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Dans le transport interurbain, session de rattrapage pour le taux horaire

En moins d’un an et demi, le taux horaire minimum à l’embauche prévu par la convention collective nationale du transport routier (CCNTR) pour le transport routier de voyageurs, c’est-à-dire, pour aller vite, le transport par cars (lignes départementales, transport scolaire, transport occasionnel, etc.), a augmenté de plus d’un euro.

Ces augmentations ont suivi, quoi qu’avec retard, celles du Smic (voir graphique ci-contre). À la rentrée scolaire 2022, le taux CCNTR n’était ainsi supérieur au Smic horaire que de huit centimes. C’est une des explications à la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur. En effet, si pour un salaire équivalent (en l’occurrence, proche du Smic), on peut faire n’importe quel autre travail, pourquoi s’embêter avec un métier aux multiples désagréments (horaires décalés, travail le week-end, amplitude) ?

En bleu, le Smic horaire brut, en orange, le taux horaire à l’embauche prévu par la convention collective et en gris, le taux à l’embauche pratiqué à Keolis Porte des Alpes (KPA) en Isère

Pour juguler le sous-effectif, les patrons du transport ont donc accepté des augmentations conventionnelles. Mais ce n’est pas la seule raison. Depuis plusieurs années, le secteur se concentre : les PME familiales disparaissent peu à peu et sont remplacées par les filiales des grands groupes, notamment Keolis et Transdev. De ce point de vue, les grands groupes qui pèsent naturellement plus dans les instances de négociations et dans les organisations patronales – citons la puissante Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV) – ont également un intérêt indirect à une augmentation des salaires car elle favorise la concentration du capital. Les PME ne pouvant plus s’aligner sur un plan salarial, elles perdent à la fois les conducteurs et les marchés.

Mais ces multinationales bien françaises ont une politique salariale à l’échelle du pays dépendante également du rapport de forces qu’elles enregistrent dans chacune de leurs filiales et qu’elles répercutent dans les négociations de branche. Et comme, depuis deux ans au moins, les grèves pour les salaires se multiplient, décrochant des augmentations certes au-dessous de l’inflation officielle mais notables vu le gel des quinze ans qui ont précédé, cela pèse au niveau national.

Ces augmentations conventionnelles rattrapent les taux horaires pratiqués dans les entreprises, même là où il y a eu des luttes. C’est le cas à Keolis Porte des Alpes (KPA) en Isère où, malgré la victoire de janvier, le taux horaire à l’embauche a été, en juillet et en août, tout juste inférieur à celui de la branche (voir graphique). C’est ainsi qu’un même dirigeant de Keolis peut à la fois se montrer favorable à des augmentations conventionnelles et se montrer inflexible dans des NAO de filiales qu’il dirige. D’ailleurs, à KPA toujours, la progression à l’ancienneté compte plus de seuils (et est donc plus favorable) que celle prévue par la convention. Mais désormais sur certains seuils, le taux horaire est inférieur et la direction doit payer la différence. En effet, tant que le taux à l’embauche était plus haut, il n’y avait pas de soucis. Mais du fait du rattrapage, certains se retrouvent après cinq ans d’entreprise en dessous des minima conventionnels !

Une autre conséquence plus inattendue de ce rattrapage, c’est une nouvelle tactique « nostradamienne » des patrons. Comme les cadres des filiales ont parfois des responsabilités dans les fédérations patronales, ils peuvent feindre la générosité en accordant dans l’entreprise les augmentations qu’ils sont en train de discuter dans la branche et qu’ils finiront de toute façon par devoir appliquer. Mais au passage, ils coupent l’herbe sous le pied à tous ceux qui voudraient se battre ! C’est ce qui s’est passé à deux reprises aux VFD, une autre entreprise iséroise.

Ce rattrapage alimente par endroit la rancœur de se voir « nivelé par le bas ». Pourtant, ce sont nos luttes à tous qui nourrissent ces revalorisations conventionnelles. Ces dernières montrent quelque part la voie à suivre : pour imposer les augmentations dont on a besoin, il faut se battre tous ensemble, par-delà les filiales, les groupes et les réseaux !

Philippe Cavéglia et Bastien Thomas