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Choose Europe for Science… vraiment ?

Manifestation étudiante du 13 mars 2025, à Paris

 

 

Les attaques de l’administration Trump contre les recherches scientifiques et les universités se multiplient depuis son investiture en janvier1. Véritable purge idéologique couplée avec un jeu de massacre contre certaines recherches (sur le climat, les inégalités, etc.), cette politique a brutalement privé d’emploi des milliers de chercheurs et menace directement des pans entiers du système universitaire et de recherche américain et mondial. Face à cela Macron et von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, ont fait de grands discours à la Sorbonne, promettant d’accueillir en Europe les chercheurs menacés dans leur pays… Mais l’Eldorado européen est un mirage.

Les universités dans le viseur de Trump

L’université de Harvard, une des plus prestigieuses aux États-Unis et sans doute dans le monde, a refusé en avril dernier d’obtempérer aux ordres de Trump lui enjoignant de fermer certains départements d’étude considérés comme « woke » et de mettre fin à son programme Diversité, permettant notamment l’accueil de personnes issues des minorités raciales et de genre. Mal lui en a pris : Trump a coupé près de 3 milliards de financements publics. Idem à Cornell, (1 milliard), Northwestern (800 millions), Princeton (210 millions), etc. Le prétexte est particulièrement abject, car les coupes sont justifiées par une prétendue lutte contre l’antisémitisme, que ces institutions ne mèneraient pas de façon assez forte2.

Le financement de ces grandes universités reposant en grande partie sur des fonds privés, ces coupes ne les mettront pas en faillite, même si ce n’est pas indolore. Mais cela s’ajoute à la suppression de programmes de recherche, à la restriction de l’accès à certaines bases de données cruciales pour le suivi des épidémies ou du dérèglement climatique. Lorsque les institutions universitaires du premier impérialisme mondial vacillent, c’est le monde entier de la recherche qui est déstabilisé.

Qui pourra partir ?

Le fond de l’air est à la censure, notamment contre les sciences humaines et sociales : les départements d’histoire des minorités, d’études de genre, les recherches sur la justice environnementale, les personnes trans sont explicitement ciblées. Et avec elles les chercheuses et chercheurs qui les mènent, et qui sont bien souvent issus de groupes sociaux marginalisés. Les coupes budgétaires menacent d’abord les chercheurs sans poste stable, les doctorants… Un sondage réalisé par la revue Nature indique que 75 % des chercheurs interrogés cherchent un emploi en Europe ou au Canada. Mais pour partir, il faut des diplômes reconnus, des réseaux internationaux : les plus menacés ne sont sans doute pas ceux qui pourront partir les premiers3.

Accueil au rabais

Et partir, mais pour s’installer où ? Dans quelles conditions ? Le plan européen d’accueil de chercheurs est doté de 500 millions d’euros pour l’ensemble de l’Union européenne, à peine un sixième de la subvention d’État à Harvard que Trump vient de supprimer ! En France, Macron promet 100 millions pour la France, pour accueillir quelques centaines de personnes sur des contrats de trois ans. Une belle perspective ! Les plans com de Macron et von der Leyen cachent mal la disparité profonde entre pays impérialistes en termes de recherche : même avec les attaques et coupes de Trump, les universités américaines sont riches, bien dotées et offrent des rémunérations sans commune mesure avec les salaires des chercheurs de ce côté-ci de l’Atlantique.

Bienvenue dans une université mal en point !

Les 100 millions de Macron permettront à quelques chercheurs de venir en France, dont des jeunes Français expatriés qui trouveraient là une possibilité de revenir. Tant mieux pour eux… mais leur atterrissage se fera dans un système universitaire mis à mal par des décennies de sous-financement. Le budget par étudiant a diminué de 16 % entre 2012 et 2022 (7 % depuis l’arrivée au pouvoir de Macron en 2017)4. Les postes d’enseignants-chercheurs et de personnel administratif et technique manquent partout. Le dernier budget a amputé l’enseignement supérieur et la recherche de 1,5 milliard, auxquels il faut ajouter 1,6 milliard d’annulations de crédits, dont certaines annoncées, ironiquement, quelques jours avant le grand discours de Macron à la Sorbonne…

Quant aux attaques idéologiques, la France n’est pas en reste, de Blanquer, alors ministre de l’Éducation nationale en 2021, dénonçant l’« islamo-gauchisme » qui « gangrène toute la société » à Hetzel, ancien ministre de la Recherche qui avait lancé une commission d’enquête parlementaire sur l’« entrisme idéologique » et les « dérives islamo-gauchistes », en passant par Retailleau et les réacs de tout poil qui s’alarment du « wokisme ». De Paris à Washington, selon des modalités et une intensité différentes, les recherches scientifiques qui pourraient être utilisées par les exploités et les opprimés pour dénoncer les méfaits du capitalisme sont la cible des exploiteurs et de leurs porte-paroles gouvernementaux.

Sacha Crepeni

 

 

1  Voir notre article du 14 avril « Des attaques contre la recherche et les universités en France aussi ».

2  https://time.com/7278236/university-funding-trump-harvard-cornell-northwestern-brown-princeton-penn-columbia/.

3 
https://theconversation.com/entre-attaques-americaines-et-illusion-francaise-les-sciences-humaines-et-sociales-en-danger-254757.

4  Données compilées par Thomas Piketty et Lucas Chancel : https://lucaschancel.info/etudiants.