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Algues vertes, les méfaits de l’agriculture capitaliste : une interview d’Inès Léraud

Longtemps surnommée « salade verte », l’algue verte ne fait pas seulement fuir les touristes. En putréfaction, elle émet du sulfure d’hydrogène, ou H2S, qui devient mortel au bout de quelques minutes d’inhalation. Des dizaines d’animaux, chevaux, chiens et sangliers, mais aussi au moins trois hommes, dont Thierry Morfoisse et Jean-René Auffray, en ont été victimes.

C’est peu dire que toutes les autorités, y compris le lobby touristique, ont participé à la « fabrique du silence », sous le regard bienveillant de la toute puissante FRSEA1 bretonne, véritable État dans l’État. N’est-ce pas monsieur le préfet de région ? Les élus de tout acabit et les décideurs politiques cherchent par tous les moyens à mettre hors de cause le « modèle agricole breton » – litote ridicule pour qualifier le conglomérat industriel agricole en Bretagne, totalement inféodé au capital, qui considère la terre, la mer, l’air, le vivant domestique ou sauvage et les humains comme de simples ressources utilisables à coup d’intrants, de subventions et de corruption. Des millions d’euros sont versés aux principaux responsables au nom de la lutte contre le fléau ! L’omerta a duré jusqu’à ce qu’associations, lanceurs d’alerte, scientifiques et des paysans eux-mêmes décident de se mêler de leurs propres affaires, d’enquêter, de dénoncer, de demander des comptes à la justice, à l’État et aux élus sous le regard courroucé de Jean-Yves Le Drian, ancien patron socialo-macroniste de la région. Première reconnaissance juridique en 2013, le tribunal administratif de Rennes a condamné l’État dans le dossier des algues vertes. Condamnation renouvelée en 2021.

Ces différents jugements ne sont pas du goût du préfet des Côtes-d’Armor qui a encore tenté d’interdire l’accès au littoral pollué à André Ollivro et Yves-Marie Le Lay, deux lanceurs d’alerte militants, au nom des dangers pour leur santé ! Pas de chance pour lui, le tribunal administratif de Rennes vient à nouveau de le condamner, le 18 juillet, cette fois pour « préjudice écologique ». Et le travail militant paye : toutes les bonnes librairies bretonnes et au-delà vendent la BD Les algues vertes, l’histoire interdite et le film éponyme est un succès.

Nous avons interviewé Inès Léraud, journaliste d’investigation, co-autrice de la BD, engagée dans le mouvement social, avec qui nous avons partagé tous les combats : contre la réforme des retraites et pour la défense de la journaliste locale Morgane Large, victime de deux sabotages en réaction à ses enquêtes sur le lobby de l’agrobusiness breton.

Thierry Perennes, comité Nathalie Le Mel

 


Inès, es-tu surprise de l’accueil réservé au film tiré de la BD sur les algues vertes ?

Oui c’est une surprise, en ce 15 août nous en sommes à 340 000 spectateurs, ce qui pour un film militant est exceptionnel. Surtout sans acteurs starisés ou très connus, sans gros budget, environ 3,7 millions d’euros, et sur un sujet difficile. Au début de l’aventure avec Pierre Jolivet, le réalisateur, nous n’imaginions pas que ce serait un tel succès. Mais l’audience dépasse nos espoirs, d’autant que des bâtons ont été mis dans nos roues lors du tournage. Nous n’avons pu avoir accès à certains lieux, comme une simple porcherie ; certaines scènes ont sauté ; des menaces ont été proférées à notre encontre. Dans le même temps, la BD continue à se vendre, actuellement elle dépasse les 150 000 exemplaires. Preuve de la prise de conscience par la population des enjeux environnementaux et de santé publique.

Penses-tu que l’opinion a bien senti les enjeux liés à l’agrobusiness, à ses effets sur l’environnement et sur le devenir du vivant à court terme ?

Je constate par les échos qui me reviennent que le film a été considéré comme « bienveillant » par les Bretons, y compris par des agriculteurs, il n’est pas accusateur. Il décrit un système et la population se sent concernée. Le film montre bien que les habitantes et habitants ont aidé des journalistes comme moi dans les enquêtes, tu en fais partie aussi d’ailleurs.

Les Bretonnes et Bretons se sentent fortement concernés par les enjeux de la qualité de l’eau et de santé publique, mais aussi par l’agriculture qui est dans une situation compliquée. La plupart des agriculteurs ne disposent pas d’un revenu stable, ni convenable. On voit la déperdition agricole, les fermes qui ne trouvent pas de repreneur, etc. La spéculation foncière est encouragée par la FDSEA2. Même des agriculteurs conventionnels se posent des questions et accompagnent le film Les Algues vertes lors de projections. Et surtout, il me remonte qu’ils apprécient la critique qui y est faite de la FNSEA, qui ne les représente pas. C’est le cas notamment de l’équipe du Samu agricole du Maine-et-Loire. Je reçois des messages d’agriculteurs qui sont allés voir le film, ils veulent sortir de l’hégémonie des FDSEA.

La condamnation de l’État dans le dossier des algues vertes n’est sans doute pas tombée par hasard ?

Pour moi, il est évident que la pression et le travail des associations sont déterminants, notamment celui d’Eau et rivières de Bretagne, et ceux d’André Ollivro et d’Yves-Marie Le Lay depuis des décennies. Il est même crucial pour compenser l’inactivité ou la complicité de certains élus en place. J’appelle de mes vœux à ce que le plus grand nombre d’habitants aident et rejoignent ces associations.

 


 

À lire et à voir :

Algues vertes, l’histoire interdite
bande dessinée d’Inès Léraud et Pierre Van Hove, Delcourt, 2019

Les Algues vertes
film réalisé par Pierre Jolivet d’après la bande dessinée, 2023

 

 

(Article paru dans Révolutionnaires numéro 4, septembre 2023..)
 

 

1  Branche régionale du syndicat agricole FNSEA.

2  Par exemple grâce aux montages fiscaux ou de succession. Les FDSEA sont les sections départementales de la FNSEA.