Minoritaire au Parlement, le président d’extrême droite Milei a lancé avec son « décret de nécessité d’urgence », le DNU, une avalanche de mesures contre les travailleurs et les pauvres, avec l’abrogation de plus de 300 lois sociales et 3 500 réglementations (aides sociales, attributions d’aide alimentaire d’urgence, limitations des hausses de loyer, jusqu’à la santé, aux transports et à la privatisation de 41 entreprises publiques et de l’éducation…), la dévaluation massive du peso (plus de 50 % avec une inflation de 211 % en 2023 et 25 % dans les trente jours suivant son investiture le 11 décembre), et des dispositifs sécuritaires limitant la liberté de manifestation et criminalisant le mouvement social1. Les premières mobilisations contre le DNU ont vu des manifestations à quelques dizaines de milliers, des rassemblements et casserolades dans les quartiers populaires et les villes de l’intérieur (plus de 20 000 à Córdoba fin décembre). Ces réactions ont poussé la puissante centrale syndicale CGT à proposer une journée d’action le 24 janvier.
La fuite en avant de Milei et les manœuvres de la bureaucratie syndicale
Ce père Noël fasciste n’a eu de cadeaux que pour ses amis riches, ceux de la « caste » qu’il insultait pendant la campagne électorale : amnistie pour les fraudes fiscales, autorisation à ne pas déclarer leurs domestiques, taux préférentiels pour revendre leurs dollars, vente à prix bradés des biens publics.
Les premières réactions à ces mauvais coups ont été spontanées et souvent impulsées par l’extrême gauche. Depuis la fin décembre, des secteurs de travailleurs se mobilisent : dans la culture, à la Banque centrale en voie de privatisation, ou parmi les infirmières du Grand Buenos Aires. Cette pression de la base a poussé la CGT à un appel à une grève nationale de 12 heures le 24 janvier. Des unions régionales de la fonction publique, comme à Salta – ville ouvrière de 500 000 habitants, siège de nombreuses luttes ouvrières –, ont appelé à des grèves de 48 heures les 11 et 12 janvier. La politique de la CGT ne vise pas à faire reculer Milei, mais à négocier quelques concessions. La mobilisation de la branche route et ferroviaire qui a connu de nombreuses assemblées syndicales ces derniers jours indique d’importantes possibilités de blocage. Mais, au lieu de pousser l’avantage et d’explorer les possibilités d’une extension, les bureaucraties limitent l’action à des manifestations et à une grève sur une seule journée.
L’exercice délicat de l’unité
Faire reculer Milei exige à la fois des actions déterminées, avec une grève nationale illimitée, et une unité du monde du travail pour résister à l’offensive et à la répression qui se prépare. L’exercice est difficile. Pagina 12, journal de gauche, signalait le 13 janvier que des secteurs importants du péronisme politique et syndical se plaçaient dans une logique d’amendements du plan Milei afin « d’éviter le pire ». Le 12 janvier, une rencontre a eu lieu entre la direction de la CGT et des représentants de la coalition électorale trotskiste FIT-U, notamment ses députés. Elle a clairement dénoncé les espoirs de la CGT de combattre la casse sociale via des pressions parlementaires. L’urgence est plutôt à une intervention indépendante des travailleurs, loin des illusions institutionnelles. L’influence de l’extrême gauche est certes faible au regard du poids de la bureaucratie syndicale. Mais elle a des points d’appui parmi certains secteurs, comme les travailleurs du pneu, de la santé, dans la jeunesse, et surtout dans le mouvement de chômeurs des « piqueteros ». Les organisations du FIT-U ont la possibilité de devenir une force révolutionnaire hors du seul cycle électoral, qui offre une perspective politique aux luttes des travailleurs, en opposition avec la bureaucratie syndicale dans le climat d’effondrement social.
Tristan Katz
(Article paru dans Révolutionnaires, numéro 9, janvier 2024)
1 Par exemple les aides sociales seront coupées aux chômeurs qui bloquent les routes pour se faire entendre, les piqueteros, s’ils se livrent à des actions militantes. Les syndicats ou collectifs militants ont déjà reçu des « factures » pour le déplacement des forces de l’ordre et des amendes pour les rassemblements interdits fin décembre.