Nos vies valent plus que leurs profits

La gauche institutionnelle, béquille du capitalisme

Suite aux événements de Vitoria-Gasteiz, le président du gouvernement Arias Navarro connu comme le « boucher de Malaga » pendant la guerre et la révolution espagnole dut démissionner. Avec son successeur Adolfo Suárez, la bourgeoisie franquiste changea définitivement de stratégie en créant un système parlementaire et constitutionnel pour donner une façade démocratique à la dictature du capital, tout en empêchant la classe ouvrière de prendre l’initiative d’une sortie en rupture avec le système capitaliste. Pour reprendre le contrôle de la situation et retrouver sa légitimité, le patronat, trop assimilé à la dictature, dut se réorganiser en collaboration avec deux acteurs : le PCE et le PSOE.

Ernest Mandel a analysé l’« eurocommunisme » dans le feu de l’action : « Le vrai visage du réformisme apparaît clairement chaque fois que la survie de l’économie capitaliste et de l’État bourgeois est menacée. Les réformistes constituent alors la dernière ligne de défense de la bourgeoisie. Ce rôle, qui était hier joué par la social-démocratie, sera demain joué conjointement par la social-démocratie et les PC […]. [C’est] en réalité l’acceptation et la défense de la nécessité d’augmenter le taux de profit capitaliste pour sortir de la crise dans le cadre du régime capitaliste. Les travailleurs espagnols sont prévenus : s’ils ne s’y opposent pas fermement, la même politique sera appliquée en Espagne. »1

Par l’intermédiaire des syndicats Commissions ouvrières (CCOO) et UGT, le PCE et le PSOE ont muselé le mouvement ouvrier afin d’imposer l’illusion d’une paix sociale. La priorité a été donnée à la reprise des profits, à la libéralisation de l’économie et, surtout, à la limitation des salaires sous prétexte de réduire l’inflation. Tout cela a été justifié par l’affirmation que le rapport de force aurait été défavorable à la réalisation du changement social et qu’il fallait faire preuve de prudence pour éviter une nouvelle guerre civile ou un retour à la dictature. En pratique, ils légitimaient le nouveau régime monarchique et capitaliste. L’étape suivante a été celle de la signature du Pacte de la Moncloa (en 1977), puis l’introduction du Statut des travailleurs (1981), qui a institutionnalisé un modèle subordonnant la participation des travailleurs à la délégation syndicale, brisant la dynamique d’assemblées auto-organisées et unitaires qui constituaient un obstacle à la collaboration de classe. De même, les grèves de solidarité ou à caractère politique ont été expressément interdites.

Le patronat s’est imposé en individualisant les luttes « entreprise par entreprise », entraînant l’échec de la plupart des mobilisations. La politique de la gauche institutionnelle a été désastreuse pour les travailleurs et les travailleuses, et sans contre-pression suffisante unifiée à l’échelle de l’État, la situation n’a fait qu’empirer. Les grèves sont devenues défensives, contrairement à celles du cycle précédent. Après la victoire électorale du PSOE en 1982, les politiques néolibérales et la reconversion industrielle ont conduit à la fermeture de certaines des usines les plus combatives.

R. O.

1  Ernest Mandel, « El eurocomunismo y el movimiento obrero », El País, 4 août 1977 (disponible en espagnol sur elpais.com)

 

 


 

 

Sommaire du dossier

État Espagnol : 50 ans après le mort du dictateur Franco ou la « transition démocratique » vers le maintien du pouvoir des capitalistes

 

(Dossier réalisé à partir de la présentation de Rubén Osuna (Izar Madrid) lors des rencontres révolutionnaires du NPA-R 2025)