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A House of Dynamite, film de Kahtryn Bigelow

A House of Dynamite
Kahtryn Bigelow

Le 24 octobre, Netflix a dévoilé A House of Dynamite, le nouveau film de la réalisatrice américaine Kathryn Bigelow, également autrice de Démineurs (2008) et de Zero Dark Thirty (2012). Ce thriller politique tendu nous plonge dans la gestion d’une attaque nucléaire contre les États-Unis. Tout se joue à la minute près : le pouvoir s’organise dans la panique pour comprendre, décider et réagir face à l’attaque.

Bigelow articule son récit autour des points de vue de trois personnages, dans trois lieux, qui correspondent en fait à trois échelles du pouvoir. La salle de crise de la Maison-Blanche, le centre de commandement stratégique, puis la voiture présidentielle : chacun de ces espaces rejoue la même séquence, avec des angles et des enjeux différents. À travers ce montage en boucle, la réalisatrice met à nu les contradictions internes du pouvoir, les hésitations comme les rapports de force entre militaires et politiques. Le suspense naît moins de l’imminence de l’impact du missile – dont les protagonistes ne connaissent pas l’origine – que de la mécanique du commandement : qui décide et au nom de quoi ?

Dans le film, les personnages se débattent au milieu des protocoles, des écrans, des signaux d’alerte. Ils parlent un langage technocratique sur la riposte, sur le calcul des trajectoires pour intercepter le missile, de fenêtres d’opportunité pour contre-attaquer. Mais en réalité, Bigelow met en scène l’impuissance des personnages et l’incapacité à maîtriser ce que la course à l’armement nucléaire a créé. Car l’armement nucléaire, censé empêcher la guerre, la rend au contraire permanente, même si elle est le plus souvent invisible.

Derrière le thriller, se dessine une critique de la logique d’armement et de la foi aveugle dans une technologie censée « nous protéger ». Bigelow filme les écrans, les communications, les procédures sécuritaires – autant d’outils qui entretiennent l’illusion du contrôle. Ce suréquipement devient un piège : plus les moyens de destruction et de défense sont sophistiqués, plus la peur grandit, et plus la riposte semble inéluctable en cas de menace. Bigelow dépeint une véritable bureaucratie nucléaire nourrie par sa propre inertie, broyant au passage ceux qui la font fonctionner – des êtres humains en chair et en os, qui ne prennent la mesure du danger et ne s’en émeuvent que lorsqu’il est déjà trop tard.

Finalement, à quoi tient l’Armageddon ? De la logique même de ce monde militarisé. Dans cette « maison pleine de dynamite » qu’est la planète, Bigelow rappelle que le danger ne vient pas seulement des armes, mais surtout de l’ordre mondial capitaliste qui les rend nécessaires.

Martin Eraud