
Plusieurs centaines de milliers de jeunes et travailleurs ont manifesté partout dans le pays à l’occasion du 1er mai. Malgré plus de 400 arrestations et la violence de la répression policière, les étudiants de Turquie maintiennent la pression dans la rue tandis que quelques secteurs du monde du travail se mettent en grève pour les salaires et conditions de vie.
Erdoğan joue la montre et espère un pourrissement de la mobilisation
Que ce soit dans les lycées ou universités, la mobilisation semble s’être affaiblie, tant du fait du harcèlement policier et répressif que du manque criant de perspectives offertes par le Parti républicain du peuple (CHP), le principal parti d’opposition. Alors que l’arrestation d’Ekrem İmamoğlu, maire d’Istanbul et principal concurrent à Erdoğan dans les élections, avait fait sortir en masse la population dans la rue, y compris dans les bastions de l’AKP (parti au pouvoir), le CHP n’a à proposer qu’une ou deux manifestations hebdomadaires à Istanbul ou une autre ville du pays. Alors que des dizaines d’étudiants sont emprisonnés depuis des semaines, le CHP n’appelle qu’à la libération de son dirigeant et à de potentielles élections anticipées. Alors que les conditions de vie de la population continuent d’empirer (taux de chômage officiel à 28,8 %), le parti d’opposition, bien respectueux de l’ordre bourgeois, ne cherche pas à mobiliser sur le terrain économique. De quoi laisser respirer Erdoğan, qui attend peut-être la fermeture des universités pour frapper le CHP dans son deuxième bastion d’Ankara.
Les travailleurs ont besoin d’une politique qui ne les mette pas à la remorque des partis bourgeois
Des grèves éclatent dans les municipalités, le bâtiment et l’industrie sur la question des salaires, pour demander de réelles augmentations face à l’inflation (40 % officiellement, en réalité le double), malgré les manœuvres de certaines directions syndicales qui signent des accords dans le dos des travailleurs. En grève depuis le 21 avril aux raffineries Tüpraş, des milliers de travailleurs ont refusé « l’accord de la pauvreté » signé le 7 mai et ont manifesté à l’intérieur et l’extérieur de la raffinerie, recevant le soutien de la population – avant de retourner au travail le lendemain, faute de perspectives… Bien que la majorité des directions syndicales canalisent la colère ouvrière sur le terrain économique et que l’AKP reste influent chez les travailleurs, une partie des étudiants mobilisés ont bien compris la nécessité de lier la lutte pour les libertés politiques aux revendications sociales. Réussiront-ils à éroder la base sociale du régime jusqu’à sa chute ?
Stefan Ino