Actes Sud, 2018, 304 p., 21 €
Livre après livre, Joseph Andras met en lumière les faits et actes de l’État français qui ne collent pas à l’histoire officielle de l’auto-proclamé « pays des droits de l’homme ». Après son livre portant sur la guerre d’Algérie et la condamnation à mort d’un militant indépendantiste du Parti communiste algérien (PCA)1, il se penche ici sur le massacre de la grotte d’Ouvéa en Nouvelle-Calédonie : en 1988, dans l’entre-deux tours de l’élection présidentielle, des indépendantistes kanak tentent d’occuper une gendarmerie. L’affaire déraille, des coups de feu sont échangés, quatre gendarmes sont tués. Les indépendantistes se réfugient alors dans une grotte avec plusieurs gendarmes en otage. L’État français répond en envoyant l’armée qui terrorise la population kanak sur place avant de prendre d’assaut la grotte. Bilan de ce massacre d’État qui ne s’assumera bien entendu jamais comme tel : 21 morts dont 19 Kanak.
C’est à une véritable enquête littéraire à laquelle Andras se livre en suivant un fil conducteur : faire le portrait d’Alphonse Dianou, un des leaders indépendantistes, tué pendant l’intervention militaire à Ouvéa. Joseph Andras relate ainsi son voyage en Kanaky et ses rencontres avec toutes les personnes qui ont côtoyé de près ou de loin cette figure complexe et énigmatique. Ce récit est entrecoupé du compte-rendu clinique, jour après jour, de la prise d’otages de la grotte d’Ouvéa, depuis la tentative d’occupation de la gendarmerie jusqu’au moment de l’assaut final. Au fur à mesure des pages, à travers la reconstitution minutieuse de cette prise d’otages et de l’itinéraire d’Alphonse Dianou, se construit, dans un style à la fois tranchant et poétique, un réquisitoire imparable contre la politique coloniale de l’État français. Les calculs électoralistes des deux protagonistes de l’élection présidentielle de 1988, François Mitterrand et Jacques Chirac, s’entremêlent aux méthodes violentes de l’armée, tout cela sur fond d’une « raison d’État » : celle d’un État impérialiste qui cherche à asseoir sa domination sur un des derniers confettis de son empire colonial.
À travers sa quête de la vérité sur « l’affaire d’Ouvéa », Joseph Andras esquisse aussi un véritable portrait de la Nouvelle-Calédonie d’aujourd’hui.
Boris Leto
1 De nos frères blessés, paru aux éditions Actes Sud en mai 2016, retrace l’itinéraire de Fernand Iveton, un ouvrier européen qui commet un acte de sabotage dans son usine à Alger en soutien de la lutte pour l’indépendance du peuple algérien. Il sera condamné à mort et exécuté par l’État français pour cet acte.