Nos vies valent plus que leurs profits

Après l’Indonésie et le Népal : à qui le tour ?

Des centres commerciaux pillés, une ancienne « première dame » consumée dans sa résidence incendiée, un ministre des finances malmené par la foule, jeté puis poursuivi dans une rivière, des fuites en hélicoptère de politiciens corrompus, dont la tête figurait sur des affiches « Recherché mort ou vif », quelques manifestants brandissant des armes automatiques, un palais présidentiel ravagé et un Parlement incendié, les images des deux jours d’émeutes de la jeunesse de Katmandou ont été d’une rare intensité.

#NepoKids : contre la corruption et les inégalités

Parti de protestations contre l’arrogance des gosses de riches et des politiciens, les manifestations de jeunes ont rapidement pris une coloration insurrectionnelle après l’interdiction des réseaux sociaux et la répression par balles (qui a fait 72 morts à Katmandou les 8 et 9 septembre). À l’instar de nombreuses révoltes des décennies passées, l’exemple du Népal montre que lorsque les dirigeants d’un État ordonnent de tirer sur la foule, ils ne disposent parfois que de quelques heures pour réserver l’hélicoptère par lequel ils se déguiseront en courant d’air.

Repris aux protestations indonésiennes, le drapeau de Luffy du manga One Piece brandi par les protestataires, tout comme leurs pancartes et les uniformes étudiants et lycéens, indiquaient la volonté de faire comme en Indonésie, où une révolte partie de la jeunesse scolarisée avait ébranlé le pouvoir quelques jours auparavant. Les similitudes entre ces émeutes contre un monde politicien gavé d’argent et la répression de la police sont frappantes. Comme se demandent nombre de jeunes d’Asie du Sud, après les révoltes de ces dernières années en Birmanie, au Sri Lanka, au Bangladesh, en Indonésie et maintenant au Népal : à qui le tour ?

La démocratie : quelles perspectives ?

Le lendemain de l’incendie du Parlement, l’armée, qui avait protégé le départ d’une partie du monde politique honni, a repris le contrôle des rues à l’aide de chars, de barbelés et de l’interdiction de sortir de chez soi plus de deux heures par jour. Maniant la carotte autant que le véhicule blindé, les dirigeants de l’armée ont préservé les apparences démocratiques en arrangeant l’arrivée aux affaires d’une ancienne juge de la Cour suprême : une figure anticorruption pour détacher le régime.

Face à une frange de la jeunesse souhaitant des élections immédiates, la nouvelle cheffe d’État s’engage à un scrutin dans six mois (!) tout en promettant « l’égalité économique » et en visitant les manifestants blessés. Cette dernière aurait même été choisie sur les conseils d’un vote sur le serveur Discord lancé par une ONG (moins de 8 000 votes pour elle sur 150 000 inscrits sur le forum et lors d’un sondage interrompu très rapidement). Un espace démocratique pas pire qu’un autre en période de couvre-feu, mais dont les modérateurs ont trouvé moyen de restreindre les discussions sur l’emploi, sur le système de santé ou sur la police pour les détourner vers un débouché politicien à la révolte… et à l’armée. S’il connecte des individus et des groupes entre eux, et est parfois plus qu’utile pour organiser un soulèvement, un serveur peut aussi jouer le même rôle d’étouffoir qu’un isoloir. Contre tous ces potentiels éteignoirs, celles et ceux qui souhaiteraient prolonger le soulèvement n’auront d’autres choix que chercher à développer des éléments de leur propre pouvoir.

Chris Miclos