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Allemagne : manifestations sous le slogan « Tous ensemble contre le fascisme »

Entre 250 000 et 350 000 à Berlin, puis encore au moins 100 000 la semaine suivante, plus de 250 000 à Munich, des manifestations dans des centaines de villes : les chiffres des manifestations récentes contre l’extrême droite en Allemagne ont de quoi donner le vertige… et l’espoir. Dans beaucoup de villes, ce sont les plus grandes manifestations depuis des décennies. À quelques jours des élections, elles peinent pourtant à exprimer une alternative réelle et à se démarquer de la politique de la coalition sortante entre sociaux-démocrates, libéraux et écolos.

Des fissures dans le barrage

Déjà en janvier 2024, des centaines de milliers de personnes avaient manifesté suite aux révélations sur les conciliabules entre politiciens d’extrême droite et grands patrons pour parler « remigration » et déchéance de nationalité. Les manifestations avaient cessé après deux semaines, mais avaient quelque peu fait reculer le parti d’extrême droite AfD dans les sondages. Le 11 janvier 2025, le congrès de l’AfD commençait avec une demi-journée de retard, bloqué par des manifestations dans une petite ville de Saxe.

Début février, le très probable futur chancelier Friedrich Merz – son parti conservateur est en tête avec plus de 30 % des intentions de vote, devant l’AfD, à environ 20 % –, ultra-conservateur et ancien dirigeant du trust financier BlackRock, a mis le feu aux poudres. Il a porté devant le parlement un projet visant à restreindre drastiquement le droit d’asile et migratoire – dont une généralisation des contrôles aux frontières et la possibilité d’interner les personnes sous obligation de quitter le territoire. Il instrumentalisait pour ce faire une attaque au couteau dont l’auteur était visé par une obligation de quitter le territoire. Pour obtenir la majorité, il a activement brigué les voix des députés d’extrême droite, rompant ainsi le sacro-saint « barrage républicain », ou « mur anti-incendie » dans sa version outre-Rhin. Cela a provoqué un tollé, même si le barrage était déjà bien filtrant à l’échelle municipale et régionale, provoquant les premières larges manifestations, et même l’indignation de Merkel, sortie de sa retraite pour critiquer le candidat de son propre parti. Une bonne surprise : les plans de Merz ont finalement échoué au vote. Mais c’est la politique qu’il promet d’ores et déjà pour les années à venir.

Tous ensemble, vraiment ?

« Tous ensemble contre le fascisme » : c’est le slogan phare de ces manifestations, qui se déclarent « soulèvement des raisonnables »… La majorité des pancartes et slogans sont uniquement dirigées contre l’AfD et Merz, avec peu ou pas de critique du fond des lois racistes proposées, déplorant uniquement la rupture du « barrage ». Le « Tous ensemble » inclut le gouvernement sortant, dont la politique n’a pourtant été qu’une copie du programme de l’AfD. Soutien inconditionnel et vente d’armes au régime génocidaire de Netanyahou, restriction du droit d’asile, reprise des expulsions vers l’Afghanistan, appel à « déporter à grande échelle » sur la une d’un grand hebdomadaire allemand du chancelier social-démocrate, et on en passe. Quand c’est le ministre social-démocrate de la Défense, Boris Pistorius, entre une commande de matériel militaire pour Israël et une augmentation du budget de la défense, qui prend un moment pour appeler au front uni contre le fascisme lors à la manifestation à Hanovre, ça laisse un goût amer…

Pour faire reculer l’extrême droite, prendre notre sort entre nos mains !

Mais des millions de manifestants sont néanmoins descendus dans la rue, là où bien davantage que dans les urnes se décide le sort des classes populaires. Il se décide aussi dans des luttes. Dans le cadre de la renégociation des accords collectifs, le syndicat Ver.di a appelé à plusieurs reprises à la grève, dans les services publics et les hôpitaux, avec des débrayages suivis – le prochain, à la BVG (bus et métros berlinois), est prévu juste avant les élections, les 20 et 21 février. Et des manifestations se multiplient : de nouvelles initiatives contre l’extrême droite ; à Berlin, avant les élections du 23 février, pour la commémoration de l’attentat d’extrême droite de Hanau qui avait coûté la mort à neuf personnes en 2020 ; ici ou là contre l’inflation et des grèves dans les transports.

Prendre la rue, se battre pour des salaires dignes, et répondre coup pour coup aux attaques et aux discours d’extrême droite – c’est dans cette direction que se dessine le vrai « barrage ».

Dima Rüger, 18 février 2024