« Le ticket allemand à 49 euros. Viens le chercher, achète-le ici ! » dit l’affiche publicitaire. Le 1er mai, un billet à 49 euros par mois a en effet été lancé en Allemagne, permettant d’utiliser tous les trains régionaux et les transports en commun dans le pays entier. Quid de cette « révolution du transport », comme l’appellent déjà certains… en premier lieu la coalition gouvernementale qui l’a mise en place ?
Un été de quasi-gratuité
Ce nouveau titre de transport s’inscrit dans la suite du billet à neuf euros, mis en place pendant l’été dernier, en 2022. Une sorte de « récompense » après les contraintes endurées pendant la crise sanitaire, et compensation d’une inflation galopante, il avait connu un succès éclatant. Des centaines de jeunes, étudiants ou de classes populaires, en avaient profité pour partir en vacances… jusqu’à « submerger » l’île de Sylt, entre autres, très bourgeoise destination touristique du nord de l’Allemagne. Mais le seul effet n’avait pas été de terroriser des touristes huppés, dérangés dans leur tranquille refuge d’été. L’utilisation des transports en commun avait explosé – effet voulu – et mis à nu les défaillances du système ferroviaire : sous-effectif et infrastructures laissées à l’abandon. Ainsi, les images d’un joyeux chaos se sont installées : trains vétustes, surchargés de jeunes armés de sac à dos et de cannettes, annulations, et retards records.
La solution a été vite trouvée : le billet à neuf euros est resté l’expérience d’un été. Unanimement, il a été jugé trop exigeant pour le réseau ferroviaire et… peu rentable (la gratuité s’accommode mal de la rentabilité capitaliste, c’est sûr !). Même les deux syndicats cheminots, au lieu de se féliciter du plaisir occasionné aux usagers, et de réclamer bien évidemment des embauches et de meilleures conditions afin de ne pas en faire les frais, se sont insurgés contre l’anarchie à neuf euros. Seul, et on ne peut plus timidement, le parti écolo Les Verts a lancé l’idée d’un ticket similaire… plus cher ! Ne pas oublier que les Verts détiennent le ministère de l’Économie !
Le ticket à 49 euros
Celui-ci semble déjà un succès, assez en tout cas pour avoir fait planter les serveurs de la Deutsche Bahn. En effet, pour le moment il n’est accessible quasiment qu’en ligne. C’est l’une des nuances apportées au « ticket pour tous », donc plus difficile d’accès, surtout pour celles et ceux qui ont une mauvaise connexion ou un ancien portable, auquel il faut ajouter pour les populations les plus précaires des restrictions d’achat pour des personnes avec un trop mauvais score de crédit. Mais pour la majorité, un billet national mensuel à 49 euros est objectivement un énorme progrès : ne serait-ce que les billets mensuels pour circuler dans la plupart des grandes villes, pour un périmètre bien plus restreint, coûtent cher – entre 63 euros à Munich et 91 à 114 euros à Berlin, selon les zones, par exemple.
Cependant, ce billet se heurtera aux mêmes obstacles que son prédécesseur (en 40 euros plus cher). Il n’est valable que pour les lignes régionales, dont beaucoup ont été fermées, et dont toutes souffrent de sous-effectif, entrainant retards chroniques et suppressions de trains. Bref, plus de monde dans la même galère ! Sur les lignes à longue distance ou à grande vitesse, les usagers resteront victimes de prix qui ont explosé ces dernières années. Dans les milieux ruraux, le réseau ferroviaire est devenu quasiment inexistant.
À l’image d’une coalition gouvernementale adepte de la politique du symbole – parler d’une légalisation du cannabis, renommer le « RSA allemand » honni –, cette « révolution » ne sera qu’une petite réforme un peu amère, malgré ses avantages pour des jeunes qui vont s’éclater dans des trains bondés, voire retardés et supprimés ! Sans embauches massives et investissements pour améliorer le réseau, ni des transports ferroviaires accessibles à tous, ni une bascule vers les transports en commun qui réduiraient le poids du transport routier et de la voiture individuelle ne sont possibles. La mesure se heurte d’ailleurs déjà à la logique de rentabilité : craignant une catastrophe comptable, le gouvernement a déjà précisé qu’il s’agissait « d’un prix de lancement ». De quoi laisser entendre que la semi-gratuité risque rapidement de redevenir… un peu moins gratuite.
Dima Rüger, 2 mai 2023