Mardi 10 janvier, une trentaine de personnels de la réanimation et des soins continus pédiatriques du CHU de Bordeaux, puéricultrices, infirmières, aides-soignantes, en grève depuis le 26 décembre, manifestaient et diffusaient des tracts sur le rond-point à l’entrée de l’hôpital Pellegrin sous les banderoles « Réa péd en grève », « pour la sécurité des enfants ». Après 15 jours de grève illimitée, elles ont réussi à se mobiliser en-dehors des murs de l’hôpital, malgré les assignations qui obligent la plupart d’entre elles à rester dans le service.
Il s’agissait de faire pression sur la direction, et de témoigner auprès des journalistes et des soutiens venus les rejoindre, pour que soit connue la situation très dégradée de l’hôpital. Pour elles, il n’y a pas de fatalité, il faut refuser l’inacceptable, il est possible et nécessaire de dire « non ».
Face à la presse venue en nombre, les grévistes, très majoritairement des femmes, jeunes, se sont relayées pour répondre aux questions et décrire le manque de personnel et de lits, le manque de temps face à l’angoisse des enfants et de leurs parents, le sentiment permanent de gâchis. En place depuis 19 ans dans le service, une puéricultrice décrit « une grosse dégradation des prises en charge, de l’insécurité pour les soignants et une mise en danger [des enfants], un épuisement qui nous ont amenées à cette grève ». C’est la course permanente pour trouver des lits disponibles pour accueillir de nouveaux enfants qui attendent une place en réanimation. Pour cela, explique-t-elle, « une bonne partie de notre travail c’est faire du Tétris d’enfants »… Les soignantes se retrouvent obligées de trier les patients, de « renvoyer des enfants chez eux pour en prendre des plus graves […], avec un turnover très important au cours des derniers mois ». Ces conditions de travail dégradées entraînent l’épuisement de l’équipe, et « de l’insécurité pour les soignants comme pour les patients ».
« Nous faisons les soins à la chaîne […]. Ce métier, on ne l’a pas fait pour ça, on l’a fait pour accompagner les gens dans des moments aigus de leur vie ». A cause du manque cruel d’effectif, cet accompagnement est réduit au strict minimum, et parfois en dessous : les gestes doivent être enchaînés au plus vite et avec beaucoup de stress, « sans rien expliquer [aux patients] ».
Face à cette situation catastrophique, pas d’autre choix pour elles que de lutter : depuis le 26 décembre, près de 80 % de l’équipe paramédicale est en grève illimitée. Et parmi les 20 % de non-grévistes, il y a notamment des contractuels, qui soutiennent leur combat, mais que leur situation précaire empêche de participer.
Les grévistes demandent notamment des postes supplémentaires d’infirmiers et d’aides-soignants. Elles exigent le respect de l’effectif légal, c’est-à-dire un infirmier pour deux enfants, qui n’est pas respecté la plupart du temps, dès qu’il faut accompagner un enfant pour des examens ou intervenir pour une urgence dans un autre service. En effet, la mise en en place d’un « téléphone rouge » permet aux services d’hospitalisation de faire appel au personnel de réanimation pour prendre en charge des cas graves, ce qui ampute régulièrement le service d’au moins une infirmière ou une puéricultrice. Pour cela, elles demandent un poste de soutien, détaché de leurs effectifs, au moins en journée. À cela s’ajoute la revendication d’un matériel plus adéquat que celui avec lequel elles doivent travailler. Et de manière générale, la dénonciation des conditions de travail du personnel soignant à l’hôpital, qui ne font que se dégrader : « Il y a beaucoup de fatigue, les gens fuient l’hôpital […]. Les jeunes générations ne supporteront pas ce que nous on a supporté, ils sont beaucoup plus au clair avec leurs limites et c’est une bonne chose. Ils soutiennent ce mouvement. »
Leur lutte pose aussi la question des salaires, qui sont gelés depuis des années et bien loin de suivre l’inflation : « On en a marre des quelques primes lâchées ici et là, ça ne suffit pas », témoigne un infirmier.
Naturellement, les grévistes ont cherché à entrer en contact avec les autres services, dont la néonatalogie et les autres services de l’hôpital pédiatrique, qui rencontrent les mêmes problématiques. Elles ont réactivé les liens qui existent depuis l’an dernier, tissés notamment au cours de la longue lutte pour obtenir que la prime de « soins critiques » soit versée à des catégories de personnels qui en étaient exclues. Elles sont convaincues que la solidarité est une arme redoutable, et conscientes que « l’union fait la force, et si tout le monde s’y met, on aura beaucoup plus de poids et les gens auront moins peur ». Sur le piquet, la présence d’autres collègues en soutien, dont des travailleuses sociales, des étudiants en médecine, des militants dont des postiers (Sud et CGT) amenait naturellement à élargir les discussions, tou.tes bien conscient.es que l’effondrement de l’hôpital est un des aspects les plus voyants et insupportables d’une offensive générale contre le monde du travail, les salaires, les services publics… et les retraites.
Après avoir de nouveau manifesté le lendemain avec des collègues des urgences et du Samu à l’occasion des vœux du directeur général du CHU, elles devaient être reçues par la direction qui les a jusque-là ignorées.
La puéricultrice témoigne de l’attitude plus que méprisante de cette direction : « Ils [la direction] ont dépensé plus de 30 000 euros en frais de huissier, pour nous assigner au travail, alors que c’est quasiment l’équivalent d’un poste de puéricultrice ou d’infirmière à l’année, que l’on demande… On se dit finalement, que l’argent il y en a. »
Face à ce mépris et à cette violence, les travailleuses du service n’ont pas lâché, et se serrent les coudes : « Tout le monde a été très solidaire […], c’est comme ça qu’on arrivera à obtenir des choses. »
Devant la détermination des grévistes, la direction a finalement fait savoir qu’elle allait créer au moins un poste en plus des effectifs actuels, ce qui ne fait toujours pas le compte. À suivre…
Isabelle Ufferte et Nora Kilal
Vidéo : Au piquet de grève des personnels de la réanimation pédiatrique de l’hôpital Pellegrin, CHU de Bordeaux, en grève depuis 15 jours.
Témoignage de Sabine, Infirmière puéricultrice