Deux groupes trotskistes d’Allemagne, RIO (Organisation révolutionnaire internationaliste, liée à la Fraction trotskiste et à Révolution permanente en France) et le RSO (Organisation socialiste révolutionnaire, liée au NPA-Révolutionnaires) se proposent de présenter sous un slogan commun, « Pour un monde sans frontières, sans guerre et sans exploitation », quelques candidatures pour les élections législatives anticipées qui auront lieu le 23 février 2025.
En Allemagne comme ailleurs, il faut tenter de surmonter la faiblesse et l’émiettement du mouvement révolutionnaire, d’où des relations nouées avec d’autres groupes, et l’opportunité présente de s’allier à RIO pour rendre plus audible et crédible une alternative révolutionnaire au réformisme du parti de gauche (Die Linke). Il faut rappeler que la plupart des organisations trotskistes en Allemagne continuent de faire de l’entrisme dans Die Linke ou à lui apporter un soutien électoral, bien que ce parti ait participé à diverses coalitions gouvernementales, dans des Länder (régions), pour y appuyer des politiques contre les classes populaires. Quand en novembre dernier, la coalition gouvernementale de Scholz s’est rompue et que des élections anticipées ont été annoncées pour le 23 février prochain, RIO et le RSO ont décidé de se lancer ensemble dans une initiative qui motive tout en demeurant modeste : celle de se présenter avec des « candidatures individuelles »1 dans deux circonscriptions de Berlin (une pour chacune des deux organisations) et une à Munich (pour RIO). Donc trois au total.
Une déclaration a été discutée et adoptée (dont la traduction est publiée ci-après) qui fixe le cadre des candidatures. Il y aura, si possible, un matériel commun, mais chaque organisation se réserve la possibilité de s’adresser de sa propre façon à un public large. Une expérience intéressante.
Cela dit, pour se présenter, il faut encore recueillir d’ici le 20 janvier (date du dépôt des candidatures), dans chaque circonscription, deux cents signatures d’électeurs ou d’électrices qui la soutiennent : l’occasion d’une sorte de précampagne pour populariser des perspectives de lutte de classe, par rapport à la situation actuelle – marquée comme en France par une vague de licenciements et de fermetures d’entreprises.
Il s’agit donc d’une expérience modeste mais qui représente un certain défi, étant donné la taille des organisations. Elle va servir à mesurer la visibilité et la portée des idées révolutionnaires prolétariennes. Et en avant, pour cette initiative militante !
Toni Robert, le 9 décembre 2024
Texte de la déclaration commune
« Pour un monde sans frontières, sans guerre et sans exploitation » : des candidatures révolutionnaires aux nouvelles élections !
Avec les nouvelles élections, le virage droitier menace de se poursuivre. Friedrich Merz – candidat de la CDU/CSU – confiant dans les sondages actuels, se voit déjà futur chancelier, qui, plus brutalement encore, s’en prendra à l’ensemble des travailleurs et travailleuses, retraités, chômeurs et réfugiés. Le scénario auquel on a déjà assisté aux élections européennes et aux élections régionales (en Thuringe, Saxe et Brandebourg) risque de se répéter : une campagne électorale sur le dos des migrants et des chômeurs, où les partis établis rivalisent avec l’AfD en matière de racisme, de militarisme et de cadeaux par milliards au patronat, sans compter la surenchère d’idées réactionnaires. Des coupes budgétaires massives et des atteintes au droit de grève et à la liberté de manifestation ont déjà eu lieu, tandis que d’autres se profilent à l’horizon.
Nous nous y opposons !
C’est le développement du capitalisme en mode de crise, dans un contexte de dégâts climatiques et de concurrence internationale qui s’aiguise entre blocs, qui est responsable des attaques redoublées des classes dominantes contre les salaires, les conditions de travail et le droit de grève, appuyées sur une logorrhée raciste pour faire diversion et diviser les travailleurs.
Ce sont les intérêts des grandes entreprises allemandes dans un contexte de montée des tensions internationales qui poussent à l’armement de l’Allemagne, quel qu’en soit le prix. Le gouvernement a alloué 100 milliards d’euros de fonds spéciaux à l’armée allemande. La guerre en Ukraine dure depuis plus de 1 000 jours. Le gouvernement fédéral allemand soutient sans condition le génocide à Gaza. Le service militaire est de retour, et une réintroduction de la conscription est discutée. Les frontières sont cadenassées et on continue à tuer en Méditerranée. La xénophobie atteint un niveau record, et des expulsions massives sont envisagées. À l’intérieur, c’est toujours davantage de répression et d’interdits contre les mouvements de protestation. Mais tout cela ne leur suffit pas. Ils en veulent plus.
Le Parti de gauche n’a aucune perspective à opposer. Même si de nouveaux militants ont rejoint l’organisation depuis le départ de l’aile Wagenknecht et la grave crise du parti, les raisons de son marasme et de son échec sont bien plus profondes : la volonté du Parti de gauche de participer au gouvernement et d’y gérer la misère capitaliste (en particulier au niveau régional) a conduit à ce que le camp de la droite instrumentalise les soucis, les peurs et la colère de millions de personnes pour les dévoyer vers le nationalisme et le racisme. L’Alliance Sahra Wagenknecht cherche quant à elle à marquer des points par un discours pacifiste et un positionnement en paroles contre le soutien au génocide perpétré par Israël. Pourtant Wagenknecht est nationaliste et n’est pas en reste dans les campagnes de haine contre les migrants. Elle ne remet pas en cause la politique impérialiste de l’Allemagne, mais en conteste seulement le choix des partenaires.
Nous devons au contraire faire entendre une tout autre voix aux prochaines élections, une voix offensive contre le capitalisme et qui engage le combat pour son renversement par l’auto-organisation des travailleurs et travailleuses, et de la jeunesse.
Le temps nous est compté. Les élections anticipées auront lieu le 23 février et les candidatures doivent être présentées aux alentours du 20 janvier. Nous – les organisations signataires de cet appel – voulons nous présenter à ces élections en menant une campagne commune autour du slogan « Pour un monde sans frontières, sans guerre et sans exploitation » et nous proposons à toutes les forces d’une gauche combative et anticapitaliste de se joindre à notre initiative. Dans les faits, nous présenterons quelques candidatures individuelles par circonscription, pour chacune desquelles 200 signatures de soutien doivent être collectées.
Nous voulons mettre les points suivants au centre de notre campagne commune :
- Face aux licenciements massifs annoncés chez Volkswagen et autres : interdiction des licenciements, expropriation sans dédommagement et sous contrôle ouvrier de toutes les entreprises qui procèdent à des licenciements collectifs et des fermetures de sites.
- • Réduction du temps de travail sans perte de salaires, jusqu’à ce que toutes et tous aient un travail ! Égalisation immédiate des salaires et du temps de travail entre l’Est et l’Ouest.
- • Défense du droit de grève et encouragement à utiliser activement ce moyen de lutte de tous les travailleurs.
- • Indexation des salaires, retraites et prestations sociales sur l’inflation et leur augmentation immédiate jusqu’à rattrapage des pertes en salaire réel subies depuis 2021 ! Pas de revenu inférieur à 2 000 euros net ! À travail égal, salaire égal ! Retraite à 60 ans.
- • Droit de vote pour tous ceux qui vivent en Allemagne. Ouverture des frontières et accueil des migrants avec droit décent au logement, à la santé, à l’éducation et au travail !
- • Stop à la redistribution du bas vers le haut ! Stop à la course à l’armement. Investissements publics pour la santé, le climat, l’éducation et le logement – financés par les grosses fortunes et l’expropriation sans compensation des entreprises qui profitent des guerres !
- • Baisse considérable des loyers, sans se contenter de seulement freiner leur hausse. Expropriation des sociétés de logements ! Interdiction de la spéculation dans le domaine du logement.
- • Abandon du §218 ! Droit à l’avortement sécurisé et gratuit. Extension de l’éducation sexuelle, gratuité des moyens contraceptifs, des produits menstruels et des tests de grossesse.
- • Droit de disposer pleinement de son corps ! Pleines libertés sur nos corps et nos genres ! Gratuité et libre accessibilité aux besoins médicaux nécessaires aux parcours de transition.
- • Dans la lutte contre l’AfD et ses idées, nous ne comptons pas sur l’État, mais sur nous toutes et tous. Lutte commune de tous les travailleurs et de la jeunesse, indépendamment des origines et des sexes !
- Organisation de l’auto-défense contre la terreur d’extrême-droite : protection des prides, des manifestations, des migrants et migrantes et des lieux de gauche !
- Stop aux violences policières : désarmer la police, dissolution des services étatiques de protection de la constitution (Verfassungsschutz).
- Pas un sou, pas un homme pour l’Otan et l’armée (la Bundeswehr) ! Arrêt des livraisons d’armes allemandes ! Abandon immédiat par la Bundeswehr de ses déploiements à l’étranger ! Fermeture de la base militaire américaine de Ramstein. Pas de missiles américains de moyenne portée en Allemagne.
- Droit à l’autodétermination des peuples : troupes russes et de l’Otan hors d’Ukraine ! Contre la vente de l’Ukraine aux banques et aux multinationales !
- Stop au génocide du peuple palestinien. Arrêt des livraisons d’armes à Israël ! Pour le droit au retour de tous les réfugiés palestiniens !
- Annulation de toutes les dettes envers l’Allemagne – fin du pillage organisé par le FMI et la Banque mondiale.
- Transports publics et gratuits : développement des transports en commun en ville et à la campagne, sous le contrôle des travailleurs.
- Pour une politique de sauvegarde du climat, ce sont les entreprises qui doivent payer ! Expropriation sans indemnisation des groupes énergétiques, sous contrôle ouvrier, et confiscation de toutes les fortunes qui ruinent la planète ! Pour une reconversion écologique de la production.
- Les politiciens ne doivent pas gagner plus que le personnel soignant ! Abrogation de tous les privilèges, à-côtés juteux et allégements fiscaux pour les députés et les élus.
C’est seulement lorsque l’économie et les moyens d’assurer la prospérité – en Allemagne et dans le monde – ne seront plus au service de l’enrichissement d’une infime minorité, et que les travailleurs prendront le contrôle sur ces richesses et planifieront l’économie dans l’intérêt de toutes et tous, que nos besoins vitaux pourront réellement être satisfaits et que l’environnement pourra être sauvé. Pour cela les travailleurs et travailleuses qui font tourner toute la société et produisent toutes les richesses devront arracher le pouvoir des mains du patronat et gouverner eux-mêmes. De même que dans leurs assemblées de grévistes et leurs comités de grève ils peuvent décider eux-mêmes de leurs luttes, les travailleurs et travailleuses peuvent prendre eux-mêmes en main les affaires de la société toute entière, de manière indépendante et démocratique.
Un tel programme ne pourra pas sortir des urnes ou du parlement, mais seulement être imposé par des mobilisations et des grèves, porté par l’auto-organisation des masses. Sur le plan électoral, cependant, de telles exigences peuvent être popularisées. L’essentiel sera de nous atteler à nous organiser dans la rue, dans les entreprises, les lycées et les universités, à la base, et de prendre confiance en notre propre force. Nous voulons construire un front pour les luttes des travailleurs et travailleuses, et de la jeunesse, pour imposer que ça change !
Le 3 décembre 2024
Organisation révolutionnaire internationaliste (RIO)
Organisation révolutionnaire socialiste (RSO)
1 En Allemagne, chaque électeur dispose de deux voix pour les législatives : la première voix est un vote nominal pour un candidat (c’est la « candidature individuelle », ce à quoi nous participons) et la deuxième voix est un vote pour un parti fédéral. Les deux étant déconnectés. Le Bundestag est ensuite composé pour moitié d’élus « individuels », pour l’autre moitié d’élus de partis (grosso modo à la proportionnelle des voix récupérées par les partis).