À l’appel des syndicats agricoles, la colère des agriculteurs revient sur le devant de la scène. Leur détresse est toujours là, d’autant que les promesses du gouvernement de l’hiver dernier sont restées lettre morte.
Le mouvement d’il y a quelques mois s’était révélé très éruptif. Les actions en cours sont beaucoup plus cadrées. Les élections professionnelles auront lieu en janvier prochain et les organisations agricoles sont en campagne. La Coordination rurale, deuxième syndicat, très lié à l’extrême droite, espère gagner des places face à la FNSEA jusque-là majoritaire. Il faut dire que les élections professionnelles décident qui gérera les chambres d’agriculture… et leur important budget ! Mais au-delà du cirque préélectoral, les racines de la crise sont bien profondes.
Le Mercosur qui cache la forêt
La FNSEA a choisi de faire campagne autour de la seule dénonciation du traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur, l’alliance économique de cinq pays d’Amérique du Sud. Par cet accord, les produits agroalimentaires sud-américains auraient un accès plus facile au marché européen, en échange de quoi les industriels, notamment français et allemands, obtiendraient de nouveaux débouchés pour leurs marchandises. Certains secteurs agricoles européens en profiteraient aussi, comme celui des produits laitiers, ou encore celui des vins et alcools. Mais d’autres, comme la viande bovine, y perdraient.
Si la FNSEA est vent debout contre le Mercosur, ce n’est pas tant pour défendre les éleveurs que pour protéger les intérêts des capitalistes français de l’agroalimentaire sur le marché mondial1. Et pour faire oublier que sa politique contribue depuis plus de soixante ans à soumettre les agriculteurs aux banques, aux grandes entreprises et aux coopératives, les empêchant de dégager un revenu digne de leur travail.
Protectionnisme et libre-échange, deux revers de la même médaille capitaliste
Le consensus nationaliste contre l’accord détourne le regard des agriculteurs vers un épouvantail, les producteurs sud-américains. À ce petit jeu, la Coordination rurale fait même de la surenchère en bloquant la frontière pyrénéenne : l’ennemi n’est pas seulement brésilien mais aussi espagnol, et demain polonais ou irlandais. Invoquer la « concurrence déloyale » que représenteraient les conditions de travail et les bas salaires d’Amérique du Sud, c’est oublier comment sont traités ici les saisonniers. Dans les vignobles bordelais et champenois, ces travailleurs subissent une exploitation féroce, dormant parfois à même le sol ou ne recevant aucun salaire.
Le mouvement de l’hiver dernier a montré à quel point les agriculteurs sont en difficulté dans tous les pays européens. En Amérique latine également, où beaucoup sont expropriés par les grands propriétaires et exploités dans des conditions très rudes.
Régler la crise agricole pour de vrai, c’est en finir avec ce système qui, partout sur la planète, soumet la terre et ceux qui la travaillent à la loi du profit.
25 novembre 2024, Jean Einaugig et Bastien Thomas
1 Le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, est un parfait représentant des capitalistes de l’agrobusiness : il possède 700 hectares de cultures en Seine-et-Marne, différentes entreprises et, surtout, il préside le groupe spécialisé dans les huiles Avril (dont font partie Lesieur et Puget).