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Contrôleur SNCF : « On voudrait accompagner, pas fliquer »

Pour bien des usagers de la SNCF, un contrôleur ou une contrôleuse, c’est celui ou celle qui vous « coince » le jour où vous n’êtes pas en règle, ou simplement qui vous énerve en vous contrôlant, c’est-à-dire en vous suspectant de ne pas être en règle. On n’aime pas ça, surtout qu’on paye cher, trop cher ! Surtout que, de plus en plus, la direction de la SNCF de son côté n’est pas en règle : le manque de personnel roulant comme d’ouvriers de maintenance fait que les retards s’accumulent, voire donnent lieu à des situations insupportables quand ces retards se soldent en longues heures de galère. Bonjour le prétendu « service public » ! Alors qui devrait contrôler qui ? Mais bien évidemment, du côté des ASCT (contrôleurs et contrôleuses) à la SNCF, des salariés loin d’être privilégiés, c’est une autre galère. L’un d’entre eux raconte le métier de l’intérieur, son évolution selon la politique de la direction, et pour quelles revendications lui et ses collègues se mobilisent depuis plus d’un an.

Quelles sont les missions d’un agent du service commercial train (ASCT) ?

Notre fonction commerciale vise d’abord à assurer le lien avec les voyageurs : la vente et le contrôle des billets, mais on renseigne et oriente aussi les usagers en cas de rupture de correspondance. De plus en plus, l’entreprise veut « autonomiser les voyageurs » mais puisqu’elle tend à faire disparaître les effectifs à la vente en gare, les usagers achètent de plus en plus leur billet à bord. On peut parfois porter certaines valises, aider à trouver un confort de voyage, rassurer, accompagner les mineurs, gérer un malaise à bord… Un jour j’ai même dû sécuriser un accouchement dans un train de nuit !

Sur les longs trajets (Intercités et TGV par exemple), on accompagne le conducteur sur des missions techniques ou de sécurité comme établir un diagnostic et assurer l’acheminement des voyageurs. On a des missions dites « tâches de sécurité ferroviaire », concernant les personnes avant le départ du train et à chaque arrêt. Sur les trajets courts régionaux (RER par exemple), le conducteur est autonome, il peut s’occuper du diagnostic, de la maintenance et même du dépannage en cas de besoin. Mais si le conducteur se blesse, qu’est-ce qu’il se passe ? On a connu ça en 2019 lors d’un accident en Champagne-Ardennes à bord d’un TER EAS, c’est-à-dire sans ASCT. Le conducteur, blessé à la jambe, a dû porter secours aux voyageurs blessés, puis parcourir un kilomètre et assurer lui-même la protection du train pour éviter un sur-accident. Une chance qu’il n’ait pas été blessé plus gravement… Cette partie du métier, la SNCF cherche à la réduire au maximum, au détriment de la sécurité de tous. Et pour intensifier notre exploitation, la direction nous impose toujours plus de « polyvalence » en multipliant nos missions, cherchant même à occuper nos moments de pause entre deux trains.

Comment expliquer la hausse des agressions à laquelle vous faites face ?

En dix ans, la SNCF a réduit nos tâches de sécurité ferroviaire pour prioriser la lutte anti-fraude (LAF dans le jargon !). Elle nous impose toujours plus d’opérations de contrôle, avec une pression sur les chiffres de chaque agent, et nous met en concurrence entre collègues. Il y a 35 ans, on déplorait très peu de fraude parce que le prix du billet était accessible. Actuellement la boite est contrainte de mettre en place le paiement des billets en plusieurs fois tellement les prix sont élevés ! Plus ses prix augmentent, plus elle cherche à récupérer l’argent de la fraude. La direction prend pour prétexte l’ouverture à la concurrence pour nous seriner qu’étant une entreprise désormais privée, on doit faire rentrer du fric. Bien qu’on touche effectivement une commission sur la vente des billets à bord et les amendes, ce n’est pas ça qui nous paye : cela reste très marginal dans notre revenu. L’entreprise a aussi instauré des caméras piétons portées par les agents, mais elles ont plutôt tendance à tendre la situation, elles n’empêchent pas l’agression et servent en réalité à nous fliquer davantage.

L’État a également poussé pour orienter notre métier vers le flicage. La loi Savary, sous Hollande, a durci les règles en augmentant les montants forfaitaires des amendes ; en créant un « délit de fraude d’habitude » (fabriquer des délits à partir de contraventions, pouvant donc conduire jusqu’à la prison) ; en conférant plus de pouvoirs à la Suge (la police de la SNCF) sur les contrôles de bagages. Cette hausse systématique des contrôles a mené à l’augmentation des agressions. En 2021, on a compté 5 330 actes de violence, qui débouchent seulement sur 900 arrêts de travail. En plus de provoquer ces agressions, la direction entrave nos arrêts de travail… C’est par la gratuité qu’on sortira de cette boucle de violence. Le contrôleur doit être un accompagnant, pas un flic.

Que revendiquent les agents pour l’amélioration de leurs conditions de travail ?

À l’heure de l’inflation, la revendication principale concerne le salaire. Notre fiche de paie est une usine à gaz : on touche un traitement de base, souvent en dessous du Smic, puis s’ajoutent les différentes primes, dont la plupart ne comptent pas pour la retraite, et les frais de déplacement comme la restauration. Quand on est en congés ou en arrêt maladie, on perd la plupart de ces primes et on peut se retrouver en dessous du Smic. Un ASCT en début de carrière touche environ 2 000 euros (avec les primes ainsi que tout ce qui couvre les frais de déplacement) et peut terminer à 2 800 net avec primes. À la retraite, c’est 1 370 euros. Il s’agit d’augmenter notre prime de travail et l’intégrer au traitement de base, pour qu’aucun agent ne touche moins de 2 000 euros net.

Il faut se rendre compte que notre métier de roulant – qui doit être reconnu comme tel, au même titre que les conducteurs – implique entre six et neuf nuits hors de chez nous par mois. On ne connaît pas les jours fériés, on travaille trois week-ends sur quatre, avec des services pouvant débuter à 3 heures du matin et nos congés ne sont quasiment jamais accordés selon nos envies mais selon les besoins du trafic. Le sous-effectif constant saccage nos plannings, qui changent souvent au dernier moment pour des remplacements au pied levé. Avec ces horaires jamais réguliers, on mène une vie sociale sans norme. Le sommeil et la digestion sont complètement dérégulés, ce qui conduit à de nombreuses maladies au bout de 15 ans de route. Enfin, on réclame l’application systématique de la présence de deux ASCT minimum par train, même au TER.

Branche transports