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Agriculteurs en colère : plancher sur les prix ou faire flancher le capital ?

« Voilà le terrible ! cria-t-il. D’un côté, nous autres les paysans, qui avons besoin de vendre nos grains à un prix rémunérateur. De l’autre, l’industrie qui pousse à la baisse, pour diminuer les salaires. C’est la guerre acharnée, et comment finira-t-elle, dites-moi ? »

Émile Zola, La Terre

Pris en chasse au Salon de l’agriculture, Emmanuel Macron a finalement promis un prix plancher aux agriculteurs. Il faut dire que la levée des blocages sur ordre de la FNSEA et de la Coordination rurale avait laissé un goût amer à nombre d’agriculteurs mobilisés, avec le sentiment de n’avoir rien gagné sur leur principale préoccupation : pouvoir vivre de leur travail.

À peine la mesure de prix plancher annoncée que les doutes ont commencé à s’exprimer. La FNSEA s’en méfie, Bardella la récuse : si l’on impose des prix planchers, les négociants agricoles n’arriveront plus à exporter ! Un chantage qui rappelle celui sur les salaires ouvriers : ne réclamez pas trop ou bien on ira produire ailleurs… Preuve s’il en fallait que la FNSEA et l’extrême droite se préoccupent plus des profits de l’agrobusiness que du sort des agriculteurs.

Faut-il un salaire minimum paysan ?

Le prix plancher est en fait une revendication de la Confédération paysanne pour rémunérer l’agriculture à sa juste valeur. Macron aurait-il soudainement viré à gauche ? Le diable va évidemment se cacher dans les détails. Car si les « paysans-travailleurs » ont bien raison d’exiger de pouvoir vivre de leur travail, et de vouloir pour cela faire payer les industriels et négociants, comment ces prix planchers accordés par Macron vont-ils pouvoir l’imposer ?

Durant les décennies de l’après-guerre, la politique agricole commune (PAC) avait mis en place un système de « prix garanti », qui devait compenser à coup de subventions la chute des prix liée aux gains de productivité et au dumping international. L’industrie agroalimentaire française pouvait ainsi imposer des bas prix aux agriculteurs pour écouler sa surproduction sur toute la planète, plongeant au passage dans la misère les paysans des anciennes colonies ne pouvant supporter la concurrence. Une mondialisation aux stéroïdes pour que l’Europe, et la France en particulier, s’impose comme puissance agricole. Une politique dont l’ensemble du patronat tirait profit, puisque les bas prix agricoles permettaient de maintenir des bas salaires dans l’ensemble des secteurs. Mais depuis les années 1990, les prix garantis ont été progressivement réduits, la PAC ayant réorienté son système vers des subventions directes soumises à diverses conditions. La survie des exploitations agricoles trop petites pour s’imposer seules sur le marché mondial n’était alors plus la priorité des gouvernements européens.

Le prix plancher souhaité par la Confédération paysanne diffère en principe de la logique de prix garanti de la PAC, puisque ceux qui sont appelés à payer sont les industriels de l’agroalimentaire et grandes surfaces plutôt que les finances publiques. C’est ce que la loi EGalim de Macron prétendait déjà imposer en 2018, le prix négocié dans les contrats de vente étant supposé se baser sur la proposition des agriculteurs eux-mêmes et tenir compte des coûts de production. Mais force est de constater que l’effet a été quasiment nul, car le rapport de force est resté du côté des industriels et grandes surfaces.

Un prix plancher négocié par branche agricole comme le propose maintenant Macron aura-t-il plus de succès ? Tout dépend évidemment du niveau de prix décidé au final. Or les principaux syndicats supposés représenter les agriculteurs dans les futures négociations sont justement dirigés par des grands propriétaires et patrons de l’industrie agro-alimentaire qui imposent les prix au rabais. Autant dire que ce n’est pas gagné. Et nul doute que le chantage à la compétitivité servira d’argument pour que le plancher touche terre.

L’agriculteur, un salarié comme les autres ?

Le besoin ressenti par certains agriculteurs d’imposer un prix plancher est significatif de la place des agriculteurs dans la société capitaliste. Si les gros agriculteurs sont aussi de petits patrons, exploitant de la manière la plus crasse une main-d’œuvre précaire, la majorité des agriculteurs ne voit pas la couleur du produit de son travail. Alors il faudrait imposer que le prix de vente couvre les coûts de production et fournisse un revenu minimum pour vivre aux agriculteurs ? Mais donc sans se préoccuper de la valeur réellement produite par les agriculteurs ? En réalité, s’il reste si peu aux agriculteurs, c’est que la richesse qu’ils produisent est captée par les capitalistes selon la même logique que pour les travailleurs salariés. Seul reste aux producteurs le minimum socialement nécessaire pour vivre. À l’époque capitaliste, la propriété agricole n’est qu’un voile pour masquer l’exploitation. Un voile d’autant plus fin quand les exploitations sont endettées à plus de 200 000 euros en moyenne, et que les véritables propriétaires sont surtout les banques.

Un prix plancher accordé par le gouvernement aura donc toutes les chances de finir comme le Smic : la nouvelle norme pour des revenus bien insuffisants pour vivre. La lutte des agriculteurs est donc devant eux, une lutte qui aurait tout intérêt à rejoindre celle des travailleurs salariés pour de meilleurs salaires.

 

Maurice Spirz