Nos vies valent plus que leurs profits

Combattre les accords de « libre-échange » ou le capitalisme ?

Le 21 mars le Sénat a voté contre la ratification du Ceta, un accord commercial entre l’Union européenne et le Canada. Fruit de décennies de négociations secrètes entre exploiteurs capitalistes de tous les secteurs, public comme privé, gouvernements et institutions internationales, cet accord de libre-échange qui diminue les droits de douane est appliqué depuis 2017. Si le gouvernement est parvenu à le faire adopter de justesse et a posteriori par l’Assemblée nationale en 2019, il ne l’avait pas transmis au Sénat faute de majorité. C’est le PCF qui a profité d’une niche parlementaire pour le soumettre au vote de la chambre haute, obtenant son rejet grâce aux voix de la droite et de l’extrême droite. Ce coup politique a lancé la campagne européenne de son jeune candidat, Léon Deffontaines, la situant sur le terrain du nationalisme, à l’opposé de la défense des intérêts des travailleurs.

Accords entre renards libres dans le poulailler libre

Le Ceta est un accord commercial régional comme il en existe des dizaines, typique de la phase de mondialisation financière ouverte dans les années 1990. Il réglemente le commerce international de biens et de services, est révélateur de la forme que prend ce dernier, que ses partisans comme ses opposants appellent à tort le libre-échange. Le Ceta est un texte de 2 344 pages de règlements contraignants qui prévoit des tribunaux spéciaux pour faire respecter ses clauses : on est loin de la « main invisible du marché ». Le capitalisme, ce n’est pas la concurrence libre et non faussée, mais le rapport de force à tous les échellons, d’abord contre les travailleurs pour augmenter au maximum le taux d’exploitation, et aussi entre grands groupes multinationaux appuyés sur leurs États respectifs.

Ces accords sont négociés dans le plus grand secret et adoptés dans le dos des peuples : le capitalisme déteste la transparence. Mais ils sont avant tout la traduction d’un rapport de force dans les batailles commerciales. Quand les patrons français ou leurs représentants souhaitent renégocier un accord qu’ils jugent trop défavorable, ils sont dans leur rôle. Mais quand c’est la tête de liste du PCF aux Européennes qui lance sa campagne en s’opposant au Ceta avec de tels arguments, c’est une diversion nationaliste : « Le vin et les fromages français ont une renommée internationale, il n’y a pas besoin d’accords de libre-échange pour les exporter. Les Canadiens auraient du mal à s’en passer. En revanche, on peut complètement se passer du bœuf canadien… »

« Défendre le monde du travail » ou la « souveraineté de la France », il faut choisir !

Toute la gauche institutionnelle a applaudi l’initiative du PCF : Verts, PS et FI ont chacun tenu à se présenter comme les meilleurs opposants au « libre-échange ». C’est à qui sera le meilleur défenseur de la « souveraineté » dans ce scrutin européen qu’ils envisagent comme des primaires pour les présidentielles de 2027. Une concurrence entre nains électoraux qui tirent les marrons du feu pour l’extrême droite en situant les débats sur son terrain nationaliste.

Tant pis si derrière cette démagogie souverainiste se cachent de purs mensonges. Huit ans après sa mise en application, le Ceta a profité bien plus aux exportations des patrons européens (dont français) qu’aux importations canadiennes. Le commerce avec le petit mais vaste Canada n’est pas le cœur du sujet ! Tant pis si, au nom de la protection des travailleurs, le nationalisme économique se résume à des subventions sans aucune contrepartie au grand capital : en Italie, Giorgia Meloni a versé 950 millions d’euros aux actionnaires de Stellantis cette année. Macron, le président des patrons, n’aurait pas fait mieux ! C’est la politique du grand patronat, quel que soit son parti, de cultiver les différences nationales pour mieux mettre en concurrence les travailleurs des différents pays !

Les travailleurs n’ont pas à épouser les rivalités de leurs patrons, pas à se battre pour des marchés, mais à se coordonner à l’échelle internationale et lutter ensemble pour de meilleurs salaires et conditions de travail, et pour une tout autre société, communiste, où ceux et celles qui produisent toutes les richesses seraient celles et ceux qui décident.

Raphaël Preston

 

 

(Article paru dans Révolutionnaires numéro 12, avril 2024.)