L’Argentine est connue du monde militant pour ses réussites en matière de droits de l’homme, des courants lutte de classe dans les syndicats, la rébellion de 2001, la légalisation de l’avortement et les avancées des droits LGBT. Il pourrait donc paraître surprenant que l’élection présidentielle ait été remportée pour la première fois par Javier Milei, d’extrême droite. Pourquoi ? Quels sont les projets du nouveau gouvernement ? Quels sont les défis pour le Front de gauche-Unité (FIT-U) ?
L’élection en Argentine s’inscrit dans le cadre d’une poussée réactionnaire internationale. Le gouvernement péroniste a été fortement sanctionné par un vote de rejet. Il faut souligner que le ministre et candidat Sergio Massa se présentait sous des airs de gauche et promettait à chacun « un frigo rempli », tout en appliquant l’ajustement du FMI avec une inflation de plus de 140 %, 44 % de pauvreté, plus le pillage des ressources naturelles, sans oublier la corruption. La frustration et la colère populaire contre le gouvernement d’Alberto Fernandez, Cristina Fernandez de Kirchner et Sergio Massa ont ouvert la porte à l’extrême droite. Le péronisme a subi une défaite sans précédent, ce qui ouvre potentiellement un large espace à l’extrême gauche révolutionnaire.
Au second tour, Javier Milei s’allie à Mauricio Macri et à la droite, pour donner les gages d’une plus grande stabilité à la bourgeoisie et remporter ainsi l’élection présidentielle. Il entre en fonction le 10 décembre, aligné sur le FMI, les États-Unis et la politique de l’État d’Israël. Il a annoncé un plan sévère d’ajustement de l’État, de privatisations, de réforme du travail, une nouvelle capitulation face à l’impérialisme et une réduction des droits démocratiques. Son discours comprenait la négation des 30 000 disparus de la dictature militaire, la fermeture de la Banque centrale, la rupture des relations avec la Chine (principal partenaire commercial de l’Argentine), la privatisation de l’éducation, l’abrogation du droit à l’avortement et l’autorisation de la vente d’organes.
Néanmoins, depuis sa victoire, il a amoindri plusieurs de ses propositions les plus controversées et c’est bien la lutte des classes qui donnera le ton. La bureaucratie syndicale (CGT1 et CTA2) et des secteurs du Parti justicialiste (PJ, péroniste) ont déjà adopté une attitude conciliatrice vis-à-vis de Milei. Mais face à ses attaques, les protestations vont se durcir. Le Front de gauche-Unité3 devra se donne les moyens de soutenir toutes les luttes et se hisser à la hauteur des défis politiques.
Massa avance le programme de Milei
En Argentine, le salaire minimum est aujourd’hui de 156 000 pesos (moins de 400 euros), mais le panier de la ménagère est de 345 300 pesos (880 euros). Le prix des aliments augmente presque quotidiennement, le loyer d’un studio est bien plus élevé que le salaire minimum et accéder à la propriété relève de la fantaisie.
En tant que ministre des Finances, Massa s’était concentré sur le paiement de la dette extérieure. Il a renforcé l’extractivisme, cette exploitation à outrance des matières premières (gaz, pétrole, soja, mines), afin de rembourser la dette extérieure de l’Argentine. Il a réduit les plans sociaux4 de 24 % et les subventions énergétiques de 27 %, un coût qu’il a répercuté sur le dos de la population5. Le lendemain des primaires (Paso), il a dévalué la monnaie de 22 %, grévant par là les salaires. Quelques jours avant le scrutin, Massa a versé au FMI 3,4 milliards de dollars ; 794 millions de dollars seront versés ces jours-ci ; et encore 914 millions avant la fin de l’année, aggravant la crise d’une économie déjà très dépendante de l’impérialisme.
Avec ces mesures, le gouvernement péroniste a anticipé le cours économique que Milei va maintenant approfondir. Le nouveau président doit s’atteler à la tâche de « normaliser » l’Argentine dans un contexte capitaliste. Dans son premier discours, il a déclaré : « Les changements sont radicaux. Il n’y a pas de place pour le gradualisme, la tiédeur ou les demi-mesures. » Son programme ressemble à celui de Martínez de Hoz pendant la dictature, de Menem et Cavallo dans les années 1990 et de Macri depuis 2015 : dérégulation, précarisation de l’emploi, hausse des tarifs, ajustements du secteur public et restriction du droit de manifester. Et il vient d’anticiper « deux ans de stagflation »…
Les tâches des révolutionnaires
Dans un contexte difficile, le Front de gauche des travailleurs-Unité (FIT-U) a atteint près de 3 %. Score modeste, malgré un repère politique et une réelle implantation sociale. La première tâche vise à soutenir toutes les luttes et y intervenir contre la bureaucratie, les unir et les mener à la victoire. Le peuple argentin porte une longue tradition de lutte et peut résister aux mesures de Milei.
Mais le syndicalisme combatif ne suffira pas. La débâcle du parti péroniste, qui était et reste l’outil-clé de la collaboration de classes dans le pays, ouvre la possibilité d’organiser avec l’extrême gauche des milliers et des milliers de personnes déçues par sa direction historique. C’est pourquoi le Mouvement socialiste des travailleurs (MST) insiste pour que le FIT-U dépasse le niveau purement électoral et invite les sympathisants de gauche et les militants indépendants des syndicats, des étudiants, des piquets de grève, de luttes de genre et de la diversité sexuelle, et de l’environnement, qui se distancient du Parti justicialiste, à débattre et à s’organiser sur la base de son programme anticapitaliste et socialiste, avec une indépendance de classe. Si le FIT-U est renforcé en tant qu’alternative politique réelle et quotidienne, il pourra ouvrir une perspective révolutionnaire pour le pays.
Gustavo García, LIS dans le NPA
1 Centrale générale du travail centrale syndicale péroniste.
2 Centrale des travailleurs argentins, centrale dissidente présente dans la fonction publique et les transports.
3 Front électoral de quatre partis trotskistes : Parti des travailleurs socialistes (en France Révolution permanente), Mouvement socialiste des travailleurs (membre de la Ligue internationale socialiste), Parti Ouvrier et Izquierda Socialista, Gauche socialiste (membre de l’Union internationale des travailleurs).
4 Les plans sociaux désignent les allocations distribuées aux ménages les plus modestes.
5 Oficina de Presupuesto del Congreso (OPC), en français Bureau du budget du Congrès.