
Numéro 520, 2002, par Cabu
Le 7 janvier 2015, la rédaction de Charlie Hebdo était décimée par un attentat à l’arme lourde puis, quelques jours plus tard, les clients d’un supermarché Hypercacher étaient victimes d’une prise d’otages sanglante. Revendiqués par Al-Qaïda dans la péninsule arabique pour le premier et Daech pour le second, ces attentats ont précédé ceux de Paris le 13 novembre 2015 (130 victimes) puis de Nice en juillet 2016 (86 victimes). Plus récemment, ce sont Samuel Paty et Dominique Bernard, deux professeurs, qui ont été assassinés. Des actes barbares menés au nom d’organisations fondamentalistes au projet politique ultra-réactionnaire.
Le bal des vampires
Quelques jours après l’attentat de Charlie Hebdo, des marches réunissaient des millions de personnes encore sous le choc de cet obscurantisme. Mais tous autres étaient les calculs des politiciens français et dirigeants internationaux qui défilaient en tête du cortège parisien. Dix ans après, cette tête de cortège a de quoi faire rire jaune. En grands défenseurs de la liberté d’expression et des droits de la presse, on y retrouvait, main dans la main, Sergueï Lavrov, toujours ministre des Affaires étrangères de Poutine, Ali Bongo, ex-dictateur en chef au Gabon, le président hongrois d’extrême droite Viktor Orban… ou encore le génocidaire Netanyahou ! Et que dire des dirigeants des grandes puissances occidentales qui continuent à passer des accords avec les pires dictatures dans le monde ? Et qui font combien de victimes de bombes américaines, françaises, israéliennes ou russes balancées aux quatre coins du monde ? Du terrorisme d’État à grande échelle qui ne dit pas son nom.
Quel bilan de la « lutte contre le terrorisme » ?
Depuis 2001, c’est principalement au nom de la « lutte contre le terrorisme » que les dirigeants des puissances impérialistes mettent des pays à feu et à sang dans le seul but de préserver leur influence politique et les intérêts de leurs multinationales. Mais qu’est-ce qui avait fait précisément le terreau de Daech, si ce n’est l’invasion de l’Irak en 2003 qui a détruit quasiment toutes les infrastructures du pays et favorisé les divisions au sein de la population ? Au Mali, l’intervention française en 2013 n’a en rien fait disparaitre les groupes djihadistes locaux. En Afghanistan, les talibans ont repris le pouvoir à la suite du retrait des troupes américaines. C’est, à chaque fois, ce contexte de misère et de guerres qui nourrit le fondamentalisme religieux sous une forme ou une autre : contre les populations sur place, d’abord, et revenant, épisodiquement, en boomerang sanglant ici aussi.
Ces grandes puissances n’ont également pas hésité par le passé à soutenir directement des courants intégristes si ceux-ci leur permettaient à un moment précis de maintenir leur ordre… Hier recherché par le FBI comme « terroriste » avec une récompense à la clef de 10 millions de dollars, le nouveau dirigeant syrien issu des rangs d’Al-Qaïda, Ahmed Al-Charaa, est ainsi devenu aujourd’hui un partenaire tout à fait convenable.
Le grand glissement réactionnaire
Sur le plan intérieur, la « lutte contre le terrorisme » a conduit à l’adoption d’un cortège de mesures répressives à la cible large et floue, à l’image du délit « d’apologie du terrorisme » bien pratique pour criminaliser depuis un an et demi les soutiens au peuple palestinien.
Les attentats de Charlie Hebdo ont aussi provoqué depuis dix ans un basculement politique sensible dans les milieux de droite, comme chez certains se réclamant de la gauche à l’instar du « Printemps républicain » nourri par des anciens du PS : la prétendue défense de la laïcité et des « valeurs de la République » sont devenus des totems invoqués à n’en plus finir pour occasionner toujours plus de stigmatisation contre les musulmans ou supposés l’être. Campagne contre l’abaya, loi « séparatisme », polémiques racistes à répétition sur les plateaux-TV : c’est la course à la xénophobie et au racisme… au grand bénéfice de l’extrême droite franchouillarde aujourd’hui aux portes du pouvoir. Et en retour, des courants fondamentalistes religieux tablent sur la stigmatisation et l’exclusion sociale dont sont victimes les familles immigrées de milieux populaires pour y recruter des troupes.
Contre tous ces attiseurs de haine et le poison mortel de la division, c’est bien au contraire notre solidarité entre travailleurs que nous devons opposer pour faire entendre haut et fort nos intérêts de classe. Lutter contre les intégristes fascisants de tout bord ne pourra pas se faire « au nom de la République », cette même République bourgeoise qui bombarde, exploite et stigmatise… constituant par là même le principal terreau pour ceux qu’elle prétend combattre.
Boris Leto