Nos vies valent plus que leurs profits

Chili. Trente-cinq ans après la fin de la dictature, le retour de l’extrême droite ?

Le premier tour de l’élection présidentielle chilienne du 16 novembre a été marqué par un relatif échec de la candidate de centre gauche, Jeannette Jara, qui n’a obtenu que 26,85 % des suffrages, le résultat le plus faible de la gauche depuis la fin de la dictature, malgré une coalition très large allant jusqu’aux démocrates-chrétiens.

En face d’elle, deux candidats d’extrême droite, José Antonio Kast et Johannes Kaiser, qui se réclament ouvertement de Pinochet, ont respectivement recueilli 23,92 % et 13,94 %. Un troisième candidat, Franco Parisi, leader du Parti des gens, a créé la surprise avec 19,71 %, en se positionnant sur le terrain d’un populisme libertarien proche de celui du président argentin Milei. Si l’on ajoute les 12,46 % d’Evelyn Matthei, qui représente la droite classique, on comprend que les chances de Jara de l’emporter au second tour sont infimes.

En 2019, un puissant mouvement ouvrier et populaire avait failli renverser le président de droite dure, Piñera, malgré une répression sanglante qui avait fait 23 morts, des centaines de blessés graves et des milliers de prisonniers, dont certains sont toujours incarcérés.

Mais toute la gauche, PC et syndicats compris, a bradé ce mouvement en échange de la promesse d’une Assemblée constituante qui mettrait fin à la Constitution particulièrement antidémocratique mise en place par Pinochet. Dans la foulée, l’ex-leader étudiant Gabriel Boric a été élu à la présidence, suscitant alors beaucoup d’espoirs… très vite déçus. Un de ses premiers gestes a été de prêter allégeance au général des carabiniers qui avait mené la répression. Une douzaine de prisonniers ont bénéficié d’une grâce présidentielle, loin d’une amnistie générale. L’élection de la Constituante s’est soldée par un échec complet. Boric a également poursuivi la politique de répression du peuple mapuche de ses prédécesseurs.

Sur le plan social, si Jara, ministre du Travail de Boric, peut se vanter d’une augmentation du salaire minimum de 355 euros à 492 euros par mois, celle-ci a très vite été rongée par l’inflation, en particulier la hausse des prix alimentaires, une partie très importante du budget des classes populaires. Si la durée du travail légal hebdomadaire a été réduite de 45 à 40 heures, c’était en échange d’une flexibilité permettant aux patrons de faire travailler leurs salariés jusqu’à 52 heures par semaine. La promesse de mettre fin à la gestion des retraites par des fonds de pension a été abandonnée. Les conditions de vie de la population laborieuse n’ont cessé de se dégrader.

Jara a donc payé le prix de cette déception. En multipliant les concessions à ses alliés centristes, en tentant de rivaliser avec la droite sur les terrains sécuritaire et de la lutte contre l’immigration, comme Boric avait déjà commencé à le faire, en soulignant qu’elle ne se présentait pas au nom du Parti communiste, elle n’a non seulement pas gagné d’électeurs, mais elle a fait le jeu des candidats dont la xénophobie et le culte de l’ordre musclé constituent le fonds de commerce.

G. D.