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Chili : effondrement du système privé de santé

Les camarades chiliens de Socialismo Revolucionario nous ont envoyé l’article suivant qui a été énormément relayé. Il est diffusé sur le portail Werken Rojo (porte-parole rouge en mapudungun, la langue du peuple mapuche). Ce portail, pluriel et collaboratif, laisse la parole à plusieurs expressions de gauche extra-parlementaire et d’extrême gauche syndicale et politique.

 

 


 

 

Les Isapres (Institutions de santé prévisionnelle) sont le cœur financier et l’articulation du système de santé privatisé au Chili. Les personnes ayant la capacité économique d’accéder à l’un des milliers de plans de santé privés existants doivent s’affilier à l’une de ces institutions, qui perçoivent 7 % de la contribution obligatoire, plus quelques contributions volontaires supplémentaires. La majeure partie de la population active à faible revenu doit s’affilier au système public Fonasa (Fonds national de santé). De cette manière, le système est « écrémé », perdant la majeure partie des cotisations les plus élevées et séparant certains affiliés des autres, et ségrégeant brutalement la population dans son accès aux soins de santé. Les Isapres souhaitent garder leurs affiliés tant qu’ils sont jeunes et ont peu de dépenses de santé, puis augmentent arbitrairement le coût de leurs plans de santé pour les pousser à partir. Ils font payer plus cher les femmes en âge d’avoir des enfants et excluent de leur couverture toute pathologie préexistante.

Pendant de nombreuses années, les Isapres ont arbitrairement augmenté les prix des plans de santé pour leurs affiliés. De nombreuses personnes concernées ont saisi la justice pour faire cesser ces abus et ont obtenu gain de cause il y a maintenant 15 ans. Cependant, les sociétés de santé privées ont opté pour la stratégie de la judiciarisation et ont continué à faire durer le problème. Au cours de ces 15 dernières années, les Isapres ont fait appel à maintes reprises jusqu’à ce que les affaires soient résolues par la Cour suprême en novembre de l’année dernière et aujourd’hui [11 août 2023]. Dans les deux cas, les tribunaux ont statué en faveur des personnes concernées et les Isapres devraient restituer environ 2,1 milliards de dollars facturés illégalement.

Mais les Isapres ne se sont pas encore conformés aux décisions et attendent que l’État reprenne leur dette. Entre-temps, le gouvernement de Gabriel Boric a proposé une loi limitée pour tenter de sauver le système de santé privé de l’effondrement, mais cette loi n’est pas assez généreuse pour répondre aux souhaits des propriétaires d’Isapres.

La crise généralisée du système de santé s’explique par le fait que, pendant des décennies, l’État chilien a subventionné les soins de santé privés par le biais de différents mécanismes de transfert, tels que l’achat de services ou la prise en charge d’abonnements par le biais de la libre élection du Fonasa. Ainsi, les soins de santé privatisés ne sont une bonne affaire que si l’État transfère systématiquement des millions de ressources du Trésor public, alors que le secteur public, qui dessert la majorité des Chiliens, est en crise permanente de sous-financement et de manque de soins. Le secteur privé de la santé, ainsi conçu, est une entreprise de plusieurs millions de dollars, principalement aux mains de transnationales nord-américaines et européennes.

On a appris récemment que la troisième chambre de la Cour suprême s’est prononcée sur la dernière question judiciaire clé en suspens concernant l’industrie des Isapres, à savoir les hausses de prix des GES (garanties explicites de santé) pour les plans de santé. Bien que l’arrêt de la troisième chambre de la Cour suprême n’ait pas été rendu public, il a été révélé qu’il fixerait un plafond maximum (de 7,2 UF1 par an) à l’ajustement effectué par les Isapres en ce qui concerne le prix des GES.

Si cette décision est confirmée, cela signifierait que plusieurs Isapres devraient restituer environ 700 millions de dollars supplémentaires aux affiliés touchés par les augmentations de prix illégales des GES. Ce montant s’ajoute au 1,4 milliard de dollars que les Isapres ont déjà dû restituer en vertu du verdict de novembre dernier concernant l’augmentation des plans basés sur des tables de facteurs de risque illégales. Ainsi, ce récent verdict s’avère potentiellement mortel pour le système Isapres tel que nous le connaissons et tel qu’il fonctionne.

Les Isapres n’ont pas tardé à réagir pour défendre leurs intérêts. Banmédica et Vida Tres ont annoncé « [avoir] pris la décision de suspendre, à partir d’aujourd’hui, la commercialisation de tous nos plans de santé » ; et récemment Consalud a aussi pris des mesures similaires. Pour parler franchement, cette décision ressemble à une tentative de chantage : faire pression pour obtenir une aide de l’État face à la crise aiguë et à l’insolvabilité du système privé.

Il est urgent de faire avancer l’assurance maladie publique universelle vers un système qui permettrait de mettre en commun les cotisations et de les transférer à chaque régime d’assurance en fonction du risque et de l’âge du patient. En d’autres termes, si le patient coûte plus cher au système de santé que ce qu’il apporte comme contribution (parce que, par exemple, il est plus âgé et a plus de maladies), l’assurance recevrait une contribution supplémentaire de la part des patients en meilleure santé et disposant de revenus plus élevés.

Cela devrait faire partie d’un programme global visant à renforcer le système de santé, en augmentant les dépenses effectives de santé publique pour atteindre le niveau des pays de l’OCDE, qui y consacrent en moyenne 9,5 % de leur PIB. Au Chili, 8 % du PIB y sont consacrés, mais seule la moitié de cette somme est effectivement dépensée dans le système public ; le reste est transféré au secteur privé par le biais de l’achat de millions de services de santé. C’est cette politique néolibérale qui a conduit à la crise actuelle des soins de santé publics, en renforçant l’activité privée des cliniques, des laboratoires et des pharmacies.

Il nous faut défendre et renforcer le système de santé public, en nous appuyant sur le principe socialiste de base de la Sécurité sociale selon lequel la santé est un droit. Cela serait la réponse de départ pour garantir réellement le droit à des soins de santé décents et de qualité pour la population, en laissant de côté les problèmes chroniques des listes d’attente et de la ségrégation des soins.

Sergio Ramirez pour Werken Rojo, 11 août 2023

 

 


 

 

1 « L’Unité de développement (Unidad de Fomento) est un indice de réajustement, calculé et autorisé par la Banque centrale du Chili, pour les opérations de prêt d’argent en monnaie locale effectuées par les sociétés bancaires et les coopératives d’épargne et de crédit. À des fins de calcul de cet indice, la valeur de l’UF est réajustée du 10 de chaque mois au 9 du mois suivant, sur une base quotidienne, en fonction de la variation de l’indice des prix à la consommation (IPC) déterminé par l’Institut national de la statistique (INE) ou l’organisme qui le remplace au cours du mois civil précédant immédiatement la période pour laquelle l’UF est calculée et publiée. » Définition de la Banque centrale du Chili.