Nos vies valent plus que leurs profits

Manifestation à Tunis contre la rencontre de Giorgia Meloni et Kaïs Saïed

Nous avons le droit à des réponses : où sont nos enfants ?

Ce sont les mots inscrits sur les pancartes des familles endeuillées venues se rassembler le 6 juin devant le théâtre de Tunis, à quelques mètres du ministère de l’Intérieur, à l’occasion de la visite officielle de la Première ministre italienne d’extrême droite, Giorgia Meloni, en Tunisie.

L’Italie souhaite sous-traiter le contrôle de l’immigration aux autorités tunisiennes. Il s’agit à la fois de financer la Tunisie pour qu’elle intercepte les migrants venus d’Afrique subsaharienne en les parquant dans des camps ou en les refoulant, et de bloquer l’émigration de Tunisiens eux-mêmes, qui s’est accrue ces dernières années avec l’aggravation de la situation économique dans le pays. Depuis 2014, l’Italie a accordé 47 millions d’euros à la Tunisie uniquement pour que cette dernière renforce son appareil sécuritaire dans le contrôle de l’immigration. Meloni entend aussi généraliser, avec l’accord du gouvernement tunisien, le rapatriement des Tunisiens retenus dans les Centres de permanence pour le rapatriement (CPR) italiens dans lesquels les migrants subissent des traitements inhumains.

En 2020 et 2021, les ressortissants tunisiens ont constitué la première nationalité retenue dans les CPR et la première à être rapatriée.

Cette politique de coopération anti-migratoire et sécuritaire a des conséquences dramatiques : entre janvier et mai 2023, il y a eu 534 morts et disparus près des côtes tunisiennes, plus de 3 500 arrestations en Tunisie de migrants subsahariens pour « séjour illégal », et 23 093 migrants ont été interceptés par les autorités tunisiennes. Malgré cela, l’année a été marquée par une hausse des arrivées en Italie. La situation est devenue, pour beaucoup, invivable dans beaucoup de régions de Tunisie et d’Afrique : comment peut-on croire que les frontières, aussi fortifiées soient-elles, puissent empêcher les migrants de tenter la traversée ? La seule conséquence de cette surenchère sécuritaire est une explosion du nombre de morts transformant la Méditerranée en gigantesque cimetière du tiers monde.

Un de ces drames quotidiens a bouleversé la Tunisie en octobre dernier lorsque les corps de Tunisiens naufragés appartenant à un groupe de 18 harragas – les émigrants qui tentent de rejoindre clandestinement l’Europe – originaires de la ville tunisienne de Zarzis ont été trouvés sur la côte : ce sont les « enfant disparus » pour lesquels les pancartes des manifestants demandaient des comptes. À l’époque, en octobre 2022, il y avait eu une mobilisation puissante, avec notamment une grève générale dans la ville de Zarzis le 18 octobre pour exiger justice et vérité sur les conditions du naufrage – un mouvement qui se poursuit, connu sous le nom de mouvement 18/18. Le mouvement dénonce la brutalité des garde-côtes tunisiens qui, pour arrêter les navires de fortune, n’hésitent pas à percuter les embarcations, à tirer à balles réelles sur les moteurs, quand ce n’est pas sur les migrants, et ne se soucient pas de secourir les naufragés, d’identifier les corps ou même de les inhumer. À Zarzis, c’est la population qui a dû ouvrir un cimetière, « le jardin d’Afrique », pour inhumer les nombreux corps échoués sur la côte.

Cette sauvagerie des autorités tunisiennes, qui n’ont rien à envier sur ce terrain à la cheffe d’extrême droite du gouvernement italien, s’insère dans un contexte de retour en force de l’État policier depuis la répression des mouvements sociaux de janvier 2021 et le coup d’État de Kaïs Saïed du 25 juillet 2021, et de déferlement de haine raciste en Tunisie après le discours de Kaïs Saïed sur le « grand remplacement » (des Tunisiens musulmans par des Subsahariens) en février 2023 qui a été suivi dans le pays par une multiplication des violences racistes, ratonnades et déportations.

Que ce soit en France, en Italie ou en Tunisie, la fermeture des frontières ne sert qu’à maintenir en place des pouvoirs de plus en plus autoritaires et policiers en jouant la division et le racisme. Au prix de milliers de morts et d’innombrables souffrances. Nous continuons à exiger l’ouverture des frontières pour que cessent les drames, le désarmement de la police, la fin des relations néocoloniales et de la domination impérialiste de l’Europe sur l’Afrique.

Khalil Amor