
Plein Chant : histoire d’un éditeur de labeur, d’Edmond Thomas
L’Échappée, 2025, 72 p., 18 €
Ce livre rend hommage à l’éditeur Edmond Thomas, fondateur des éditions Plein Chant. Après sa mort en 2025, plusieurs de ses proches ont commencé à composer ce livre. Ils ont rédigé une petite préface et compilé des propos qu’il leur avait tenus en en faisant un récit à la première personne sur sa vie, ce qui occupe l’essentiel du livre.
Né dans une famille pauvre de la capitale, Edmond Thomas revient sur ses difficultés à l’école, son entrée très jeune dans le monde du travail. C’est en travaillant comme manœuvre dans des ateliers de reliure industrielle qu’il découvre la culture et des livres, notamment des poètes ouvriers du XIXe siècle. Il décide peu à peu de devenir éditeur pour faire redécouvrir des auteurs oubliés.
On en apprend beaucoup sur ses collection « Voix d’en bas » et « Précurseurs et militants » qui sont intégralement dédiées à ce qu’on a appelé la « littérature prolétarienne »1 et aux écrivains du mouvement ouvrier (comme Theodor Plievier sur la révolution allemande, certains textes de Panaït Istrati, l’autobiographie de Charles Denby, militant ouvrier noir américain proche de l’extrême gauche). On découvre tout un milieu culturel méconnu, en croisant le chemin d’écrivains comme Henri Poulaille (que l’auteur a personnellement connu et dont il a édité les essais sur la littérature prolétarienne) et les travailleurs de l’édition, aux conditions de travail particulièrement difficiles.
Les très nombreuses illustrations – linogravures et couvertures de livre – rendent le tout particulièrement agréable à lire. Les propos de ce véritable amoureux des livres, sincèrement attaché à la mémoire du mouvement ouvrier, sont touchants.
Robin Klimt
1 Il s’agit d’un courant littéraire principalement issu de l’anarchisme qui regroupe des écrivains d’origine sociale ouvrière ou paysanne, qui décrivent les conditions de vie de la classe ouvrière et ses luttes, souvent dans un style réaliste, clair et simple. Au-delà de la qualité littéraire inégale de ces textes, la notion d’art prolétarien a été l’objet de nombreuses polémiques au sein du mouvement ouvrier. On peut penser notamment à la brochure Littérature et révolution de Trotski, parue en 1924, où ce dernier polémique contre le fait d’opposer art prolétarien et art bourgeois et conteste, entre autres, le fait que le pouvoir soviétique doive se mêler de fixer une ligne artistique au nom de la « culture prolétarienne ». Les auteurs du courant de la littérature prolétarienne ont été bien accueillis en URSS jusque dans les années 1926-1928… Mais l’avènement du stalinisme et de son avatar artistique, le « réalisme socialiste », ont promu une littérature servile à l’égard du pouvoir stalinien et il n’était plus question de faire bon accueil à un courant libertaire.