mais surtout une administration et une force de répression, ou encore par l’accaparement des terres. Autant de structures qui ont permis la mise en place de l’exploitation des ressources et des habitants pour le compte d’entreprises occidentales. De toute évidence, la fin de « l’État indépendant du Congo » en 1908 et son annexion par la Belgique pour en faire une colonie en bonne et due forme ne changea absolument rien à la situation du Congo belge.
Le Congo arrache son indépendance à la Belgique le 30 juin 1960. Hors de question pour les compagnies minières de l’époque que cette indépendance confisque leur source de profit. La région du Katanga, une des plus riches en métaux, fait sécession sous l’impulsion de Moïse Tshombé, soutenu par la puissante Union minière du Haut-Katanga, groupe industriel belge, et par les milieux d’affaires pro-occidentaux. Le Katanga finira par être de nouveau rattaché au Congo quelques années plus tard, à peu près conjointement avec la prise du pouvoir par un coup d’État en 1965 de Joseph-Désiré Mobutu. Cette dictature ramènera une certaine « stabilité » au pays qui sera renommé Zaïre en 1971. Tout comme il a pu compter sur le soutien de la CIA ainsi que sur l’intervention de mercenaires français et belges pour assurer son coup d’État après avoir assassiné Patrice Lumumba, leader de l’indépendance congolaise en 1961, Mobutu pourra compter sur leurs commandos pour se maintenir au pouvoir, par exemple lors de la répression d’une rébellion dans le Katanga en 1978. Voilà pour la « stabilité ». Mobutu a ainsi permis aux capitalistes occidentaux de maintenir leurs intérêts dans la région, ce qui fera sa propre fortune.
Du génocide rwandais à la guerre du Kivu
Mais la région est de nouveau déstabilisée après 1994. Les violations des droits humains dont est accusé le régime de Mobutu rendent son soutien de plus en plus difficile. La corruption du régime et son clientélisme participèrent du dépeçage de l’industrie minière : on estime que la production de cuivre et de cobalt est passée respectivement de 500 000 tonnes et 17 000 tonnes à la fin des années 1980 à 37 000 et 3 800 tonnes alors que les années 1990 correspondent à un boom de la demande en métaux, notamment en coltan, avec le développement de l’industrie aérospatiale et numérique. Pour les industriels et les grandes puissances, l’ère Mobutu est donc moins favorable que l’ère coloniale, ce qui explique son lâchage par les États-Unis et l’Union Européenne (le Congo ne bénéficiera plus à partir de 1992 d’aucune aide internationale des pays occidentaux ou des institutions internationales, FMI ou Banque Mondiale). Pour se maintenir au pouvoir, Mobutu a alors cherché à s’appuyer sur les anciens génocidaires ayant fui le Rwanda, installés à l’est du pays. La première guerre du Congo de 1996-1997 l’oppose à une coalition autour de l’Alliance des Forces Démocratiques de Libération du Congo de Laurent-Désiré Kabila, soutenue par le Rwanda et l’Ouganda. Mobutu finit par fuir laissant Laurent-Désiré Kabila à la tête de la toute nouvelle RDC. Cette première Guerre du Congo a été également l’occasion d’une redéfinition des rapports de forces impérialistes : les États-Unis et le Royaume-Uni ont profité de leur soutien au Rwanda, à l’Ouganda et à Kabila pour gagner en influence dans une zone considérée comme le pré-carré franco-belge, ces derniers qui paient ainsi le prix de leur soutien sans faille aux génocidaires hutus.
La région est depuis durablement déstabilisée, la fuite des anciens génocidaires et la première guerre du Congo ayant exacerbé la prolifération de milices et fournissant constamment des prétextes sécuritaires à de nouvelles incursions. Dès 1998 les anciens alliés de la veille, le Rwanda et l’Ouganda et les milices à leurs services, se retourneront contre la RDC de Laurent-Désiré Kabila, soutenue par le Zimbabwe et l’Angola. Kabila avait cherché à chasser les États Rwandais et Ougandais de son territoire, ce qui les aurait empêché de profiter d’une manne financière certaine liée au pillage des ressources. La deuxième guerre du Congo a duré de 1998 à 2003 et s’est soldée par l’assassinat en 2001 de Laurent-Désiré Kabila et l’accession au pouvoir de son fils Joseph Kabila. Alors que son père cherchait à renier les accords miniers passés avec les entreprises américaines et à nouer des alliances internationales plus à l’Est, Joseph Kabila fera preuve de davantage de docilité vis-à-vis des impérialistes occidentaux.
On peut noter d’autres évènements marquants de ces dernières décennies, notamment les guerres qui eurent lieu en 2007-2008 et 2012-2013 – c’est cette dernière qui a fait d’ailleurs apparaître pour la première fois le M23. Depuis le début des années 1990, chacun des conflits est concomitant avec une augmentation des besoins internationaux en métaux : développement de l’aérospatiale, de l’informatique et de l’électronique dans les années 1990-2000, apparition et développement du smartphone pour la guerre de 2007-2008 et des tablettes pour celle de 2012-2013.
« Transition énergétique », contrôle du Kivu et concurrence entre les États-Unis et la Chine en 2025
Dans la droite ligne des conflits des années 1990-2013, celui qui a débuté depuis 2021 s’inscrit dans la ligne de ces velléités pour les puissances locales d’assurer le contrôle d’une partie de la production en métaux et ainsi de pouvoir négocier avec les puissances impérialistes qui, elles, désirent s’assurer un approvisionnement sécurisé. Les États-Unis, notamment, avaient en partie délaissé cette chaîne de production à partir des années 2010, avec des industriels qui se sont désengagé de la RDC. Un désengagement qui a largement profité à la Chine dominant aujourd’hui près de 70% du secteur minier en RDC mais également près de 80 % du raffinage des métaux grâce au fameux « contrat du siècle » signé en 2008 et qui promettait des investissements massifs dans des infrastructures en échange de l’accès aux mines. Investissements dont la population congolaise n’a jamais vu la couleur. La guerre en cours a donc permis la signature d’un accord le 27 juin 2025 entre les États-Unis, la RDC et le Rwanda, avant même l’accord de paix entre les belligérants qui est toujours en cours de négociation. Cet accord de juin 2025 vise à légaliser le système de prédation à l’œuvre dans le Nord-Kivu dont la production continuerait d’accéder aux marchés internationaux via le Rwanda, mais dorénavant par le biais d’entreprises américaines. En échange, le Rwanda et la RDC ont signé un traité de paix liant leurs deux armées nationales, mais pas les milices (la guerre continue !) ainsi qu’un « mécanisme conjoint de coordination en matière de sécurité » sous l’égide des États-Unis. Promesse de sécurité troquée contre le business.
Des appétits nouveaux qui menacent tout le continent
Le développement du numérique, et de la mal-nommée « transition verte » avec ce qu’elle implique d’extension de la production des voitures électriques et de développement de sources de productions d’énergie électrique, le développement des industries de l’armement avec l’augmentation des budgets et la marche à la guerre, vont faire exploser les besoins en ces métaux pour répondre à la production capitaliste dans les prochaines années. C’est une des raisons des résurgences du conflit dans l’est de la RDC. L’Agence Internationale de l’Énergie prévoit que la demande en métaux stratégiques va sans doute quadrupler d’ici 2040. Selon les métaux, la demande pourrait être multipliée par un nombre compris entre 7 et 42. A l’heure actuelle les capacités de production (extraction et purification) seraient largement insuffisantes : toujours selon cette agence, les projets miniers prévus jusqu’à 2030 correspondraient à 1/10ème de ce qu’il faudrait à l’industrie capitaliste selon les prévisions.2

Si la situation en RDC est particulièrement critique, à cause de son histoire indissociable de l’industrie minière, et d’un Est ravagé par la guerre depuis des années, l’appétit des puissances impérialistes risquent de fondre sur le continent africain dans son ensemble au vu des besoins futurs. La demande sera suffisamment forte pour qu’aucun filon encore inexploré ne reste à l’abandon. Le continent est déjà connu pour être un réservoir de richesses et certains pays ou régions sont depuis longtemps soumis à leur exploitation. C’est le cas principalement dans la zone Australe avec des pays comme la RDC bien sûr mais également l’Afrique du Sud, la Zambie, la Namibie ou le Zimbabwe, ou encore autour de la zone du Sahel : le Mali, le Niger et Nigeria, le Ghana.
Aujourd’hui, l’exploitation est largement organisée autour de l’or, de l’uranium, du cuivre, du platine et bien sûr du cobalt et du coltan en RDC, même si des productions d’autres métaux, plus directement liés aux nouvelles technologies, sont déjà à l’œuvre. Mais les ressources restent encore largement inexploitées, et les projections des réserves peut-être sous-évaluées sont extrêmement importantes. D’après le think tank américain Center for Strategic and International Studies (CSIS), le continent posséderait 90 % des réserves mondiales de platine, 85 % des réserves de manganèse, 58% des réserves de cobalt et 21% des réserves de graphite. L’Institut International pour le Développement Durable estime lui que le continent disposerait de 90 % des réserves de platinoïdes, 80 % de coltan, 70 % du tantale, 46 % des réserves de diamant, 40 % des réserves aurifères et 10 % des réserves pétrolières. Et la liste pourrait continuer.
Malgré les richesses déjà exploitées (or, diamant, pétrole, cuivre, cobalt etc…) les bénéfices ne reviennent jamais aux travailleurs ou ne permettent que très rarement la construction d’infrastructures utiles à la population. L’augmentation des besoins en métaux critiques dont regorge le sous-sol du continent n’en sera donc pas plus « une chance » pour les populations locales, tant les bénéfices seront accaparés par les industriels du secteurs miniers et les multinationales du numérique, de l’aérospatiale ou de l’automobile et tant la concurrence pour le contrôle des chaînes d’approvisionnement se fera à leur dépens. La course est lancée et les impérialistes, États-Unis en tête, Chine et puissances européennes derrière, sont déjà à la manœuvre.
Les concurrences impérialistes en Afrique
Pour les principales puissances impérialistes, la question du contrôle et de l’accaparement des ressources fait du continent africain un enjeu central aujourd’hui. Ces rivalités impérialistes ne sont pas propres au continent africain, mais en raison de la grande pauvreté et vulnérabilité de nombreux pays, elles prennent un visage particulièrement dramatique, notamment celui de guerres permanentes.
L’entrée de la Chine en Afrique
La Chine fait figure de nouvelle arrivée parmi les compétiteurs et son poids économique et politique est souvent exagéré par des analystes issus des puissances impérialistes les plus anciennes, européennes ou états-uniennes. Une manière de mettre en scène la compétition et de justifier son caractère exacerbé, de la part de puissances comme la France ou les États-Unis, dont l’emprise sur le continent africain ne s’est en réalité pas affaiblie. Le « China-bashing » a le vent en poupe et parler de « Chinafrique » a pour seul but de relativiser ce qu’est toujours la « Françafrique » aujourd’hui, à travers sa domination néocoloniale. La Chine exploite et pille des ressources naturelles, endette auprès d’elle des pays très pauvres, comme l’ont fait, et continuent à le faire, la France et les États-Unis. Tout comme la rapidité du développement économique de la Chine, son investissement en Afrique est cependant une réalité. Depuis son décollage économique dans les années 1990, et surtout depuis les années 2000, elle est en recherche de matières premières et de débouchés commerciaux. Elle a importé de plus en plus de pétrole du continent africain, avec une petite baisse récente, depuis que la Russie sous sanctions occidentales est devenue un de ses principaux fournisseurs. De manière générale, la carte de ses échanges commerciaux avec les pays d’Afrique se superpose avec la carte des ressources naturelles. On peut évoquer le « contrat du siècle » négocié par la Chine avec la RDC pour l’exploitation de la mine de Tenke Fungurume, deuxième mine de cobalt au monde.
Elle est aussi devenue le premier partenaire commercial du continent africain, elle importe principalement des matières premières et y exporte des biens de consommation, surtout des marchandises à bas coût et de faible qualité, invendables ailleurs. D’où le dicton, « achète chinois, achète deux fois ». En revanche, ses investissements directs étrangers, donc ses exportations de capitaux, sont faibles comparées aux anciens pays impérialistes. En 2021, les flux d’IDE chinois vers le continent africain étaient de 4,9 milliards de dollars, soit l’équivalent de l’investissement du groupe Pepsi au Mexique pour la même année. Elle arrive derrière les Pays-Bas, la France, le Royaume-Uni et les États-Unis. La Chine n’est pas l’investisseur massif souvent dépeint.
Mais la réalité est plus complexe, et les IDE chinois sont d’une certaine manière sous-estimés : la Chine investit beaucoup sous la forme de prestations de services ; elle négocie des accès aux matières premières, en échange de construction d’infrastructures ou de prêts financiers. Cette spécialisation dans les infrastructures, nécessaires à la captation des matières premières, est une caractéristique importante, et un point fort de la présence de la Chine en Afrique. C’est par cette politique de grands travaux qu’elle aménage sa présence sur le continent. Ces infrastructures sont construites par des entreprises chinoises, et financées par des banques chinoises.

Certains, dans l’extrême-gauche, en restent à dire que la Chine n’est pas un pays impérialiste. Le fait que ces entreprises et ces banques soient dans l’écrasante majorité des cas, des entreprises d’État et des banques d’État, ne change rien au fond de l’affaire : la Chine est un pays capitaliste, qui nourrit sa croissance par l’exploitation des ressources mais aussi par l’exploitation de sa propre main d’œuvre chinoise sous-payée, et de plus en plus, par la main d’œuvre du continent africain. L’État chinois utilise ses capacités de centralisation et de financement au service de cette politique, générant les profits bien privés de nombre de capitalistes. Les entreprises chinoises ont ainsi réalisé chaque année en moyenne 47 milliards de dollars de chiffre d’affaire en Afrique depuis 2013. A comparer au montant de leurs IDE, plus de 10 fois inférieur.
Les Nouvelles routes de la soie, lancées par Xi Jinping en 2013, passent par l’Afrique et lui permettent d’écouler ses surcapacités en acier et en béton, en construisant un tiers des infrastructures du continent. Routes, voies ferrées comme celle reliant Djibouti à Addis-Abeba en Éthiopie, siège de l’Union Africaine également en Éthiopie, infrastructures portuaires… La Chine possède aussi des terres cultivées, des forêts… L’accaparement des terres a connu une forte progression depuis les années 2020. La Chine posséderait actuellement 4 millions d’hectares sur le continent africain, aux côtés d’autres accapareurs, Émirats arabes unis, Arabie Saoudite, Inde, et surtout France, États-Unis et Royaume-Uni qui possèdent chacun autour de 2 millions d’hectares. Elle a aussi ouvert des parcs industriels, suivant le modèle des Zones Économiques Spéciales chinoises, des zones franches. Selon les sources, il y aurait 28 à 45 « parcs industriels » créés par la Chine en Afrique, surtout depuis 2011, principalement en Afrique de l’Est, notamment en Éthiopie. Les entreprises chinoises présentes en Afrique ont de ce fait profité elles aussi d’un accord commercial avec les États-Unis, un accord nommé l’AGOA (African Growth and Opportunity Act) qui sera discuté plus bas, avec des franchises de douane vers les États-Unis. Plus de la moitié de la production textile du Botswana et de l’Ouganda exportée vers l’Amérique du Nord était réalisée par des entreprises chinoises. Ce sont donc en partie ces entreprises chinoises que visent aujourd’hui les nouveaux droits de douane que vient d’annoncer Trump (début août) pour une série de pays d’Afrique.
Anciens et nouveaux prédateurs s’additionnent

La Chine est donc bel et bien une puissance capitaliste très active en Afrique, y compris dans l’exploitation de la classe ouvrière africaine. Mais elle s’immisce surtout dans les interstices laissés par ses concurrents. Elle investit dans des pays considérés comme trop risqués, comme le Soudan du Sud ou la Libye. Quand elle est concurrence avec d’autres puissances, elle peut se trouver rapidement évincée. On peut citer le Gabon qui a finalement confié le contrat du port de Libreville à MSC (groupe italo-suisse) au lieu d’un groupe chinois. De manière générale, la Chine joue un rôle dans la gestion de 19 ports africains sur 55. Dernière mésaventure chinoise en date, la modernisation du corridor ferroviaire de 1 700 km qui relie le port de Lobito en Angola à Kolwezi, en RDC, et attise toutes les convoitises car elle désenclave l’une des régions les plus riches du monde en cuivre et en cobalt, à la croisée de la RDC, de la Zambie et de l’Angola, en lui donnant accès à l’océan Atlantique. Ce corridor pourrait acheminer les minerais depuis la ceinture de cuivre vers l’océan en quarante-cinq heures au lieu de quarante-cinq jours. Le consortium chinois qui avait été retenu pour les travaux a finalement été écarté au profit de Trafigura, négociant suisse en matières premières, impliqué dans de nombreux scandales de corruption, pollution aux déchets toxiques en Afrique, mais soutenu par l’Europe et les États-Unis. Les États-Unis ont annoncé, en juillet 2024, l’octroi d’un prêt allant jusqu’à 553 millions de dollars pour la modernisation de la ligne et l’achat de locomotives. Les matières premières seront prioritaires, au détriment des habitants de la région qui empruntent la ligne pour vendre leurs produits agricoles et n’auront plus les moyens de se payer le billet.
Dernier aspect qui relativise la puissance de l’impérialisme chinois : la présence militaire. La Chine est devenue le deuxième fournisseur d’armes en Afrique entre 2020 et 2024. Mais cela peut aussi illustrer sa puissance commerciale. Pour certains gouvernements africains, cette diversification des fournisseurs d’armes (Chine, Russie) leur permet de tenter de jouer leur propre carte vis-à-vis des puissances impérialistes traditionnelles (États-Unis, France).
La présence militaire de la Chine en tant que telle est relativement faible. Elle possède une base navale à Djibouti depuis 2017, qui vise avant tout à sécuriser son commerce maritime. Les 2000 à 3000 militaires chinois déployés en Afrique le sont sous l’égide de l’ONU, tout particulièrement dans les pays où sont présents des intérêts chinois, comme le Soudan du Sud. La Chine se concentre sur la sécurisation des installations pétrolières, celle de ses ressortissants, aussi par le biais de compagnies de sécurité privées, mais n’est pas en mesure d’imposer militairement ses vues sur le continent africain. C’est aussi le revers de ce qu’elle présente comme un avantage aux pays dans lesquels elle investit : n’avoir aucune exigence politique, aucun pré-requis en matières de droits de l’Homme etc. La France, les États-Unis n’ont pas non plus d’exigence morale, mais ils peuvent être en mesure d’imposer leurs conditions, tout particulièrement les États-Unis actuellement.
Regain d’intérêt des États-Unis pour l’Afrique
Les États-Unis restent en effet l’impérialisme dominant sur le continent africain, comme ils le sont à l’échelle mondiale. Ont-ils opéré récemment un « pivot vers l’Afrique » en réponse à la concurrence chinoise, avec un renouveau dans leur présence active sur le continent ? La réalité est plutôt qu’ils n’ont jamais sous-estimé l’importance de leur implantation dans les pays d’Afrique. Ils avaient un pied aux côtés de l’Angleterre en Afrique du Sud, aux ressources minières si riches. A l’indépendance du Congo belge (actuelle RDC), ils avaient imposé leur tutelle sur le pays et la région du Katanga (et été au passage les maîtres d’œuvre de l’assassinat de Lumumba). Au Nigeria, ex-colonie britannique indépendante en 1960, ils avaient soutenu de quelques livraisons d’armes le gouvernement central, quand De Gaulle soutenait la sécession du Biafra (une guerre qui a duré de 1967 à 1970 et fait 2 millions de morts, sur fond de concurrence pour le pétrole). Ce continent, au moment des indépendances, étant une des nombreuses arènes de la guerre froide, les États-Unis intervenaient en Angola… par soldats d’Afrique du Sud interposés.
Après l’éclatement de l’URSS, les États-Unis ont continué leur lutte d’influence. Ce sont eux qui, débarrassés de la menace de voir un Mandela verser du coté de l’URSS, ont parrainé la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, le grand patronat minier étant pour en finir avec cet anachronisme qui gênait leurs affaires.
La lutte d’influence entre les deux puissances s’est aussi exercée contre l’ancienne puissance coloniale française. Ce « front anglophone » concurrençant un espace francophone, celui de la Françafrique, obsédait Mitterrand. C’est ce qui a mené au génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, avec le soutien de la France. Les liens des États-Unis avec Kagame, encore aujourd’hui à la tête du Rwanda, datent de cette époque. Tout comme ceux avec Museveni, président de l’Ouganda voisin.
Actuellement, ce serait la concurrence entre les États-Unis et la Chine qui constituerait l’axe central du conflit impérialiste, tant en Afrique qu’à l’échelle mondiale. Mais on peut surtout considérer qu’il y a une accentuation générale des rivalités impérialistes autour des ressources, partout dans le monde, et que sur le continent africain également, on observe une poussée de l’engagement militaire de la part des plus grandes puissances mondiales, en particulier les États-Unis, ce qui explique les nombreuses guerres déjà évoquées.
La création de l’AGOA (l’African Growth and Opportunity Act, loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique) que Trump est en train de remettre en cause, a été votée en 2000 sous Clinton. Cette loi, mentionnée plus haut, exempte de droits de douane un ensemble de produits en provenance d’une quarantaine de pays d’Afrique subsaharienne. Cela représente bien évidemment un instrument d’influence pour les États-Unis, et c’est bien pour cela que Trump en joue, par exemple en mettant actuellement sous pression l’Afrique du Sud, dont il augmente les droits de douane.
L’investissement militaire américain en Afrique
Dans le cadre de l’accentuation des rivalités pour ces matières premières, c’est l’investissement militaire des États-Unis sur le continent africain qui s’est véritablement renforcé, avec une accélération à partir de 2003. La rhétorique de la « guerre humanitaire », puis de la « guerre contre le terrorisme » après le 11 septembre 2001, a pris le relais de la guerre froide pour justifier les interventions.

En 2003, les États-Unis lancent l’initiative Pan-Sahel, avec le Mali, le Tchad, le Niger et la Mauritanie en annonçant les aider à combattre les groupes terroristes. Ils font de même pour toute la zone Est-Africaine allant du Soudan jusqu’au Mozambique.
C’est sous ce prétexte de lutte contre le terrorisme que les États-Unis créent l’Africom en 2007, le Commandement des États-Unis pour l’Afrique, qui coordonne toutes les activités militaires des États-Unis sur le continent.
C’est sous Obama, président de 2009 à 2017, que l’engagement militaire des États-Unis sur le continent africain s’est encore accentué. Même l’épidémie d’Ebola, en 2014, a fourni le prétexte à l’accroissement de la présence militaire US en Afrique, en déployant des milliers de soldats dans les pays les plus durement touchés par l’épidémie.
La plupart de ces opérations sont très peu connues en raison du caractère secret de l’Africom. Les interventions ont pris de plus en plus la forme de guerres par procuration : avec un recours accru aux drones, comme en Somalie ou au Sahel, et en s’appuyant sur des alliés clés, comme Museveni, président de l’Ouganda. L’Ouganda est en effet un des principaux piliers de la politique américaine en Afrique de l’Est et dans la région des Grands Lacs, une région stratégique en raison des routes maritimes majeures et des découvertes pétrolières qui y ont encore accentué les rivalités impérialistes. Un exemple marquant de cette politique est l’intervention de l’Ouganda en Somalie sous l’égide des troupes de l’Union africaine déployées depuis 2008 pour soutenir le gouvernement somalien allié des États-Unis. La guerre aérienne a aussi pris le relais des interventions au sol, comme lors des bombardements menés en 2011 en Libye, sous l’égide de l’OTAN.
Un autre exemple marquant de cette période a été la sécession du Soudan du Sud, dont l’indépendance a été proclamée en 2001, soutenue par les États-Unis, qui espéraient ainsi accéder plus facilement à ses ressources pétrolières. Le Soudan du Sud est considéré comme possédant les troisièmes plus grandes réserves pétrolières d’Afrique, après l’Angola et le Nigeria. Mais la guerre civile qui s’en est suivi a contrarié les projets des multinationales américaines, et pour le moment c’est la Chine qui importe les trois quarts du pétrole sud-soudanais.

Les États-Unis ont donc alimenté de nombreuses guerres sur le continent africain. Leur investissement militaire peut aussi rencontrer certains revers, comme actuellement au Sahel. Au Mali, Burkina Faso, Niger, les dirigeants actuels peuvent jouer sur d’autres tableaux : la Russie y a refait son apparition, par la présence de milices privées, comme le groupe Wagner au Mali (repris en main par Poutine depuis la défection puis l’élimination de son fondateur Prigojine). Même si elle a toutefois réduit son investissement militaire en Afrique avec ses besoins pour la guerre en Ukraine… Et ce sont les hommes de l’Africa Corps, le nouveau corps paramilitaire russe successeur du groupe Wagner, qui, en juillet 2024, ont pris la relève en appui de l’armée nigérienne après l’éjection des troupes françaises, mais aussi des troupes américaines qui avaient fait du Niger leur principale base militaire sur le continent.
En dépit de cette militarisation croissante de la présence américaine sur le continent africain, Trump présente actuellement les États-Unis comme un facteur de paix ! Il s’est récemment mis en scène à travers l’accord de paix entre le Rwanda et la RDC, signé à Washington le 27 juin dernier. Cet accord sera-t-il respecté ? Rien n’est moins sûr, et des combats continuent, les nombreux groupes armés qui s’affrontent dans l’Est de la RDC n’ayant pas été invités à la table des négociations. Ce qui est sûr en revanche, c’est que Trump en a profité pour exiger l’accès aux ressources de la RDC au détriment de la Chine. A travers son slogan, « Trade not aid » [le commerce, pas les aides], qui n’a rien de nouveau, puisqu’il avait déjà été brandi par Reagan dans les années 1980, il tente de négocier tous les contrats possibles, pour évincer la Chine, mais aussi les autres concurrents, comme la France en Côte d’Ivoire, où Washington vient d’annoncer des investissements record dans l’industrie pétrolière et minière.
Déboires et survie de la Françafrique
Alors qu’en est-il de la Françafrique ? Elle a dû réduire sa présence militaire au Sahel, mettant fin à l’opération Barkhane et retirant des troupes de pays qui faisaient partie de son « pré carré » colonial. Les juntes militaires au pouvoir au Mali, Niger et Burkina Faso tentent de surfer sur un sentiment de rejet de l’impérialisme français bien légitime de la part de leurs populations. La France a dû faire de même en Centrafrique, au Tchad, où Déby fils avait pourtant été immédiatement adoubé par Macron dès la mort de son père, et maintenant les militaires français quittent le Sénégal, à la demande de son nouveau président, membre du Pastef, parti des patriotes africains du Sénégal, qui vante le panafricanisme et la souveraineté face à l’ancienne puissance coloniale. Mais ces pays font toujours partie du Franc CFA. Même si la France garde officiellement deux bases militaires sur le continent, avec 350 militaires au Gabon et 1500 à Djibouti elle a malheureusement de beaux restes : c’est « l’empire qui ne veut pas mourir », selon le titre du livre sur la Françafrique de l’association Survie. La coopération militaire, la formation, la fourniture d’équipements permettant aux régimes dictatoriaux de réprimer leur population, continuent de plus belle dans plusieurs pays, en toute discrétion. En témoigne par exemple la répression sanglante de la population togolaise en lutte contre le règne de Faure Gnassingbé avec la complicité de la France au mois de juin dernier. Elle soutient Paul Biya au Cameroun, 92 ans, au pouvoir depuis 1975, qui annonce se représenter à la prochaine présidentielle. Idem avec Sassou-Nguesso, à la tête du Congo-Brazzaville depuis 40 ans, un pays pied et poing liés par sa dette envers les banques françaises et les entreprises qui pillent ses ressources, notamment pétrolières. Dont les inévitables Perenco et Total.

Les multinationales comme Total, Perenco, Bolloré, Vinci, Orange, la CMA CGM ou le brasseur Castel, sont toujours aussi présentes sur le continent africain. Elles étendent même leur implantation, comme Total, qui est maintenant très présente en Afrique de l’Est, au Mozambique, en Ouganda et en Tanzanie. Certaines opèrent dans une certaine discrétion, à l’image des accords sécuritaires dont nous venons de parler. Ainsi Perenco, un empire pétrolier fondé par une famille bretonne inconnue du grand public, les Perrodo, spécialisée dans le rachat de sites pétroliers en fin de vie pour les exploiter jusqu’à épuisement. Macron se fait le VRP de toutes ces entreprises, tentant de rafler de nouveaux contrats dans des pays faisant un peu moins partie de la sphère d’influence de la France, comme le Nigeria ou l’Afrique du Sud par exemple.
Toutes ces rivalités impérialistes pour la domination militaire et le contrôle des ressources causent bien des guerres et des déstabilisations. Mais les multinationales savent aussi coopérer pour mieux exploiter, comme en Ouganda et Tanzanie, où Total et CNOOC, une entreprise chinoise, investissent pour développer les champs pétroliers de Tilenga (en grande partie situé dans le parc naturel des Murchison Falls) et des rives du lac Albert. Le plus long oléoduc chauffé au monde, l’EACOP, traversera l’Ouganda et la Tanzanie sur plus de 1 400 km. Des populations sont expropriées, violentées et chassées de leurs terres pour mener à terme ce projet.
Exploitation et colères du continent africain
« L’Afrique, un beau potentiel malgré les risques » titrait le journal économique Les Échos en janvier dernier. « Bénéficiant depuis plusieurs années d’une croissance continue, le continent africain [offre] de belles opportunités aux entreprises françaises, de la start-up au grand groupe coté ». Malgré « son instabilité, ses guerres ou ses génocides, l’Afrique, c’est aussi tout autre chose » rajoutait le quotidien économique.
Malgré les déboires récents de la Françafrique, le pillage de l’Afrique continue.
L’Afrique en plein changement
Après la colonisation et le sous-développement d’une Afrique formellement indépendante, les peuples ont payé l’addition des politiques impérialistes et de celles de leurs gouvernements corrompus… À la fin du XXe siècle, à part quelques exceptions, l’Afrique était un peu en sommeil : une certaine stabilisation des dictatures en place et des partages entre prédateurs (la Françafrique entre autres) ; un plus grand attrait de l’Asie et du Moyen Orient pétrolier pour les grands groupes. Ces dernières années ont vu des changements notables : sur le plan politique des régimes sont tombés, d’autres ont été érigés à leur place, et surtout des mobilisations ont traversé tout le continent ; sur le plan économique, depuis quelques années, l’Afrique a attisé plus fortement toutes les convoitises avec les nouveaux besoins de matières premières. L’Afrique possède un tiers des ressources minérales mondiales, près d’un cinquième des forêts de la planète et entre 40 % et 90 % des réserves mondiales de métaux non ferreux et rares, sans lesquels les nouvelles industries modernes seraient impossibles. Et pourtant, l’Afrique n’est pas seulement appelée « le continent du XXIe siècle » pour ses riches « gisements » naturels.

L’Afrique est parfois appelée « le continent de l’avenir » pour son énorme potentiel humain. Environ 1,4 milliard de personnes vivent actuellement en Afrique, et ce chiffre va augmenter. La part de l’Afrique dans la population mondiale est passée de 9,3 % en 1960 à 10,7 % en 1980, puis à 13,2 % en 2000 et enfin à 17,2 % en 2020. En chiffres bruts, l’Afrique comptait environ 283 millions d’habitants en 1960, année dite de l’indépendance africaine. La population a explosé pour atteindre 811 millions en 2000, puis 1,341 milliard en 2020 (multiplication de la population par 5, contre 2,7 pour l’Asie, 3 pour l’Amérique latine). Si la tendance actuelle se poursuit, elle devrait atteindre 25,6 % en 2050 (2,489 milliards) et 39,4 % en 2100 (4,28 milliards).
L’Afrique est en pleine mutation. Mutation démographique (malgré les famines), mutation urbaine, et des sociétés plus cultivées qu’auparavant. Sur les 1,4 milliard d’Africains, 60 % sont des jeunes de moins de 25,5 ans. Et cette tendance se poursuivra pendant toutes les décennies à venir : l’Afrique deviendra (avec l’Asie) l’un des territoires comptant le plus grand nombre d’élèves et d’étudiants au monde. Sur le plan de l’accès à l’éducation supérieure, l’Afrique est passée de 294 universités en 1979, pour atteindre 784 en 2000 et 1 690 en 2021. Reste que cela ne représentait que 8,39 % des universités dans le monde. Les inscriptions dans l’enseignement primaire et secondaire ont également augmenté, portant le taux d’alphabétisation à 65,6 %.
Pour autant, cette jeunesse, quand elle réussit à obtenir des diplômes, ne trouve pas de débouchés : elle travaille là où elle le peut, dans de quelques grands centres de services, comme les énormes call-centers que l’on peut trouver dans les villes, dans l’économie informelle… et souvent grossit les rangs des « diplômés chômeurs ».
L’Afrique « décolle » selon la presse ; sa population reste au sol
On y voit de nouvelles lignes de chemins de fer modernes (construites par les entreprises chinoises) des installations portuaires performantes, pour exporter avec l’efficacité du XXIe siècle, les richesses du continent.

Partout dans le monde, l’essor de l’industrie et l’industrialisation de l’agriculture ont coïncidé avec l’urbanisation et l’exode des populations rurales. En Chine, par exemple, ce qui était autrefois une économie essentiellement agricole est devenue une économie largement urbaine avec une forte population de migrants de l’intérieur, fournissant main d’œuvre à la production industrielle. L’Afrique n’a pas connu de transition accéléré vers l’industrie manufacturière, mais elle a connu une urbanisation similaire et un déclin de l’agriculture de subsistance et des populations paysannes. Sur le continent africain, l’afflux vers les villes s’est traduite par une explosion de la population de travailleurs informels.
Les grandes villes reflètent cette transformation récente et les contradictions qui vont avec. Dans les capitales ont poussé des tours de luxe de quelques centres d’affaires et des quartiers privilégiés, entourés d’immenses quartiers tout autour, où les classes populaires galèrent. Ségrégation, ghettoïsation, émergence de bidonvilles autour des villes dont les centres se modernisent. Et ce jusqu’à l’absurde, comme à Kigali, capitale du Rwanda, saluée pour la sûreté et propreté de ses rues, où les quelques gratte-ciels du centre ville et de son quartier résidentiel de Nyarutarama côtoient des bidonvilles, dont celui de Bannyahe (surnom qui veut dire « là ou je peux déféquer ») et dont la population est peu à peu chassée, pour agrandir le périmètre des rues les plus huppées de la ville. En peu d’années, Paul Kagame s’est flatté de l’apparition des nouveaux hôtels cinq étoiles, un nouvel aéroport, de nouvelles résidences neuves qui font flamber le prix des loyer alors que le taux de chômage grimpe aussi.

Cette modernisation des villes s’est aussi accompagnée d’un accès aux nouvelles technologies. Inévitablement, il n’y a pas que l’infime minorité des classes riches africaines qui y accède. Des « Internet center » de fortune sont hébergés sous les bâches d’un stand de marché populaire. Sur les téléphones, les informations circulent et les gens se trouvent plus liés qu’auparavant. Plus de 160 millions d’Africains ont obtenu un accès à l’internet haut débit entre 2019 et 2022. Il y a eu une augmentation de 115 % du nombre d’utilisateurs d’internet entre 2016 et 2021 en Afrique subsaharienne. Dans toutes les grandes ou petites villes d’Afrique, tous les jeunes sont connectés, et tout le monde sait ce qui se passe dans le monde.
C’est un fait marquant qui a eu des conséquences ces dernières années. Il a permis de propager la révolte de 2011 en Tunisie et Égypte; et cette nouveauté a aussi joué un rôle dans les derniers mouvements et soulèvements qui ont eu lieu au Sahel, en Afrique de l’Ouest, ou en Afrique centrale ces dernières années. Les nouvelles (et les facebook, pages, infos d’opposants) circulent aussitôt sur les réseaux (même si c’est avec, comme partout, son cortège de choses bizarres …).

Malgré ce développement numérique, le niveau de vie des populations reste généralement très faible, et les travailleurs surexploités ne profitent en rien de toutes ces richesses dites « nouvelles ».
En ce qui concerne la RDC, malgré ses richesses minérales exceptionnelles, plus de 70 % des Congolais vivent avec moins de 2,15 dollars par jour. Le sud du continent africain est considéré comme la région la plus inégalitaire, avec des pays tels que l’Afrique du Sud et le Botswana où les 10 % les plus riches détiennent plus de 65 % des richesses. L’Afrique centrale présente des niveaux d’inégalité un peu moins élevés, mais toujours considérables en comparaison du reste du monde. En RDC, en 2022, 56 % du revenu national était détenu par les 10 % les plus riches, tandis que les 40 % les plus pauvres ne disposaient que de 6 % du revenu. Les pays d’Afrique de l’Est affichent des niveaux d’inégalité de revenus à peine un peu moins prononcés. Au Kenya, par exemple, la part des 40 % les plus pauvres dans le revenu national était d’environ 8 % en 2022, tandis que les 10 % les plus riches percevaient 49 % du revenu national.
Au fond des mines du Congo
C’est dans cette Afrique du XXIe siècle que se jouent les nouvelles rivalités impérialistes avec, comme souligné plus haut, les États-Unis et la Chine en tête, et la France cherchant (avec peu de succès) à rester un gendarme dans la région, pour garder ses privilèges. D’autres puissances comme la Russie notamment essaient aussi de s’insérer dans ces rivalités. Tous ces pays savent profiter de la déstabilisation politique de certaines zones pour placer leurs pions et arriver à mettre la main sur les ressources.
Comment cela se décline-t-il en RDC, et particulièrement dans les régions où se trouvent les mines? Quelles sont les conditions d’exploitation de ces richesses tant convoitées ?

Une partie des installations minières, (celles des grosses compagnies minières, dont une grande partie sont aujourd’hui possédées par des capitaux chinois ) ont aussi été modernisées. Elles produisent près de 75% du cobalt qui circule sur le marché mondial. Le quart restant provient de ceux que l’on appelle les « creuseurs artisanaux » (ceux qui creusent avec des pelles et descendent dans les trous au bout d’une corde). Mais les grandes mines « n’offrent que peu d’emplois aux travailleurs locaux », explique un reportage de la chaîne de télévision belge RTBF3. « Et elles se barricadent derrière des murs de barbelés pour tenir la population à l’écart des gigantesques gisements de leurs concessions. Ceux qui tentent d’y pénétrer sont accueillis par des tirs de gardes armés.» Plus de la moitié des travailleurs y sont employés par des sous-traitants et ne bénéficient pas des mêmes conditions de travail.

À côté des ces grandes entreprises, le secteur minier est fait de mines artisanales, soit sous forme de mines coopératives, soit d’exploitations par les « creuseurs » eux-mêmes. Artisanales ou considérées comme illégales, elles sont souvent sous la coupe des groupes armés, comme le M23 au Kivu.
S’il est possible d’avoir quelques données sur les grandes exploitations minières (et encore, quelques peu truquées) il est très difficile d’en trouver pour les mines artisanales ou illégales. La corruption et les groupes armés rendent difficile le contrôle de cette activité dans ces régions. Les grandes exploitations minières achètent en partie la production de creuseurs individuels et alimentent la contrebande des revendeurs en fermant les yeux sur l’origine du coltan qu’elles achètent, ou la maquillent en mélangeant les minerais de diverses sources pour en masquer l’origine et éviter tout contrôle.
Ceci dit pour les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, les estimations disponibles évaluaient en 2014 le nombre total de mineurs artisanaux y travaillant entre 200 000 et 350 000, avec 9 à 17 % de la population totale dépendant directement ou indirectement de l’ASM (artisanal and small-scale mining). Un chiffre qui a nécessairement augmenté depuis. Et en 2023, le ministre des Finances, Nicolas Kazadi a déclaré que la RDC perdait près d’un milliard de dollars par an rien qu’avec le trafic illégal de minerais vers le Rwanda. Jean-Pierre Okenda, directeur de l’ONG Sentinel Natural Resources, explique que pour le Rwanda son modèle économique repose en partie sur l’aide internationale, mais la contribution des minerais au budget de Kigali est d’environ 30 %.

Dans ces mines artisanales, les conditions de travail sont effarantes et les accidents fréquents. Le même reportage de la RTFB écrit : « Le Congo est béni en sol et en sous-sol, rappelle Yannick, un creuseur de la région de Kolwezi, 25 ans, que nous rencontrons au centre de négoce » (Là où ils apportent leurs minerais qu’on leur paie à bas prix). « Mais la population souffre. J’ai honte de vous dire ce que je gagne avec ce travail. À peine 100 000 Francs congolais (35€), pour deux semaines de travail. 200 000 Francs par mois (70€). Je ne veux pas terminer ma vie comme ça. Je suis gradué en relations internationales. J’ai dû arrêter mes études en première licence par manque de moyens. Le problème c’est qu’il n’y a pas de travail dans ce pays. C’est la seule raison pour laquelle on perd son temps à faire ça.»
L’État a créé une agence, le SAEMAPE (Service d’Assistance et d’Encadrement de l’Exploitation Minière Artisanale et à Petite échelle), censée contrôler les installations, mais pas du tout respecté. Au mieux, les tunnels sont étayés à l’aide de simples troncs d’arbres. Il n’y a pas de tunnel d’évacuation en cas d’effondrement de la galerie principale, l’air est pulsé par des appareils électriques à peine plus gros qu’un sèche-cheveux, et les mineurs ne portent pas ni ne souhaitent (de peur de ralentir et baisser leur rendement) porter d’équipement de protection individuelle.
« Rama, 21 ans, est l’un d’entre eux,» poursuit le reportage « son travail consiste à se faufiler dans de petites galeries creusées à la pelle jusqu’à 30 mètres de profondeur pour en extraire le minerai avec des outils rudimentaires. La sécurité est précaire et les effondrements sont fréquents. « C’est effrayant là en bas, » nous explique-t-il. « C’est dangereux mais on a pas le choix. Nous ne sommes pas nés dans des familles riches, alors on doit bien faire ce métier. Ici, il n’y a rien d’autre à faire.
Le monde des coopératives est assez différent des petites exploitations, mais tout aussi artisanal. Niveau « coopérative », il y a rarement des élections pour désigner les dirigeants : elles sont souvent gérées par une poignée d’individus, qui s’en transmettent parfois la fonction par liens familiaux. Il n’y a généralement pas de machines, mais des milliers de travailleurs (2 000 à 20 000) qui travaillent à tour de rôle. Les hommes vont d’une mine à l’autre à la recherche de travail. Dans les coopératives, comme dans les mines artisanales plus petites, on voit que des « creuseurs », dont certains semblent être des adolescents, creusent aussi des tunnels sans aucune protection.
La guerre et les mines
À l’est du Congo, des deux côtés de la frontière avec le Rwanda se trouvent quelques 120 groupes armés avec différents regroupements, alliances plus ou moins changeantes. Ils opèrent dans des provinces telles que l’Ituri, le Nord-Kivu, le Sud-Kivu et le Tanganyika, commettent des violences sur les habitants et eux aussi pillent les riches ressources. La région compte 7 millions de personnes déplacées, dont 100 000 qui ont fui leur foyer cette année. Rubaya, la plus grande cité minière de la région passe ou repasse de mains du gouvernement congolais à celles des groupes rebelles. Depuis plus d’un an, elle est contrôlée par les rebelles du M23, qui ont depuis (début 2025) pris aussi le contrôle des villes stratégiques de Goma et Bukavu. C’est là que, se comportant comme un embryon d’état, avec l’appui du Rwanda et la clientèle de tous les grands trusts importateurs, le M23 empoche tous les mois ces 800 000 $ de taxe à l’exportation. L’insécurité, la guerre et les affaires font bon ménage.
Une enquête de l’IPIS (un organisme dépendant du gouvernement américain, l’USAID) estime que « malgré la diminution des conflits armés à grande échelle liés aux minerais en RDC au cours des vingt dernières années, les minerais restent liés aux conflits. En effet, 61 % des mineurs interrogés dans le cadre de notre enquête subissent des « ingérences » (c’est-à-dire des pratiques illégales visant à obtenir des rentes) de la part d’acteurs armés. […] Il s’agit à la fois d’acteurs de la sécurité étatique et de groupes armés non étatiques. […]Le principal […]reste toutefois l’armée congolaise (FARDC). Ses pratiques illicites génératrices de revenus autour des sites d’ASM [c’est-à-dire les mines artisanales] touchent 37 % des mines recensées dans notre enquête, qui emploient plus de 55 800 mineurs. »4
Une classe ouvrière de plus en plus nombreuse

Entre chômage, régimes dictatoriaux et groupes armés, les travailleurs de cette Afrique centrale se retrouvent coincés, mais pas résignés. « Mon père était opérateur à la compagnie minière Gecamines » (la grande compagnie minière de la RDC) explique un mineur interviewé dans le reportage vidéo Cobalt rush5. « Aujourd’hui, je n’ai jamais travaillé dans une compagnie; je ne suis que creuseur. J’ai une famille, une femme et 5 enfants. Je dois descendre dans le puits pour nourrir ma famille. […] Même leur mère lave les minerais, car il n’y n’a rien d’autre à faire. Mes enfants n’iront jamais à la mine, ils doivent aller à l’école. » Pas question pour lui de laisser une telle situation en héritage à la nouvelle génération ! Fatigués de la corruption du régime depuis des années, de l’exploitation accrue de la part des capitalistes et la violence des groupes armés; certains relèvent la tête.
Les mouvements sociaux qui ont marqué l’actualité de l’Afrique subsaharienne ces dernières années n’ont pas été ceux du Congo, malgré l’importance de son secteur minier. Le poids des guerres y est trop grand. Mais on peut citer ceux du Mali ; car avant que des militaires ne déboulonnent le régime en place et ne mettent à la porte le contingent militaire français, existait une colère générale contre la situation, le coût de la vie et la hausse des prix d’un côté, l’insécurité dans le nord du Sahel, conséquence des politiques de Hollande dans sa guerre dite anti-terroriste de l’autre, avec une colère contre les agissements et l’inefficacité de l’armée française. Cela avait commencé par des grèves dans les mines d’or en 2018 pour l’embauche des jeunes, puis cinq mois de grève chez les cheminots en 2019 sur les salaires, contre les licenciements sur fond de privatisation, puis des mouvements de grèves parmi les enseignants, pour des augmentations de salaires aussi. Puis quand les élections sont arrivées, la corruption visible aux yeux de tous avait mis le feu aux poudres. C’est sur ce mécontentement social que des militaires ont surfé pour prendre en main le pouvoir, créant au départ bien des illusions. Puis aujourd’hui la désillusion.
De même au Tchad, où le régime d’Idriss Deby, devenu l’homme de la France au pouvoir depuis 1990, semblait inébranlable, ce sont les grèves qui ont marqué tout l’hiver 2018-2019, essentiellement dans la fonction publique et autres agents de l’État, dont ceux du ministère du pétrole, cette nouvelle richesse du Tchad mise en exploitation depuis le début des années 2000 : trois vagues de grèves s’y sont enchaînées, bloquant éducation, santé, et finance contre la politique d’austérité menée par le gouvernement à l’instigation du FMI. Et la contestation avait repris, après la mort d’Idiss Deby, lorsque son fils, soutenu par Macron, s’est arrogé par un coup de force la succession du pouvoir.
Au Soudan, en 2019, c’est un sit-in devant le QG de l’armée à Khartoum qui avait ébranlé la dictature au pouvoir, avec repas gratuits, débats, et des manifestations qui ont regroupé jusqu’à un demi-million de personnes. Des grèves avaient accompagné ce mouvement où des jeunes diplômés chômeurs s’investissaient corps et âme pour organiser cette mobilisation, sit-in, et participer aux révoltes; alliant mots d’ordres politiques, demandes d’épuration de l’encadrement et constitution de nouveaux syndicats. Même si, là aussi, comme au Mali, une junte militaire a réussi à récupérer le pouvoir de la dictature précédente déchue.
L’histoire du mouvement ouvrier en Afrique du sud, cet autre « miracle géologique » pour toutes les puissances qui courent derrière l’or, le platine, le diamant et aujourd’hui les métaux rares de l’industrie électronique, est évidemment bien plus ancienne. Pour rappel, si l’Afrique du Sud est le pays le plus riche du continent, elle est l’une des sociétés les plus inégalitaires au monde (selon le Rapport sur le développement humain du PNUD). Les disparités sociales provoquent souvent des manifestations sociales massives, considérées comme parmi les plus fréquentes au monde. Parmi celles-ci, on peut citer la grève des mineurs de Marikana, il y a 12 ans, et les manifestations contre le secteur des services dans plusieurs townships, qui ont été qualifiées de « rébellion des pauvres ». C’est ainsi que le président actuel, Cyril Ramaphosa, ancien dirigeant du syndicat des mineurs dans les années 1980, mais devenu riche homme d’affaire après la fin de l’apartheid, était hué le 1er mai 2022 par les mineurs en grève depuis près de 2 mois.
Malgré le poids des conflits armés, les mouvements sociaux en RDC

En RDC même, depuis quelques années, on a vu des mobilisations de certains secteurs. Ce sont le plus souvent les syndicats d’enseignants et de l’administration qui se sont mobilisés fréquemment ces dernières années, avec quelques grèves suivies par plusieurs milliers de personnes, parfois pendant des semaines voire un mois, en 2008-2009. Mais cette même année 2009 a été marquée aussi par la grève des travailleurs de la Gécamines au Katanga pour réclamer les 45 mois de salaires impayés et demander au gouvernement de les verser, ne serait-ce qu’avec le pas-de-porte qu’un groupe chinois venait de verser pour prendre une forte participation dans la Gécamines. Rebelote cinq ans plus tard, où les travailleurs de la Gécamines bloquaient la route menant à Kolwezi à nouveau pour des mois de salaires non payés. En 2023, c’étaient environ 300 employés de la Compagnie Minier du Kivu (CMK) qui suspendaient leurs activités d’extraction de lithium pour un retard de paiement des salaires. Nous pouvons aussi penser à la grève des camionneurs la même année, contre des licenciements dans une entreprise de construction sous-traitante du secteur minier. Jusqu’aux agents du Service d’Assistance et d’Encadrement de l’Exploitation Minière Artisanale et à Petite Échelle bureau (SAEMAPE) de Butembo (Nord-Kivu), ce service censé lutter pour de moins mauvaises conditions de travail dans les mines, qui faisaient grève en 2023 pour réclamer le paiement des arriérés de 74 mois de leurs salaires. Même si les forçats des mines artisanales, eux, ont bien moins de moyens de se défendre.
1 https://monusco.unmissions.org/sites/default/files/bcnudh_infographies_janvier-juin_2023.pdf
2 https://www.lemonde.fr/afrique/article/2025/02/03/du-cuivre-au-cobalt-la-course-aux-tresors-strategiques-du-sous-sol-de-l-afrique_6528771_3212.html?random=1778369443
3 Transition énergétique : au Congo, l’enfer des creuseurs de cobalt. https://www.rtbf.be/article/transition-energetique-au-congo-l-enfer-des-creuseurs-de-cobalt-11283830
4 Analyse et carte des mines artisanales dans l’est de la RDC (https://ipisresearch.be/publication/analysis-of-the-interactive-map-of-artisanal-mining-areas-in-eastern-democratic-republic-of-congo-2023-update/)
5 Un reportage de 20 minutes, qui était projeté avant l’exposé, et qu’on peut retrouver sur internet : https://www.youtube.com/watch?v=iTkGsxPA1cY