Depuis l’été, l’Allemagne voit défiler grèves et débrayages pour les salaires, dans les branches et secteurs les plus divers – aéroports, éducation, métallurgie, santé. Chez les dockers par exemple, on n’avait pas connu de grèves depuis des décennies. Si les directions syndicales de certains secteurs freinent et préfèrent négocier, des grèves fleurissent ces dernières semaines et s’annoncent pour les prochaines.
Nouvelle vague pour la nouvelle année ?
Dès janvier 2023, une série de grèves prend le relais de celles de l’an dernier. La plus visible a été celle de la Deutsche Post (la poste allemande), une « grève d’avertissement »1, d’abord de trois jours il y a deux semaines, suivie d’une nouvelle journée le jeudi 26 janvier. La poste allemande, privatisée en 1995 et qui est devenue une multinationale avec des filiales innombrables, a été une grande gagnante de la « crise » : 3 milliards de bénéfices en 2020, 5,1 milliards en 2021, et un record de 8,4 milliards en 2022. Des bénéfices dont les 160 000 salariés directement employés n’ont pas vu la couleur. Environ 18 000 postiers ont participé aux grèves, perturbant fortement la distribution, pour une augmentation de salaire de 15 %.
Un bras de fer, encore au stade des négociations, s’ouvre aussi dans le public, concernant 2,5 millions de salariés. L’État n’a pas daigné faire une proposition et s’est borné à prétendre que les revendications – 10,5 % d’augmentation et un minimum de 500 euros – ne pouvaient pas être satisfaites. Pour les salariés du secteur public employés par les régions et les communes, cela pourrait déboucher sur la première « vraie » grève depuis 1974. Les enseignants2 de leur côté multiplient les journées de grève pour de meilleures conditions de travail, depuis un an et demi, et pour la première fois sont appelés à plus d’un jour, les 7 et 8 février.
À la liste s’ajoutent des grèves plus locales, comme à l’aéroport de Düsseldorf, où une grève de la manutention des bagages et des avions a paralysé le trafic le 27 janvier. Les salariés se battent pour la reprise de 700 collègues d’Aviapartner, entreprise sous-traitante dont la licence sur l’aéroport n’a pas été renouvelée. Les 6500 salariés en Allemagne de la multinationale Coca-Cola ont débrayé et manifesté le 2 février, sur tous les sites, notamment en Rhénanie-du-Nord-Westphalie (NRW) et en Bavière. Dans le cadre des négociations dans le secteur public, des conflits plus aigus et des débrayages éclatent en fonction de situations particulières et localisées, comme dans les services de nettoyage et de voirie de Berlin (BSR, Berliner Stadtreinigung) ou à la radio publique régionale.
Frein syndical ou convergence des grèves
Dans tous les cas, ces grèves ont lieu dans le cadre du calendrier des renégociations des conventions de branche ou de secteur, dont la validité est généralement fixée pour une durée d’un ou deux ans (durant laquelle une « trêve » est imposée). Mais la pression des salariés a poussé les fédérations syndicales à des revendications plus offensives, souvent supérieures à 10 % d’augmentation (l’inflation étant de presque 9 % en décembre), et à appeler à la grève face à un patronat peu enclin à plier dans de simples négociations. Dans de nombreux endroits, elles ont appelé en ordre dispersé et parfois en freinant des quatre fers. Lors des grèves passées de la métallurgie, c’étaient des débrayages d’une heure, saucissonnés par sites voire par équipes, parfois sans même la moindre information faite aux collègues des entreprises voisines. Dans les hôpitaux de Berlin, le syndicat Ver.di a signé un « accord de conciliation », avant même les premières grèves, qui promettait de ne pas appeler à une grève dans le cas où aucun accord ne serait trouvé. Seules restent autorisées les « grèves d’avertissement » (avertissement… sans menace – rendue impossible par le « deal » – d’être suivies d’une grève illimitée) dans ce secteur qui a connu de nombreux conflits ces dernières années.
Pourtant, la perspective de convergence de ces grèves semble bien palpable. À Berlin, la grève des enseignants tombe une journée avant la grève d’avertissement dans les services publics. Dans ces derniers, des salariés font grève sur les mêmes revendications, dans des métiers les plus divers allant des hôpitaux au nettoyage, en passant par les services du gaz et de l’électricité. Les militants syndicaux ou politiques combatifs de ces secteurs tentent d’élargir ces grèves mais aussi de rapprocher les grévistes les uns des autres, en poussant à des rassemblements communs ou des réunions communes de préparation. Car c’est en sortant des situations d’isolement que la classe ouvrière allemande pourra développer le rapport de force nécessaire pour – a minima – ne pas porter sur ses épaules le poids de l’inflation.
Dima Rüger, le 4 février 2023
1 Les Warnstreik, ou grèves d’avertissement, grande spécialité des syndicats allemands, sont des débrayages ou arrêts de travail allant d’une heure à quelques jours, dans le cadre de négociations de branche, de manière à avertir qu’une « vraie » grève pourrait suivre si elles n’aboutissaient pas.
2 Uniquement les enseignants contractuels, les fonctionnaires n’ayant pas le droit de grève en Allemagne. Cependant, dans certaines régions, dont à Berlin, l’éducation a quasiment arrêté de donner le statut de fonctionnaire aux nouveaux professeurs.