La victoire écrasante de Javier Milei à l’élection présidentielle argentine est une mauvaise surprise pour les milieux militants et un choc pour de larges secteurs combatifs syndicaux et associatifs. Elle a aussi suscité la joie de la bourgeoisie : à peine deux jours après l’élection, les cours de la Bourse de Buenos Aires se sont envolés de 20 % en une seule session. Avec 55,7 % au second tour (quatorze millions de votes) et 12 % d’écart (plus de deux millions de voix) avec le ministre péroniste de l’Économie Sergio Massa, Milei réalise l’écart de voix le plus important de l’histoire électorale du pays.
Le scrutin a déjoué tous les pronostics qui misaient sur une victoire serrée de l’opposant d’extrême droite. Les atouts de S. Massa n’étaient pourtant pas des moindres : soutenu par les États-Unis, le Fonds monétaire international (FMI), la Chine (après une négociation réussie pour la bourgeoisie argentine échangeant de nouveaux prêts avec un rachat d’une part de la dette nationale), la Confederación General del Trabajo1 (CGT) – la centrale syndicale péroniste encore très puissante –, l’ensemble de l’arc politique démocratique institutionnel incarné par des milliers de « micro-militants » qui provoquaient des discussions dans les transports en commun ou sur les places, mais aussi le milieu universitaire, intellectuel et culturel. Cependant le candidat péroniste affichait un bilan social catastrophique qu’il n’a pas pu masquer : une inflation dépassant les 140 % et 40 % de la population sous le seuil de pauvreté, sans compter une corruption endémique, ont renforcé ce tournant dégagiste2. Les premières déclarations du président, qui rentrera en fonction le 11 décembre, préparent des attaques sans précédent contre le monde du travail, la jeunesse, les droits des femmes, les minorités sociales et sexuelles. Du côté des travailleurs, une fois passé le choc, l’heure est aux tâches d’organisation.
Javier Milei : produit de la crise du régime et provisoire solution d’un tournant autoritaire
J. Milei est un candidat d’extrême droite dont le programme capitaliste de régression sociale au bénéfice des plus riches n’a aucune originalité, il n’a pas de mouvement politique structuré pour le soutenir, et ne disposera pas d’une majorité législative (moins d’un sixième des parlementaires le soutiennent). Et même avec l’appui de Juntos por el Cambio3, la droite conservatrice, Javier Milei devra chercher des accords avec les péronistes et gouverner par décrets. Issu d’une formation d’économiste classique, suivie d’une carrière académique médiocre et un passé dans le privé dans des cabinets de conseil, sa courte carrière politique a commencé à percer en 2019. D’où vient dès lors cette ascension irrésistible4 ? La majeure partie des critiques à son égard se concentre sur la brutalité de sa personnalité, ses frasques et ses provocations. Incontestablement J. Milei est dangereux. Mais ce ne sont pas ses apparitions avec sa tronçonneuse lors de meetings, ses déclarations aux relents fascistes, ses outrances réactionnaires sur les plateaux de télévision et sur les réseaux sociaux, ses apparitions exubérantes lors de meetings aux airs de concerts qui expliquent son poids politique et son rôle. Ces traits de caractère ne servent qu’un objectif : créer la peur afin d’incarner à la fois une détermination à feindre de menacer par des mots ce qu’il désigne comme « la caste politique », et d’autre part promettre qu’il attaquera sans faiblir les travailleurs et toute résistance sociale, ce qu’il fera sans hésiter.
La victoire de l’extrême droite repose d’abord sur le bilan calamiteux du péronisme. Mais fondamentalement sa réussite tient à trois éléments qui n’ont rien d’irrationnel et qui mettent au second plan sa personnalité mystique5 et pathologique. Il a d’abord su saisir une critique démagogique de l’État lors de la crise de la pandémie6 en exploitant les contraintes imposées aux plus modestes face aux fêtes fastueuses des péronistes au pouvoir, et souligner l’incapacité des services de l’État à assurer un minimum social, en s’appuyant sur la vague de violences criminelles produites par une société en décomposition accélérée. Ensuite, comme dit l’adage, c’est celui qui paye le musicien qui choisit l’air, et là il est évident que le parcours et l’entourage qui se cachent derrière ses outrances nous donnent la deuxième clef de son succès. Cet homme qui dit s’être fait lui-même, comme un reflet vivant de son programme libertarien – mélange improbable d’individualisme armé et de cannibalisme social7 –, est d’abord un parvenu bien accompagné. Cet entourage lui donnera les fonds et les idées qui lui manquaient.
Il a commencé à travailler comme conseiller pour la Corporación América, créature de l’homme le plus riche d’Argentine, Eduardo Eurnekian, qui a fait fortune dans le textile avant d’initier dans les années 1970 un tournant vers les technologies de la communication. Ensuite il y a aussi Diana Mondino8, liée au secteur bancaire qui bénéficiera des largesses du programme de J. Milei. Enfin, la Sociedad Rural, qui regroupe depuis 1866 l’oligarchie agro-exportatrice, et qui par la voix de son président lui a apporté son soutien : « J’ai parlé avec Milei deux ou trois fois. C’est un candidat qui a déclaré qu’il comprenait que les prélèvements à la source sont un impôt minable et qu’ils devraient être éliminés immédiatement. » Voilà pour les fonds, et les idées ?
Il s’est entouré au fur et à mesure de sa rapide carrière politique des fines fleurs de la bourgeoisie argentine à la droite d’Attila. D’abord son acolyte de campagne Victoria Villaruel, admiratrice du bilan de la dictature militaire (1976-1983), mais surtout liée aux fondations et clubs des officiers conservateurs de l’armée argentine, avec entre autres le tristement célèbre Círculo Militar, dont elle promeut un rôle croissant dans la société pour restaurer l’ordre et les valeurs chrétiennes. Il a su capter l’attention des économistes libéraux radicalisés de l’université conservatrice de Buenos Aires, Eseade avec Alberto Benegas Lynch9 mais aussi du Centre d’études macro-économiques d’Argentine (Cemea), dont une bonne part se sont formés à l’université très libérale de Chicago. Concernant les réseaux sociaux, il pioche à l’étranger en recrutant Fernando Cerimedo, celui qui a organisé l’assaut du palais présidentiel brésilien le 8 janvier 2023 pour rétablir par la force Jair Bolsonaro. Enfin il a recruté des conseillers auprès de l’Opus Dei et de l’intégriste Fraternité Saint-Pie X, des lobbies des armes à feu, et se réunit régulièrement avec le conseiller du chilien José Antonio Kast10 et l’intellectuel Axel Kaiser. L’entre-deux tours a été l’occasion de finaliser le casting de ce film d’horreur. J. Milei a réussi sans grands efforts à débaucher des potentats locaux issus du péronisme qui, avides d’argent facile et en manque de principes, ont su saisir l’occasion nouvelle.
C’est toutefois le troisième facteur qui a permis que les deux premiers puissent prendre de l’importance et se matérialisent dans la constitution d’un bloc social réactionnaire. En créant l’événement lors des primaires (Paso), J. Milei a montré à la droite conservatrice classique qu’ensemble ils pouvaient revenir au pouvoir. C’est en effet le basculement en moins de trois jours après le premier tour de la droite conservatrice qui va rendre inéluctable sur le terrain électoral l’arrivée de J. Milei à la Casa Rosada, l’Élysée de Buenos Aires.
L’arrivée du « loco » – le fou en castillan – n’a rien d’irrationnel. Son ascension électorale scelle une alliance entre cette colère dégagiste de secteurs déclassés de la petite bourgeoisie, de larges secteurs populaires désireux de tourner la page du péronisme mais aussi d’une crise sociale sans précédent, et des secteurs clefs de la bourgeoisie argentine. Cette alliance a germé de la crise du régime et se présente comme une solution autoritaire pour préserver ce qui peut l’être, car dans un contexte de montée des tensions et des concurrences, la bourgeoisie argentine dispose de peu de marges mais de réels atouts avec ses matières premières.
Forces et faiblesses de Javier Milei
La droite, bien qu’insultée par J. Milei pendant toute la longue campagne électorale qui aura duré un semestre, n’est pas mécontente de l’opération. J. Milei sera en première ligne et eux plus loin. Un peu comme l’intelligence qui se tient bien en arrière de la bêtise qui se pavane, elle laissera les aspects les plus outranciers au nouveau président, gardera ses affaires à l’abri, contrôlera le Parlement et gardera la main sur toutes les institutions importantes du pays. La force immédiate de J. Milei repose en partie sur un nationalisme économique déguisé sous un costume libertarien, et le rêve de retrouver la grandeur de l’Argentine du début du XXe siècle. Mais c’est son programme économique qui a scellé cette alliance : la dollarisation11. Il repose sur trois fausses évidences. D’abord que la fin du peso, avec une inflation de 140 % (la banque Morgan Stanley prévoit des niveaux au-dessus de 200 % fin décembre), est vue, hélas, par de larges milieux salariés, semi-salariés et du secteur informel comme un progrès. Une manœuvre comptable ne fera pas disparaître l’exploitation… ni l’écart entre pays impérialistes et pays dominés. Mais aujourd’hui, dès que les Argentins le peuvent, ils placent l’argent gagné qui est converti en dollars, avec des taux au marché noir (« blue ») de près du double du taux officiel. Cette mesure de basculement de l’économie en dollars sonne bien, se comprend facilement, semble concrète et immédiate. J. Milei insistait pour dire, s’appuyant sur ces exemples du quotidien, que l’économie était déjà largement dollarisée. La deuxième fausse évidence c’est que cette dollarisation ferait baisser les taux d’intérêt nationaux permettant ainsi l’investissement et l’emploi, bref, un beau cycle. Et enfin, cette opération monétaire réduirait les mécanismes de concurrence et favoriserait une stabilité dans le cadre des échanges régionaux et au-delà. L’échec de ces mesures en Équateur dans les années 2000, et il y a plus longtemps en Argentine même, n’a pas servi de leçon. Certes l’inflation sera stoppée, mais la conséquence première sera l’appauvrissement brutal de pans entiers d’une société déjà exsangue. Un dollar fort se fera au détriment des exportations argentines, renforcera la dépendance de Buenos Aires aux décisions de la Banque fédérale des États-Unis, enfoncera les salaires vers les abysses. Il n’y a là aucune exagération. Dès le mardi 21 novembre, avant même la mise en place de ces réformes économiques, non seulement la Bourse de Buenos Aires a gagné en une journée 20 %, mais les prix vont exploser. Dans Página 12, un quotidien équivalent de Libération en France, sont annoncées des augmentations de prix d’une moyenne de 50 %12. Dans l’agroalimentaire le groupe Mastellone annonce 50 % d’augmentation du lait ; Colgate dans les produits d’hygiène annonce les mêmes hausses ; Unilever 40 % ; Procter and Gamble 30 %, comme Coca-Cola. Pour couronner le tout, et donner des airs de naufrage, S. Massa, juste avant son départ, instaure un nouveau taux de change du dollar pour ses amis grands négociants et exportateurs qui leur permettra de liquider la moitié de leurs liquidités en dollars (sans pénalités) à un prix 20 % au-dessus de celui de la semaine passée.
L’élection présidentielle argentine a ressemblé à un plébiscite pour une stabilité aux couleurs du dollar. Mais ce résultat électoral en faveur d’un bloc social réactionnaire repose sur un quiproquo, en fait un mensonge : la dollarisation n’entraînera pas la stabilité mais un choc social que la bourgeoisie clame et réclame haut et fort d’ailleurs. J. Milei décrit fort bien la période à venir dès le lendemain de son élection, et à la question d’un journaliste pourtant bien docile qui lui signale les risques que la population sorte dans la rue, il a répondu assez tranquillement que « la loi sera appliquée ». Il fait dire à ses sbires comme A. Romo pendant la campagne, en parlant des piqueteros – les chômeurs qui luttent en bloquant les routes –, qu’il ne faudrait pas « une once de pitié pour ces communistes », et que la loi se résume à « une balle ou en prison » pour les opposants.
Les dangers et les tâches du mouvement ouvrier
Dans une courte note de Prensa Obrera13, Juan García dirigeant du Parti ouvrier recense sur la base de rapports un portrait de la situation. La note décrit sans fard le vote énorme parmi les travailleurs du bâtiment, le désastre sanitaire avec des démissions en cascade et désormais des centre de soins vides et sans personnels, pour souligner le tableau social qui a rendu cette victoire possible14. Bien entendu le vote pour J. Milei est surreprésenté dans les quartiers huppés ; mais le phénomène est bien plus profond. Des villes importantes et parfois au passé social prestigieux comme Córdoba ont vu le vote d’extrême droite passer la barre des 70 %. Les banlieues ouvrières de Buenos Aires n’échappent pas à ce constat.
L’extrême gauche trotskiste a encore réalisé un score modeste de près de 3 % au sein du Front de gauche des travailleurs-Unité15 (FIT-U) et a pu obtenir au niveau national cinq députés. Au-delà de ses différences sur les consignes au second tour, entre le boycott, le vote blanc, l’abstention, ou parfois « arrêter Milei par tous les moyens » (y compris donc en votant pour S. Massa), l’extrême gauche a bien plus de choses en commun que de différences. Et même si la campagne a laissé des traces il faudra passer outre.
Les difficultés sont nombreuses, les défis importants
D’un côté, il faut combattre les politiques du moindre mal. Les partisans de la gauche péroniste ont tenté de faire barrage en votant S. Massa avec le résultat attendu : prétendre combattre l’extrême droite en votant pour ceux qui la rendent possible ne convainc pas. Pire, dans les milieux populaires, les partisans de la défense des services publics sont apparus, malgré eux, comme des partisans du régime et du statu quo. De l’autre, on condamne toute possibilité de résistance au prétexte d’une victoire du fascisme. Le choc pour les milieux populaires sera dévastateur, d’autant plus que les marges de J. Milei sont faibles sur le plan économique. Il pourrait transformer les militants, et en premier lieu les piqueteros, en cibles de ses premières attaques pour s’assurer, croit-il, des victoires faciles pour restaurer l’ordre.
Les organisations trotskistes ont émis cette critique de la démocratie des riches et des prophéties de la dictature en marche, chacune à sa façon. Mais le cycle électoral, qui fut favorable pendant plus d’une décennie à l’extrême gauche, en la rendant visible, commence à toucher à ses limites. Le Parti des travailleurs socialistes (PTS) a présenté des propositions pour un congrès ; le Parti ouvrier aussi avec un périmètre plus large pour inclure le militantisme des piqueteros ; le Mouvement socialiste des travailleurs (MST), de même, pose un agenda de tâches immédiates communes. Le Nouveau MAS, à l’extérieur de la coalition électorale, envisage également les collaborations nécessaires. La transformation de ce bloc électoral qu’est le FIT-U en un outil militant hors des institutions s’impose comme une urgence.
Construire un parti communiste unifié est malheureusement encore loin des possibilités actuelles, que ce soit sur le plan du travail en commun, d’un travail de coordination des activités syndicales, et d’intervention en général. Sans parler d’une direction reconnue de toutes et tous, et d’un programme à la hauteur des enjeux. Et si l’Argentine n’est pas à la veille d’un Berlin en janvier 1933, ni même d’un Buenos Aires en 1976 à la veille d’un coup d’État militaire, la situation ressemble à celle précédant la crise de 2001. Les dangers sont énormes. Le candidat de droite Mauricio Macri ne s’y trompe pas : il a demandé mardi 21 novembre lors d’une émission à la télévision que la jeunesse forme des milices, comme une ligue patriotique, pour briser les barrages, les grévistes. C’est un vœu pour l’instant, mais il ne faudrait pas le sous-estimer. Les manifestations du 25 novembre contre les violences faites aux femmes seront, comme le signalent les camarades du MST, le premier rendez-vous pour affronter cette guerre sociale, qui n’a pas commencé avec cette élection, mais qui prend un tournant autoritaire. Le 28 novembre les organisations de piqueteros, où le Parti ouvrier a un poids conséquent, appellent à une action sur l’ensemble du pays.
La tâche de regrouper les minorités militantes, syndicales, dans la jeunesse autour d’une coordination des révolutionnaires, unis et dans des organisations encore séparées, est une étape urgente à franchir. Avec l’effondrement économique qui avance, la fermentation sociale impose qu’un pôle ouvrier émerge face au pôle réactionnaire, avec ses propres méthodes, hors du champ institutionnel, afin que la prochaine explosion soit une rupture avec le capitalisme et non une révolte sans lendemain.
Tristan Katz
Traduction de la presse du Mouvement socialiste des travailleurs (MST) qui résume les premières mesures de Javier Milei
Annonces du « plan tronçonneuse » des services publics
Bien que ses intentions et les mécanismes de sa mise en œuvre n’aient pas encore été définis, certaines lignes directrices se dessinent déjà, que nous tenterons de synthétiser.
Réforme de l’État : Réduction de dix-huit à huit ministères. Il s’agirait de conserver les ministères de l’Économie, de la Justice, de l’Intérieur, de la Sécurité, de la Défense, des Affaires étrangères. Un ministère Infrastructures absorberait les Transports et Travaux publics et un huitième s’appellerait « Capital humain » pour administrer la Santé, l’Éducation, le Travail et le Développement social. Il supprimerait directement les ministères de la Culture, de l’Environnement, de la Science et la Technologie, du Sport et du Tourisme, et des Femmes, du Genre et de la Diversité, ainsi que du Développement territorial et du Commerce international.
Zéro déficit : réduction de 15 % de la part du PIB investie dans les « dépenses publiques ». Il promet d’y parvenir seulement en réduisant le « vol des politiciens », mais une telle réduction aura des répercussions directes sur les travailleurs et les secteurs populaires.
Plans sociaux16 : déclarant vouloir les supprimer, il a annoncé qu’ils ne seraient pas sa priorité.
Réduction de l’allocation handicap : il commencerait par mettre en place des contrôles pour les réduire.
Licenciements : annulation des nominations de fonctionnaires effectuées en 2023.
Suppression des subventions17 : sous prétexte de subventionner à la demande, les tarifs des transports et des services essentiels seront réduits.
Privatisations :
Médias publics : privatisation de Télam, la chaîne TV publique et la Radio nationale au motif qu’il s’agit d’agences de propagande officielle. Ces annonces suscitent une mobilisation importante du secteur.
Entreprises d’État : pour les gisements pétroliers d’État (YPF), il s’agit de les rendre plus rentables avec une « réforme de deuxième génération ». Un PDG de la compagnie pétrolière de Techint (Tecpetrol), Horacio Marín, va être nommé. Il dit vouloir confier Aerolineas Argentinas (compagnie aérienne nationale) à ses employés pour qu’ils s’adaptent eux-mêmes et soient compétitifs dans le cadre d’une politique de ciel ouvert. Il a également prévu de privatiser Aysa et Enarsa et de fermer ou de privatiser l’Institut national du cinéma et des arts audiovisuels (Incaa) et l’Institut national contre les discriminations, la xénophobie et le racisme (Inadi).
Travaux publics : il va vendre aux enchères les chantiers rentables à ses amis privés, ce qui finira par coûter plus cher à la société dans son ensemble.
Trains : il en parlait il y a un mois, avant sa défaite aux élections générales (second tour des élections, équivalent de notre premier tour, auquel il était arrivé second), avec une approche libertaire de la question.
Réforme économique :
Dévaluation : suppression du double taux de change avec un dollar unifié à 650 dollars, ce qui n’est pas garanti, mais qui permet une certaine amélioration par rapport aux cotations bleues (taux interbancaire, utilisé à l’international et au noir au sein du pays, souvent deux fois plus élevé que le taux dit officiel maintenu par le gouvernement à l’intérieur du pays) de ces jours-ci. En même temps, il s’oriente vers une réforme monétaire générale et une dollarisation déguisée avec un libre choix de la monnaie.
Inflation : supprimer la désactivation des « leliqs18 » comme principale mesure dans l’immédiat, bien qu’il ait déjà été dit qu’il faudrait entre 18 et 24 mois pour stabiliser la situation. Il se justifie par le plan de convertibilité de Menem mais cherche à gagner du temps et à continuer à liquider les salaires et le pouvoir d’achat de cette manière. Stratégiquement, il continue à dire qu’il fermera la Banque centrale « pour en finir définitivement avec l’émission monétaire et l’inflation ».
Code du travail :
Fin des allocations chômage (UOCRA) en supprimant les cotisations des travailleurs actifs.
Annulation des conventions collectives au profit de négociations individuelles entre chaque travailleur et les entreprises pour réduire au maximum le pouvoir de négociation de la classe ouvrière.
Renforcement de l’appareil répressif et de la législation :
Réforme du Code pénal avec abaissement de l’âge d’imputabilité. Privatisation du système pénitentiaire en augmentant sa capacité. Arrêt des occupations de terres19. Réforme du système de renseignement et garantie de la liberté de circulation.
Comme le dit le proverbe, un long chemin sépare les paroles des actes. Trump et Bolsonaro nous ont montré qu’ils n’ont pas pu réaliser tous leurs plans, qu’ils ont perdu leur présidence et ont même défilé devant les tribunaux. Rien n’a été dit à l’avance, il s’agira d’une lutte ouverte et ce gouvernement émerge avec une grande faiblesse structurelle. Le mouvement ouvrier et populaire prépare sa résistance.
Notes
1 En français, Confédération générale du travail.
2 Voir l’article : Crise sociale, dévaluation, l’Argentine au bord du gouffre : l’extrême droite en force et les défis de la gauche révolutionnaire
3 En français, Ensemble pour le changement.
4 Pour lire une autre analyse sur le fond (l’urgence de créer un pôle de classe autour des révolutionnaires) et la forme (le problème réside dans une large part dans le sectarisme de l’extrême gauche) : https://inprecor.fr/articles/article-2688.html
5 Dans un discours, il a convoqué l’image de Pharaon et de Moïse conduisant le peuple juif hors d’Égypte. Conseillé par le rabbin Axel Wahnisch, il puise dans le mysticisme juif pour entrer en relation avec son ami imaginaire Dieu, et communique avec son chien adoré et perdu grâce aux dons extralucides de sa sœur Karina Milei, medium mais aussi conseillère politique de son frère désormais président.
6 Il a, dans un discours resté célèbre, déclaré que la « pandémie est un rêve communiste […] élaboré par le Forum de Sao Paolo », en référence aux grandes réunions de la gauche latino-américaine. Mais il a surtout dénoncé une caste politique qui fêtait l’anniversaire de la première dame du pays à la Quinta de Olivos, pendant que la population contrainte au confinement et privée d’emploi, était menacée de lourdes amendes. Avec le scandale de la vaccination prioritaire pour les VIP, les « forces vives du pays », cela n’a pas manqué de nourrir une forte hostilité aux milieux dirigeants dans une part majoritaire de la société.
7 Dans son programme, J. Milei vante le port d’armes (des propriétaires contre les pauvres) et la « liberté » de vendre ses propres organes (on comprend sans peine des démunis vers les plus riches). La santé et l’éducation ne sont plus des droits mais des libertés (tarifées), la recherche scientifique un business (le Conseil national de la recherche scientifique et technique (Conicet), le CNRS argentin, est promis à la privatisation), et le pétrole (Yacimientos Petrolíferos Fiscales (YPF), nationalisé lors du mandat de Cristina Fernández de Kirchner, et qui garantit une partie du budget de l’ État, sera privatisé comme il l’a annoncé le lundi suivant son élection lors d’une émission de grande écoute).
8 Sa famille possède une banque importante de la ville de Córdoba et siège dans des conseils d’administration de puissants groupes industriels et financiers comme Loma Negra, Pampa Energia entre autres.
9 Économiste ultra-libéral bien connu pour ses talents de plagiaire.
10 Il est le leader d’extrême droite chilien, issu d’une famille de Waffen SS, et dont le parti compose la majorité des élus constituants qui réécrivent en ce moment l’ancienne Constitution de Augusto Pinochet.
11 Pour une lecture technique mais marxiste : https://thenextrecession.wordpress.com/2023/10/22/argentina-election-from-peso-to-dollar/
12 https://www.pagina12.com.ar/672225-los-ceos-de-los-precios-se-liberan-con-milei
13 https://prensaobrera.com/politicas/ni-llorar-ni-reir-comprender
14 Extrait de Juan García, Prensa Obrera, 20 novembre 2023 : « De nombreux militants politiques et activistes sociaux dans les quartiers populaires sont dans un état d’agitation, sans comprendre comment un négationniste de la dictature, avec un programme d’ajustement si clairement affiché, y compris la dollarisation, de destruction de la santé et de l’éducation publique, pourrait obtenir cette majorité indiscutable. La campagne “Démocratie ou fascisme” contribue à ce climat social. 56 % de l’Argentine a-t-elle opté pour le fascisme ? La vérité est que Milei a exploité les critiques d’un gouvernement qui a laissé non seulement 42 % de pauvreté, mais aussi une profonde détérioration des conditions de vie de larges couches de la population active. Les “fachos” comme Milei ont toujours pullulé en démocratie. Milani et Berni, Lopérfido et Bullrich, Bussi ou encore Gerardo Morales sont là pour le prouver. Mais c’est la première fois qu’une force de ce type se présente de manière autonome et obtient le soutien de la majorité de la société argentine, y compris et de manière très marquée, des couches populaires. Lors des débats précédant le second tour, les camarades de La Matanza [banlieue ouvrière de Buenos Aires] ont raconté une anecdote pertinente pour comprendre de quoi nous parlons. L’hôpital municipal pour enfants, qui avait affiché une pancarte indiquant qu’il serait privatisé si Milei gagnait, est aujourd’hui complètement vidé, sans soins de garde et la plupart de ses spécialistes ont démissionné pour non-paiement des salaires. La “défense de la santé publique” est restée le drapeau d’un gouvernement qui l’a piétinée, non seulement en raison de la situation de crise dans les établissements de santé, mais aussi en raison des privilèges des “centres de vaccination VIP” [qui privilégiaient les personnes fortunées pour la vaccination]. La population des banlieues de Rosario et de nombreuses autres grandes villes du pays n’est plus terrifiée depuis longtemps par la “Falcon vert” [voiture standard utilisée pendant la dictature pour faire disparaître les opposants], car elle vit au milieu des fusillades des gangs de drogue parrainés par l’État. La défense des droits du travail est abstraite pour le tiers de la main d’œuvre noire. Milei a obtenu un vote record parmi les ouvriers du bâtiment, les précaires ou la “jeunesse Rappi” [pour désigner la jeunesse précaire qui vit des plateformes et de l’illusion de l’auto-entrepreneuriat]. »
15 D’autres forces comme le nouveau Mas et Politica Obrera ont réalisé en dehors du FIT-U des scores plus modestes.
16 Ces plans correspondent à des subventions à destination des familles les plus pauvres. Elles sont notamment versées et administrées par les organisations piqueteros.
17 Ces subventions prennent la forme de bons pour utiliser les services publics, comme un ticket de bus par exemple.
18 Les « leliqs » désignent des bons du Trésor de la Banque centrale argentine ; la mesure consiste à permettre de nouveau de garantir via ces bons les fonds détenus en pesos afin de maintenir des cours plus élevés et surtout plus stables.
19 La « toma » constitue une pratique courante et largement tolérée qui permet aux sans-abris de s’approprier un espace inoccupé.