Placés en première ligne pour contrer la contestation sociale, l’explosion des inégalités et la colère des banlieues, les forces de l’ordre ainsi que leurs directions expriment publiquement leur opposition aux décisions de justice visant des policiers auteurs de violences. L’extrême droite, influente dans l’ensemble de la police nationale, de la gendarmerie et majoritaire dans les corps d’élite comme la brigade anti-criminalité (BAC), joue sans surprise sa partition raciste et sécuritaire contre la « justice laxiste ». Macron comme Borne affirment comprendre « le malaise au sein de la police ». Une grande partie de la gauche crie à la menace de « courants factieux » au sein des forces de l’ordre et à la défense des juges. Mais que signifie cette crise dans la police : phénomène marginal, crise du régime ou préparation accrue à un durcissement de la lutte des classes ?
Un malaise qui révèle bien autre chose qu’une absence de reconnaissance
Macron, avec ses 100 jours d’apaisement, ne sort pas de l’image d’un pouvoir bousculé depuis janvier, que ce soit par la contestation sociale inédite contre la réforme des retraites, puis l’explosion des banlieues consécutive au meurtre le 27 juin à Nanterre de Nahel, et maintenant une colère ouverte au sein des forces de répression et en premier lieu la police nationale. Le département des Bouches-du-Rhône est en pointe de la contestation, avec un millier d’arrêts maladie demandés en une semaine sur le département, des rassemblements publics en soutien de policiers entendus par la justice. Mais c’est surtout, au plan national, le soutien ouvert à un des policiers mis en détention suite à des violences par le « patron de la police » Frédéric Veaux et par Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, qui donne le ton. Ce qui se joue ici est bien autre chose qu’une expression d’une colère d’un corps de l’État. Bien entendu, cela se traduit sur le terrain par l’attitude du « laisser-faire », nommée « Pipe » au sein des forces de l’ordre (« Pas d’initiative, pas d’emmerdes »), pour dénoncer des salaires dérisoires, des risques accrus et une impopularité croissante. Mais ce bras de fer révèle aussi la prise de conscience de secteurs dirigeants des forces de l’ordre capitaliste qu’ils sont en première ligne pour protéger un pouvoir qui ne leur donnerait pas les moyens de mener à bien des tâches de contrôle social, de maintien de l’ordre ou de surveillance électronique. Ce qu’exprime cette opposition de l’encadrement policier, c’est la volonté d’un accroissement des moyens sécuritaires et une diminution de la pression de la justice sur les exactions des unités d’intervention. C’est ainsi qu’il faut comprendre le communiqué intersyndical policier du 30 juin des syndicats Alliance – majoritaire chez les mal-nommés gardiens de la paix – et Unsa, appelant, en cas de condamnation du policier qui a tué Nahel, à la « résistance, et le gouvernement devra en prendre conscience », tout en rappelant ses objectifs politiques de « lutter contre les nuisibles et les hordes sauvages ». L’extrême droite au sein de la police milite ouvertement pour ce que le pouvoir macroniste a favorisé depuis la crise des Gilets jaunes en octobre 2018 : la répression comme seule solution à l’urgence sociale.
La gauche joue à se faire peur sans mobiliser
Depuis le communiqué intersyndical de la police du 30 juin et les déclarations du directeur de la police nationale, F. Veaux le 23 juillet, une partie de la gauche crie à sédition factieuse et met en garde contre la remise en cause des pouvoirs de la justice et des « valeurs républicaines » de la police. Une partie de la gauche seulement, puisque le PCF se cantonne à un silence bien républicain et très respectueux du pouvoir, à la différence de l’Humanité. Mais que veulent dire au juste ces protestations de syndicats de magistrats et de partis de gauche (Europe Écologie Les Verts, PS, LFI) ? Dénoncer une dérive autoritaire ? La belle affaire ! Mais depuis les Gilets jaunes en passant par les manifestations, les grèves réprimées, Sainte-Soline, les rafles de sans-papiers, on avait tout de même de petits indices. Défendre la justice ? Sans revenir à 2018, son explosion sociale et sa répression, les quatre jours d’explosion des banlieues après le 27 juin dressent un bilan implacable : un mort par un tir policier, deux personnes dans le coma, cinq éborgnés, une main arrachée, des dizaines de blessés non comptabilisés de peur de représailles, 3400 arrestations, 95 % de condamnations et 600 personnes en prison. Le pouvoir est impopulaire, certes, mais la répression joue bien son rôle, et que la gauche se rassure : la collaboration police et justice pour maintenir l’ordre fonctionne on ne peut mieux en appliquant la loi du plus fort. Le programme de cette gauche de gouvernement ne dépasse pas la séparation des pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif de Montesquieu… dans De l’esprit des lois, qui date de 1748. On a vu mieux comme innovation et c’est en bien en deçà de la Révolution de 1789. Mais surtout, semer l’illusion d’une « bonne » police et d’une justice « indépendante » pour protéger les droits des travailleurs est une impasse lourde de sens par les temps qui s’annoncent. On ne peut réformer la police, et la justice est déjà indépendante… des travailleurs.
La lutte des classes ou la lutte institutionnelle ?
Ce que révèle cette colère policière a plusieurs dimensions, mais elle est aussi à sa façon l’expression d’un raidissement des rapports sociaux. Le patronat et toute la bourgeoisie mènent une guerre de classe et s’en donnent les moyens, que ce soit contre leurs concurrents internationaux ou contre leurs adversaires sociaux que sont les travailleuses et les travailleurs de ce pays. La réforme des retraites, puis celles à venir portent aussi la marque de la régression sociale. Le projet du nouveau patron du Medef, Patrick Martin, de faire travailler plus à salaires stagnants, avec une inflation maintenue et une concurrence exacerbée, a bel et bien les airs d’une guerre de classe. Et pour maintenir l’ordre social, de façon plus sérieuse que les phrases creuses de Macron lancées depuis le Pacifique et la colonie française de la Kanaky, il faudra plus que jamais, face à l’explosion des inégalités et pour préserver une société d’exploitation croissante, une justice et des forces de répression aux ordres. La gauche ne nous prépare pas à nous défendre ni à nous mobiliser. Au contraire, elle pousse à confier notre sort aux auxiliaires en robe ou casqués du pouvoir de la bourgeoisie. Avec une police gangrenée par l’extrême droite, des bandes fascistes plus sûres d’elles-mêmes, parfois même des nervis patronaux contre certaines grèves récentes, et pour couronner le tout le silence complaisant du ministre de l’Intérieur Darmanin, il faudra autre chose que des jérémiades désireuses de sauver leur République, cette démocratie des riches. Face à une lutte des classes qui va aller en s’intensifiant, le mouvement ouvrier doit mener lui-même ses tâches de protection et de défense contre la violence d’État.
Tristan Katz