Nos vies valent plus que leurs profits

Les chocs au sein du système impérialiste et les tâches des communistes révolutionnaires

À l’initiative de forces internationalistes d’Italie, issues du mouvement libertaire et de différents courants appartenant aux oppositions de gauche à la dégénérescence du stalinisme, une conférence internationale se tient à Milan les 15 et 16 juillet. Elle a pour thème les transformations de l’impérialisme et les tâches nouvelles des révolutionnaires à l’aune de la guerre en Ukraine.

Le NPA y participera avec une délégation et a proposé, comme les autres délégations, une contribution courte.

Un bilan de cette conférence sera rendu public sur notre site. Nous présentons par ailleurs les traductions de notre contribution en français dans plusieurs langues (anglais, allemand, italien, castillan, mandarin, russe et persan).

 

 


 

 

Les chocs au sein du système impérialiste et les tâches des communistes révolutionnaires

Les transformations du système impérialiste depuis l’effondrement de l’URSS et l’émergence de la Chine, les guerres des Balkans, puis d’Irak, Libye, Syrie, civiles et parfois génocidaire comme au Rwanda, les crises économiques mondiales majeures à un rythme presque décennal, puis la pandémie et ses conséquences, révèlent une réorganisation profonde des structures économiques du capitalisme et une reconfiguration des classes sociales et des rapports de force inter-impérialistes à l’échelle internationale. Les réactions, soulèvements et parfois insurrections ont mobilisé des secteurs significatifs du prolétariat, des pans entiers des milieux populaires même si – y compris lors de la séquence des printemps arabes – ces contestations qui ont renversé des gouvernements civils comme des dictatures militaires n’ont pu dépasser quelques formes de contre-pouvoirs. Ces facteurs objectifs d’instabilité du système pourraient converger et déboucher sur de véritables révolutions sociales. Ce qui rend indispensable le renforcement du facteur « subjectif », par la construction de directions, de partis révolutionnaires capables de comprendre, de se lier et d’intervenir dans ces contestations politiques et sociales, avec l’objectif de saisir les opportunités et de transformer les révoltes en révolutions sociales qui ne renversent pas seulement un dictateur ou un régime, mais mettent fin à la dictature du capital et établissent une situation de double-pouvoir débouchant sur un gouvernement des travailleurs et des travailleuses.

Cette remontée de la combativité de la classe ouvrière fait face pour le moment au retard du prolétariat à conjurer à la fois l’affaissement social de ses conditions matérielles et la dévastation parfois irréversible des écosystèmes. La réorganisation sanglante du capitalisme et de l’impérialisme, dont l’agression impérialiste russe de l’Ukraine est une des manifestations, ouvre la possibilité d’un nouveau cycle de confrontation directe entre la première des puissances impérialistes, les États-Unis, et celles qui rivalisent avec elles, comme la Chine. C’est cette possibilité qui donne un caractère important à nos yeux à cette conférence : à l’heure où les bruits de bottes se font insistants et où les budgets militaires gonflent démesurément, les forces internationalistes qui s’opposent à ces politiques militaristes et aux conflits que la politique impérialiste allume, à l’heure où partout dans le monde les révoltes des classes populaires éclatent, il est important que les groupes révolutionnaires et internationalistes recherchent, malgré la modestie de leurs forces, les voies d’une intervention autonome de la classe ouvrière.

Camps ou classe : un choix exigeant mais seulement une pré-condition

La dénonciation de l’agression russe, la demande du retrait de ses troupes, avec la reconnaissance de l’Ukraine sont un pré-requis pour définir un positionnement de classe dans cette guerre. Mais ils ne suffisent pas à construire une perspective de classe. La dénonciation des manœuvres américaines, l’escalade du soutien financier et militaire occidental au régime Zelensky, la présence croissante des troupes de l’Otan, la militarisation des budgets nationaux, notre opposition à la propagande de l’opposition d’un prétendu camp « démocratique » à un autre dictatorial, font partie des axes nécessaires pour esquisser un camp prolétarien, qui ne soit aligné sur aucun des camps impérialistes en présence. Pourtant, c’est au-delà que nous devons porter notre attention. Une politique indépendante de classe, perceptible à l’échelle internationale, est certes aujourd’hui insuffisante mêmes réunies dans nos pays respectifs, et pourtant c’est l’unique voie. Car la meilleure façon d’en finir avec une guerre, c’est la mobilisation de la classe ouvrière pour renverser ses exploiteurs en Russie, en Ukraine et à l’échelle internationale. Ces remarques – et les discussions à avoir entre nous – ne sont pas encore un programme pour le monde du travail et la jeunesse, mais elles pourraient contribuer à poser les bases d’un regroupement contre cette situation de guerre et ses possibles extensions. Là aussi, il faut le constater, les initiatives internationales des communistes révolutionnaires sont, plus d’un an après le début de la guerre en Ukraine, à l’état de projets.

La reconstruction de l’internationalisme

La difficulté d’avoir une compréhension précise des réactions sociales et politiques des travailleurs en Ukraine et Russie nous empêche provisoirement d’avoir une politique précise, sans même parler d’une intervention. Cela souligne l’absence de coordination du mouvement révolutionnaire ne serait-ce que pour des échanges, sans parler d’une collaboration et d’élaborations communes. Et pourtant c’est dans ce domaine que nous pourrions faire des pas concrets et utiles pour notre classe, pas seulement en œuvrant au sein de contradictions d’une situation mais en créant des opportunités.

Le réveil social observé en partie en Europe – en Grande-Bretagne, en France et même en Allemagne – avec des mouvements significatifs, a été suscité par la concurrence inter-impérialiste, l’inflation, des restrictions dans les politiques publiques. Il a donné lieu à des expériences sociales inédites qui pourraient rendre possible une politique commune des groupes révolutionnaires, chose qui n’est pas évidente en toute circonstance. En Amérique latine, en particulier en Argentine, avec des minorités révolutionnaires conséquentes et une situation d’effondrement économique probable, il est possible d’envisager une intervention politique de la classe ouvrière à plus grande échelle. Les mouvements souterrains en Chine et ailleurs soulignent les difficultés mais aussi les potentialités. Mais cette combativité nécessaire ne sera pas suffisante, nous en sommes tous convaincus : les mouvements spontanés, aussi profonds et massifs soient-ils, ne peuvent aboutir à des transformations révolutionnaires de la société sans l’intervention d’organisations politiques qui posent clairement la question non seulement d’une révolution ou débouché politique qui demeure sur le terrain des institutions bourgeoises, mais d’une révolution sociale au moyen d’organes de pouvoir de la classe ouvrière. Bien entendu, les organisations révolutionnaires sont loin d’être en situation de proposer une telle politique, même là où le mouvement spontané est allé très loin comme en Iran. Mais ce n’est pas une raison pour renoncer et c’est ce qui rend nécessaire les échanges d’expérience, les discussions de tous les groupes autour d’une même table, sans aucune prétention hégémonique, simplement parce qu’élaborer une politique et, à fortiori, la mettre en œuvre nécessite une connaissance à la fois globale et précise de la situation qu’aucun groupe ou regroupement international n’a à lui seul.

Les risques d’une généralisation de la guerre initiée en Ukraine et cette intervention de la classe ouvrière, donnent au thème de la conférence une pertinence et la possibilité d’être féconde. Les transformations profondes du marché mondial, du système de production, des classes, des flux de la force de travail, des rapports de force entre puissances impérialistes, du déclin de certaines et l’émergence de nouvelles donnent lieu à des appréciations souvent différentes entre nous – d’où le besoin et même la nécessité d’en discuter. Il nous semble important d’aborder, dans un deuxième temps, la question des premiers pas vers un cadre commun d’échange d’informations, d’expériences militantes, condition nécessaire à l’établissement des liens de confiance indispensables à la construction, demain, d’une nouvelle Internationale.

Réunir les révolutionnaires

La classe ouvrière n’a jamais été aussi importante dans le monde, avec l’émergence d’un prolétariat nombreux en Chine, en Inde, dans les pays dits émergents. Les questions tenant des formes de la démocratie bourgeoise – mise en avant de la nécessité d’une assemblée constituante par exemple – ne devraient donc plus être mécaniquement mises en avant comme « débouché politique » sitôt qu’un mouvement social profond met à l’ordre du jour une intervention autonome de la classe ouvrière dans le champ politique. La question du front unique ouvrier – qui va de l’activité au sein du syndicat qui en est la forme la plus simple à l’attitude à avoir envers les organisations réformistes sur le déclin – devra certainement être l’objet d’échanges. Sans compter la question, ouverte, de l’appréciation des conditions qui peuvent permettre que des perspectives révolutionnaires que peuvent ouvrir aux travailleurs les luttes de libération nationale et anti-coloniales. Tout cela devrait faire partie des discussions entre nous, mais il est important de mettre en place un cadre qui nous permette de sortir de la relative ignorance dans laquelle nous nous trouvons tous sur la situation précise dans de très nombreux pays.

Construire des relations militantes, faites d’échanges concrets, de confiance accumulée entre équipes parfois « concurrentes » sur le plan national, est le défi devant nous. Sans nier nos différences, nos divergences, en les assumant, il est possible d’exposer de façon responsable devant des travailleurs, travailleuses, conscients, nos débats, nos projets communs ou séparés. Une campagne contre le militarisme impérialiste, qui ne soit pas seulement propagandiste, est difficile à mettre en place. Pourtant, elle est urgente. Nous pourrions envisager une conférence annuelle, où nous échangerions nos expériences militantes (nos victoires modestes mais aussi nos échecs), où nous soumettrions nos élaborations respectives à la critique de nos camarades, et où peu à peu nous pourrions commencer à envisager, sur des expériences vérifiées, des collaborations. Une perspective modeste mais alors que le temps presse, ce serait un grand bond en avant.

5 juin 2023

 

 

 


 

 

La contribution du NPA à la conférence de Milan de juillet 2023 en différentes langues