Devant le tribunal administratif de Paris, ce 23 décembre, plus de 80 personnes se sont rassemblées – collègues, soignants, syndicalistes, journalistes et soutiens – pour soutenir Majdouline B., révoquée pour le simple fait de porter un calot à l’hôpital. Au prétexte de la laïcité, la direction de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) lui a fait subir une procédure disciplinaire particulièrement vexatoire, qui a abouti à sa révocation. Sauf que rien n’interdit le port un calot médical à l’hôpital, pas même en continu – bien au contraire, comme l’ont rappelé de nombreuses vidéos de soutien diffusées sur les réseaux sociaux ces dernières semaines. La laïcité n’est ici qu’un prétexte pour cibler des collègues, sur la base de suppositions quant aux motivations qui les conduiraient à porter ce couvre-chef. Un arbitraire patronal auquel sont confrontées de nombreuses soignantes à l’hôpital. Et qui vise à diviser et affaiblir les collectifs de travail, dans un contexte où les attaques vont s’aggraver à l’hôpital, étant donné le budget particulièrement austéritaire qui vient d’être voté.
Au rassemblement, tous et toutes dénoncent la catastrophe qui s’aggrave l’hôpital : sous-effectif permanent, baisse des budgets, fermetures de lits, pressions constantes de l’encadrement. Et un changement d’ambiance notable ces dernières années, marqué par un climat de suspicion envers les collègues portant un couvre-chef – climat alimenté par les diatribes islamophobes du gouvernement. Au micro, sont relatées les humiliations subies par celles qui se retrouvent souvent seules face à cet acharnement. Et pas seulement à l’hôpital : des travailleurs de la RATP ou de la Poste, venus en soutien, témoignent de campagnes similaires dans leurs secteurs.
À l’audience, les débats s’ouvrent sur l’hygiène, prétexte invoqué par la direction de l’AP-HP pour révoquer Majdouline B. Mais l’argumentaire patronal vacille rapidement : malgré les arguties, aucune règle générale d’hygiène n’interdit le port du calot médical. L’arbitraire de la procédure disciplinaire est alors exposé à la barre. L’avocat de Majdouline B. rappelle qu’il lui a été demandé à trois reprises de changer de type ou de forme de couvre-chef. L’obligation d’obéissance imposée aux fonctionnaires, souligne-t-il, n’autorise pas la direction à jouer à « Jacadi a dit », en imposant des règles fluctuantes au gré des jours et des humeurs.
Les soignantes présentes à l’audience en soutien à leur collègue acquiescent et rappellent que le port des matériaux de protection et d’hygiène est différencié selon les services et qu’elles sont les mieux placées pour savoir comment jongler : en réanimation le calot est obligatoire, tout comme en soins critiques ou en hématologie ; la charlotte jetable est privilégiée lors d’un soin stérile, puis jetée ; de même en cas de trachéotomie ou de risques de projections… Et en psychiatrie, les collègues avisent en fonction des situations pour ne pas se faire arracher les cheveux par poignées : une des stratégies, c’est de porter le calot. L’hypocrisie de l’argument sanitaire n’échappe pas aux soignantes : « Pendant le Covid, on nous a dit de porter la charlotte… Et au fur et à mesure on nous a dit de la retirer. » Elles rappellent aussi qu’en 2020, faute de masques et de protection, elles soignaient parfois vêtues de sacs poubelles.
Soulignant l’absurdité de l’argument de l’hygiène, l’avocat de Majdouline B. interroge : « pourquoi le port « en continu » du calot poserait-il davantage de problème sanitaire que le port de la blouse ? En allant au self, les soignants gardent leur blouse aussi ! » Mais tout le monde n’est pas visé à l’hôpital : la direction vise des femmes sur des bases racistes lorsqu’elle suppose qu’elles sont musulmanes, et les pousse vers la sortie.
Il faut donc aborder « l’éléphant dans la pièce », conclut l’avocat : le motif réel de la révocation, dont l’AP-HP a fait grief à Majdouline B. pendant toute la procédure, mais qu’elle n’a pas osé mettre par écrit dans sa décision de révocation. Et pour cause : elle ne le peut pas. Du côté de l’avocate de la direction, on se défend qu’il s’agisse de motifs religieux. Pourtant, les sous-entendus ne tardent pas à pleuvoir sur « la revendication » supposée de la collègue, ses « convictions personnelles », ou encore le fait qu’elle se soit présentée « en conseil de discipline avec son calot » – autant d’insinuations visant à faire croire à un prosélytisme qui n’existe que dans l’imagination de la défense. Faute de pouvoir produire la moindre « norme » interdisant le port du calot, l’AP-HP improvise : Majdouline B. n’aurait pas été discriminée, puisque « toute personne portant un calot aurait droit au même traitement, c’est-à-dire de la discussion » ! Voilà ce qu’est la discussion pour la direction : des mois de pressions et une révocation de la fonction publique.
Dernière question du juge : « Mais le calot est bien un matériel médical, que l’on porte à l’hôpital ? » Manifestement, même du côté de la magistrature, l’argumentaire de la direction peine à convaincre. La décision tombera la semaine prochaine.
Val Romero
