Nos vies valent plus que leurs profits

Coup de gueule. À la conquête du droit de grève chez Airbus à Toulouse

Pour tout nouvel arrivant à Airbus – et il y en a beaucoup, car, quand on vire l’ensemble des intérimaires pendant le Covid et qu’on souhaite repartir vers de nouveaux records de production et de bénéfices à peine trois ans plus tard, il faut bien que quelques nouveaux travailleurs soient embauchés de temps en temps pour faire le travail… Pour tout nouvel arrivant à Airbus, donc, faire grève peut ressembler à un petit parcours du combattant. Et pourtant, on pensait que faire grève était un droit. Comme quoi, la loi…

Parfois le nouvel arrivant se verra signifier que faire grève n’est pas bon pour son avenir, pour son évolution, pour sa carrière, voire carrément pour son embauche. Eh oui, bien que nos chefs aient la fâcheuse tendance à nous considérer tous comme des gamins, et à priori encore plus les intérimaires (si les embauchés sont des enfants, alors les intérimaires sont quoi à leurs yeux ?), il se trouve que de temps en temps, nous avons des opinions différentes de celles de nos chefs. Une opinion commune ici par exemple, c’est que du boulot en dehors d’Airbus, il y en a. Alors, l’embauche ou la carrière…

Mais si le nouvel arrivant décide malgré tout de risquer l’ensemble de sa vie professionnelle à Airbus pour avoir eu l’audace d’avoir eu un jour une opinion, certains chefs lui diront qu’il n’a le droit de faire grève que deux heures, car c’est ce que certains syndicats1 ont dit. C’est vrai que pour ces chefs, lire les petits caractères qui disent « deux heures jusqu’à la journée entière » est au-delà de leurs compétences. Mais il faut dire que n’appeler qu’à deux heures de grève, et écrire en petit « jusqu’à la journée entière » de la part de ces syndicats n’aide pas à y voir très clair, alors qu’il y a un appel national à la grève de l’ensemble de la population.

Cela dit, le nouvel arrivant n’est pas non plus surpris de l’attitude de ces syndicats. À peine une semaine avant, pour la grève du 10 septembre, n’était-ce pas les mêmes qui le prenaient par le bras pour lui chuchoter dans l’oreille que faire grève ce jour-là serait aller contre ses intérêts de travailleur ? Allez savoir, peut-être qu’ils ont raison. Peut-être qu’un travailleur doit rester sage et défiler sagement. Peut-être que c’est ça, la vie d’un travailleur « conscient de ses intérêts ». Rester sage, alors que les hôpitaux ferment et que les heures supplémentaires deviennent obligatoires.

Mais, ce que ces chefs et ces syndicats-là n’ont pas compris, c’est que comme la jeune tortue qui vient de naitre et qui n’a d’autre choix que de risquer sa vie à slalomer entre les dangers jusqu’à rejoindre l’océan, le nouvel arrivant est, lui aussi, attiré irrésistiblement vers la grève, vers le fait de souffler un moment et d’exister. Là, une fois en grève, le nouvel arrivant devient visible, il devient vivant. Les dangers ne sont pas tous derrière lui, mais c’est là que la vie commence !

Le 18 septembre sur plusieurs postes à Airbus, des équipes entières se sont mises en grève, intérimaires compris. Certains pour rejoindre le mouvement général contre l’austérité, et aussi beaucoup pour exprimer leur ras-le-bol des chefs qui parlent mal et contre la pression grandissante à produire toujours plus avec toujours moins. Comme quoi, l’austérité et le mépris de ceux d’en haut, ça existe ailleurs qu’au gouvernement.

Correspondant

 

 
1 Les sections FO, CFTC et CFE-CGC, majoritaires à Airbus, n’ont pas appelé à la grève le 10 septembre et ont appelé à deux heures de grève le 18 septembre. La CGT a appelé à faire grève et à se rassembler sur les deux dates.