Nos vies valent plus que leurs profits

Allemagne : l’AfD continue à s’ancrer dans le paysage

Pour la première fois de son existence1, le parti d’extrême droite AfD (« Alternative pour l’Allemagne ») est passé régulièrement en tête de sondages nationaux ces dernières semaines, avec des scores allant jusqu’à 27 %.

Lors des élections municipales en Rhénanie-du-Nord-Westphalie mi-septembre, l’AfD – en général plus fort en Allemagne de l’Est – a en moyenne triplé ses scores, atteignant jusqu’à 30 % dans la ville de Gelsenkirchen, et cimentant son assise électorale dans des régions industrielles où licenciements et fermetures ont poussé au chômage des centaines de milliers de travailleurs. Et pour les élections régionales de l’année prochaine, en deux régions est-allemandes (Saxe-Anhalt et Mecklembourg-Poméranie-Occidentale) l’AfD pointe de loin en tête dans les sondages, avec 38 à 40 %.

Déjà dans la foulée des dernières élections dans l’est du pays, les résultats – autour de 30 % en Saxe, dans le Brandebourg, et en Thuringe – avaient fait vaciller le « barrage » des grands partis (l’engagement à ne jamais faire alliance avec l’AfD), bien embêtés pour bricoler une coalition sans l’extrême droite.

Mais ce n’est même pas sur le terrain électoral que l’AfD a fait la plus grande démonstration de force : en juillet dernier, la social-démocratie (en coalition gouvernementale avec la CDU de Merz) avait proposé la candidature de Frauke Brosius-Gersdorf pour siéger au Tribunal constitutionnel, plus haute instance juridique du pays. Généralement une formalité. Mais les conservateurs ont refusé de l’élire suite à une campagne intense menée contre elle par l’extrême droite, la qualifiant de « militante d’extrême gauche »… parce qu’elle défendait, entre autres, un droit à l’avortement plus libéral2 !

À gauche, un barrage bien fébrile

Après son succès relatif aux dernières législatives – 8 % après avoir craint de tomber sous la barre des 5 % – et à l’afflux de jeunes dans la foulée qui a fait grimper le nombre d’adhérents revendiqués à plus de 100 000, le parti de « gauche radicale » Die Linke voudrait se faire passer pour l’incarnation la plus combative du « barrage républicain » à l’allemande. Une opération « sauvetage » avec un tournant à gauche suite au départ d’une fraction « souverainiste de gauche » autour de Sahra Wagenknecht. Mais les petits succès poussent aussi à un discours plus « pragmatique » alors que Die Linke participe déjà aux gouvernements de deux régions. Son passé dans des gouvernements n’est guère plus reluisant que celui de la coalition prétendue « progressiste » dite de « feu tricolore » (verts, sociaux-démocrates et libéraux), chassée par les urnes en février, dont la politique anti-migrants a grandement participé à la montée de l’extrême droite. En Thuringe, c’est un premier ministre de Die Linke qui a organisé les expulsions pendant des années. Et les deux représentants du parti au Bundesrat (Sénat) ont voté l’augmentation des budgets militaires et le nécessaire amendement à la Constitution – « armée défensive » oblige… bien qu’au Bundestag (Assemblée), les députés aient voté contre. Et si, après un long silence, quelques dirigeants osent se positionner contre le génocide à Gaza, ce n’est que récemment que Die Linke, comme les directions syndicales et principales organisations climat ont appelé à manifester – il y a quelques mois, c’était encore le service d’ordre syndical, dont des membres de Die Linke, qui excluait un cortège pro-palestinien de travailleuses du médico-social de manifestations contre les coupes budgétaires. D’autres parties de la « gauche » ont fait encore mieux ces dernières semaines : les sociaux-démocrates du SPD3 ont voté, aux côtés de leurs « collègues » d’extrême droite, pour abroger une loi facilitant la naturalisation des étrangers… qui avait été mis en place par le SPD lui-même, sous la dernière coalition.

La situation n’est pourtant pas que noire ! À plusieurs reprises ces dernières années, des manifestations monstres ont vu des millions de personnes manifester contre la montée de l’extrême droite. Des assemblées générales ont réuni des milliers d’étudiants en début d’année, avant une manifestation qui avait bloqué pendant une demi-journée le congrès de l’AfD. Ce rejet des idées réactionnaires et racistes se manifeste aussi contre le chancelier conservateur Merz qui a déclaré que, bien que son gouvernement aurait fait baisser les chiffres de migrants de 60 %, « il reste évidemment ce problème dans le paysage urbain (Stadtbild) ». Et d’embrayer, lorsque des journalistes lui ont demandé ce qu’il voulait dire avec son énigmatique « paysage urbain » : « Vous n’avez qu’à poser la question à vos filles… » Une démagogie qui ne passe pas, déclenchant des manifestations dans des dizaines de villes – et d’autres sont prévues, entre autres contre le congrès de fondation d’une organisation de jeunesse de l’AfD, « Generation Deutschland » (génération Allemagne). De quoi espérer que la jeunesse puisse retrouver le chemin de la rue pour contester la montée de l’extrême droite et de ses idées nauséabondes.

Toni Müller et Dima Rüger, 29 octobre 2025

1  Fondé en 2013 sur des bases eurosceptiques, il a pris un « tournant » explicitement nationaliste et xénophobe en 2014-2015 dans le contexte de la soi-disant « crise migratoire » et s’est depuis imposé comme principal parti d’extrême droite dans un pays où l’extrême droite n’avait jusque-là pas de vraie représentation électorale.

2  En Allemagne, l’avortement n’est toujours pas légalisé, mais simplement décriminalisé, et jusqu’en 2022, il était interdit d’en faire la « publicité » !

2  Actuellement « partenaire junior » de la coalition gouvernementale avec les conservateurs, où ils détiennent notamment le ministère de la Défense, qui est en train de remettre en place une forme de service militaire.

 

 


 

 

Sommaire du dossier