
Il y a 200 ans, le 17 avril 1825, le roi Charles X imposait une dette pharaonique à la jeune république d’Haïti, devenue indépendante après une révolte d’esclaves victorieuse contre la France. Péniblement remboursée, elle laisse encore des séquelles1. Un grand retard de développement qui n’a jamais pu être rattrapé, à cause de la mainmise des impérialistes sur l’île.
Haïti avant la révolte
Saint-Domingue était la colonie la plus riche du monde, qui absorbait 37 % du commerce transatlantique. La bourgeoisie maritime française faisait fortune grâce aux plantations de canne à sucre dans lesquelles travaillaient des esclaves, jusqu’à l’épuisement et la mort, en subissant les pires sévices. Quelques milliers de riches planteurs vivaient de l’exploitation de 700 000 esclaves. Certains mulâtres (métis) et des Noirs affranchis s’en sortaient mieux, mais n’avaient pas les mêmes droits que les Blancs. Cet édifice social était particulièrement instable : les marronnages, nom donné aux évasions d’esclaves étaient récurrents. Ceux qui s’évadaient formaient des bandes de révoltés assez populaires. Les maîtres étaient régulièrement victimes d’empoisonnement, et vivaient dans la crainte d’une explosion de colère des esclaves.
La révolution de la France à Haïti
La révolution française change la donne. L’élite locale des planteurs blancs y voit l’occasion de devenir complètement indépendante de la France, mais craint la pleine application des principes des Lumières, à savoir l’abolition de l’esclavage. À la division des élites, s’ajoute une agitation croissante chez les esclaves. Un plan secret pour une insurrection se monte et, en août 1791, une révolte éclate. Les esclaves brûlent les plantations, tuent un certain nombre de colons. La nouvelle parvient trois mois plus tard à Paris, et y lance un débat. Un décret du 4 avril 1792 signé à Paris accorde l’égalité de droits pour tous les citoyens… mais pas l’abolition de l’esclavage. Il s’agit de calmer la révolte et des représentants français sont envoyés sur place. Mais les esclaves noirs étaient déjà devenus la force dominante de la révolution et ne comptaient pas se laisser embobiner par leurs exploiteurs.
Une victoire arrachée de haute lutte
Sous la pression des esclaves, Léger-Félicité Sonthonax, le député girondin envoyé en mission en Haïti, octroie l’abolition de l’esclavage. De 1793 à 1798, des invasions de l’île par l’Espagne et de l’Angleterre, qui cherchent à en prendre le contrôle sont combattues par les armées dirigées par Toussaint Louverture. Après des années de guerre, ses troupes ressortent victorieuses. Napoléon prend le pouvoir en 1799, cherche à revenir à la situation d’antan et relance une expédition française. En 1802, Toussaint Louverture est vaincu et déporté en France, près de Pontarlier dans le Doubs, où il mourra un an plus tard. Charles Victoire Emmanuel Leclerc, commandant les troupes françaises, reçoit l’ordre de rétablir l’esclavage. Mais la révolte reprend un nouveau souffle et le met en échec. En 1804, Haïti devient enfin indépendante.
Haïti victime de l’ordre impérialiste
Haïti a réussi à se libérer de la France et les esclaves ont été affranchis. Quinze ans de mobilisations des masses noires ont refroidi les ardeurs de ceux qui voulaient restaurer l’esclavage. Mais avec des contreparties. Le roi Charles X demande donc à Haïti de payer des indemnisations aux anciens propriétaires d’esclaves. Il envoie des navires de guerre pour faire pression, et peut compter sur des dirigeants compréhensifs. Jean-Pierre Boyer, président d’Haïti, ancien combattant pendant la révolution, reconverti en leader bourgeois raisonnable, accepte de faire payer cette indemnité en imposant les paysans pauvres. Cette somme de 150 millions de francs-or de l’époque, représente dix ans de revenu national d’Haïti. Haïti doit alors faire un emprunt auprès des banques françaises, à un taux très élevé. Si bien que l’indemnité est soldée en 1883, mais le paiement des intérêts des prêts auprès des banques durera jusqu’en 1952, ce qui représente plus d’un siècle de pillage de l’économie haïtienne par la bourgeoisie française2.
Les conséquences aujourd’hui
Au début du XXe siècle, les États-Unis prennent le contrôle de l’île : ils l’occupent en 1915 jusqu’en 1934, et c’est auprès des banques américaines que Haïti contracte alors ses emprunts. Après des décennies où se sont succédé divers dictateurs brutaux et autres présidents corrompus à la botte des États-Unis, Haïti est aujourd’hui victime des gangs. La misère y est endémique pendant qu’une minorité de nantis vit dans le luxe. La colonie la plus florissante du XVIIIe siècle est devenue au XXIe un des pays les plus pauvres du monde. Le 17 avril 2025, Macron a versé des larmes de crocodile sur l’histoire d’Haïti… sans envisager le moindre remboursement. Lui qui annonce « vouloir regarder l’histoire en face » tourne le dos à la population haïtienne et regarde surtout les intérêts de l’impérialisme français. Dans un monde impérialiste, l’indépendance nationale ne met pas fin au diktat des grandes puissances ni au sous-développement et la misère. Seule une révolution des exploités à travers le monde pourra régler ce problème, reprenant le chemin emprunté par les esclaves révoltés de 1791-1804.
Robin Klimt
Pour en savoir plus :
Les Jacobins noirs, de CLR James
1936, réédition en 2017 aux éditions Amsterdam, 20 €
Militant noir, membre du SWP (parti trotskiste américain) dans les années 1930, CLR James propose dans ce livre une histoire de la révolution haïtienne. Très bien documenté, il analyse finement la question du racisme et du colonialisme ainsi que les luttes de classe à l’œuvre. Une lecture passionnante, incontournable pour tous ceux qui s’intéressent à la question.
Et quelques livres à consulter pour se renseigner sur l’histoire d’Haïti :
2013 – réédition prévue chez Perséides pour juin 2025
Pocket, 1992, 1205 p.
Six siècles sont racontés dans cette saga, dont la place principale revient à l’histoire tragique des esclaves noirs.
Zulma, 2013, 216 p.
Ce roman du grand écrivain haïtien est paru en 1944.
1 La « double dette » d’Haïti à l’égard de la France, séquelle du traumatisme originel de l’esclavage et de la traite, Le Monde
2 Article de Wikipedia : Indemnisation de la France par la république d’Haïti