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De droite à gauche, des décennies de lois racistes contre les travailleurs étrangers

Réfugiés espagnols dans un bidonville de région parisienne, 1936.

La loi Immigration, préparée depuis un an, est passée. Darmanin peut sabrer le champagne, c’était son chantier à lui, même s’il doit partager sa joie avec le RN qui célèbre une « victoire idéologique ». Idéologique, c’est bien le mot ! Car cette loi est la 101e en 50 ans… Une véritable obsession. Et qui peut laisser perplexe : on se demande bien ce que les législateurs trouvent à modifier en moyenne tous les six mois, surtout quand on sait qu’ils sont tous d’accord sur le fond.

Car dans cette moyenne de deux lois par an, aucune qui change fondamentalement la politique du patronat. Celui-ci a toujours besoin d’une main-d’œuvre au meilleur marché et l’État dose avec soin les vagues de régularisations et les refus de permis de séjour en fonction des besoins. La bourgeoisie, par l’entremise de son État, réalise un véritable tri des immigrés.

Un entassement de lois et de règlements

Cette liste interminable de lois anti-migrants donne le tournis, notamment aux magistrats, avocats et associatifs qui peinent à suivre le rythme effréné des réformes. Ces dernières se contredisent souvent, et complexifient le droit des étrangers.

Bien sûr, chacune de ces lois aggrave les conditions de vie et d’entrée en France des étrangers. Mais cette litanie lancinante de lois racistes et xénophobes ne répond à aucun besoin pressant de l’État en matière juridique. Il a depuis longtemps tous les outils juridiques et pratiques pour refouler ou intégrer comme il veut, ou presque. Les exilés espagnols qui fuyaient le franquisme, parqués dans des camps sous un gouvernement de Front populaire, en ont fait l’expérience.

Si les lois se succèdent à un rythme aussi effréné, c’est que l’État cherche malgré tout à optimiser son système de tri. Cela est valable à l’échelle de la France comme d’ailleurs à l’échelle de l’Europe : les démarches sont souvent jugées trop longues et trop complexes. Il faudrait simplifier, faciliter les expulsions, quitte à ce qu’elles soient de plus en plus expéditives. Mais cela a aussi comme effet d’ancrer le « problème de l’immigration » dans les consciences, de normaliser la problématique de la « gestion des flux », et la profonde déshumanisation des travailleurs étrangers que cela engendre.

La lourde responsabilité de la gauche

L’État a toujours voulu contrôler sa population et ses frontières, comme cela a été le cas pour les travailleurs venant d’Italie, du Maghreb, d’Afrique de l’Ouest, du Portugal ou de Yougoslavie que le patronat est allé chercher en installant des bureaux de recrutement directement dans les pays concernés durant les mal nommées Trente Glorieuses… Autant de vagues d’immigration qui avaient déjà dû affronter non seulement la vie dans les bidonvilles1, mais les chicanes de l’administration, les journées entières d’attente dans les services de l’immigration à affronter la morgue de chefs de service, mais aussi d’employés, dont on a l’impression qu’ils sont sélectionnés pour leur hargne, afin d’obtenir titres de séjour et « cartes de travail ».

Il reste cependant que la situation s’est beaucoup aggravée pour les travailleurs étrangers à partir du milieu des années 1970, lorsque la société, sous l’effet d’une crise économique, a connu une montée du chômage : les besoins du patronat en main-d’œuvre avaient diminué. Si Giscard d’Estaing a en quelque sorte inauguré ce tournant en 1974 avec sa circulaire sur la « suspension de l’immigration », on ne peut raisonnablement pas dire que l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 a sorti les travailleurs étrangers de leur précarité administrative. Déjà, en 1984, c’est un Premier ministre de gauche, Laurent Fabius, qui affirmait que « l’extrême droite, ce sont de fausses réponses à de vraies questions », donnant immédiatement après « l’insécurité » pour exemple, légitimant ainsi des discours réactionnaires sur l’immigration, quand le PCF, par la bouche de Georges Marchais, appelait à « stopper l’immigration officielle et clandestine ». La condition matérielle des demandeurs d’asile acceptés sur le territoire s’est par ailleurs dégradée à partir de 1991 : la Première ministre socialiste Édith Cresson leur a retiré le droit automatique de travailler pour subvenir à leurs besoins pendant l’instruction de leur demande. Et la dernière fois que le PS a accédé au pouvoir, durant le mandat Hollande, ce dernier fut marqué par des débats sur l’extension de la déchéance de nationalité à tous les binationaux, les discours xénophobes de Manuel Valls2, et des mobilisations de lycéens contre les expulsions de Roms fin 2013, lors de l’ « affaire Leonarda »3. Manuel Valls avait alors déclaré : « Les Roms ont vocation à rentrer en Roumanie ou en Bulgarie. » Des mots dignes d’un Jean-Marie Le Pen.

Bras dessus, bras dessous, les politiciens de gauche comme de droite ont donc systématiquement fait de la surenchère contre les immigrés, normalisant les idées xénophobes dans le débat public, fournissant ainsi son carburant à la progression de l’extrême droite.

Des papiers pour tous… ou plus de papiers du tout !

À l’approche des élections européennes, chacun y va dans sa petite variante de poison nationaliste. Jusqu’à la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon et au PCF de Fabien Roussel qui, s’adressant aux classes populaires, insistent sur le contrôle de l’immigration en raisonnables partis aspirant aux affaires. Fabien Roussel affirmait encore récemment qu’il « est impératif de s’attaquer aux trafics et de renforcer la protection des frontières », qu’il qualifie de « passoires ». Quant au député insoumis François Ruffin, il se dit partisan d’un « meilleur ciblage » dans les reconduites aux frontières, pour les rendre « plus effectives ».

Mais qui remet en cause les frontières meurtrières ? À l’heure où des dizaines de millions de personnes migrent, sont déplacées, refoulées ou entassées dans des camps à la suite de guerres et pour échapper à la misère, appeler à ouvrir les frontières et régulariser tous les travailleurs étrangers devrait être le B-A-BA. Et sans prétendre d’abord, comme le dit LFI, vouloir « régler les problèmes là-bas4 »… Ce qui est prioritaire, c’est de se battre pour la régularisation de tous les sans-papiers, pour l’abrogation de la loi Darmanin et de toutes les lois racistes qui touchent une grande partie de la classe ouvrière, c’est une urgence vitale pour tous les travailleurs.

Gaspard Janine et Martin Eraud

 

 


 

1  Les derniers bidonvilles, comme celui de Nanterre, n’ont été démantelés que dans la seconde moitié des années 1970. Ils sont cependant réapparus au début des années 1990 : le patronat a besoin de la main-d’œuvre immigrée, pas de lui assurer des conditions de vie dignes…

2  Dans la foulée des attentats du 13 novembre 2015, Manuel Valls, alors Premier ministre, avait déclaré le 25 novembre au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung : « Nous ne pouvons plus accueillir de réfugiés en Europe, ce n’est pas possible. » Ce qui, dans le contexte, ne pouvait qu’apparaître comme un amalgame entre migrants et terroristes.

3  Le 9 octobre 2013, Leonarda Dibrani, une jeune Rom de 15 ans, avait été interpellée en pleine sortie scolaire pour être expulsée avec toute sa famille vers le Kosovo, ce qui avait provoqué une vague d’indignation et mis des milliers de lycéens dans la rue.

4  Voir le livret thématique de l’Avenir en Commun sur les migrations, affirmant qu’ « il est primordial d’agir en amont des migrations sur les causes qui contraignent les populations à quitter leur pays, parce qu’une vie digne n’y est plus possible ».