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De Pôle emploi à France travail : vous reprendrez bien un peu de poudre de perlimpinpin ?

La pression sur les sans-emplois continue. Le cheminement parlementaire d’un nouveau projet de loi, porté par le ministre du Travail, Olivier Dussopt, suit son cours. Son nom : « Plein emploi ». Son objectif prétendu : juguler le chômage… à 5 %. Le titre est déjà mensonger. La mesure principale de ce projet de loi est la transformation de l’organisme public Pôle emploi en France travail pour en faire l’« opérateur » principal d’un ensemble plus large qui serait le Réseau France travail. Ce réseau rassemblerait d’autres organismes publics comme les Missions locales (qui deviendraient France travail jeunes), Cap emploi (futur France travail handicap), la CAF… des acteurs associatifs, et bien évidemment, des acteurs privés.

En plus de la création de ce réseau, il s’agit d’inscrire automatiquement toute personne majeure sans emploi à Réseau France travail (demandeur d’emploi, allocataire au RSA, jeune suivi par une Mission locale, travailleur handicapé, etc.), pour les soumettre à un « contrat d’engagement », obligatoire. Ce contrat d’engagement instaure un suivi intensif qui consiste en une quinzaine d’heures par semaine de rédaction de CV, de formation ou remise à niveau ou même d’immersion en entreprise pour l’inscrit ou l’inscrite. C’est un contrat, obligatoire et contraignant dans la mesure où si l’inscrit n’en respecte pas les termes, il peut être soumis à des sanctions pouvant aller jusqu’à la suspension de tout ou partie des allocations, appelée « suspension/remobilisation ». Encore un moyen de précariser toujours plus ceux qui sont déjà les plus précaires.

Derrière ces mesures, l’objectif est clair : accentuer le contrôle sur l’ensemble des sans-emplois pour pouvoir plus facilement les mettre au travail (rémunérés par l’État de préférence) en sortant la carte de la sanction « suspension/remobilisation » s’ils ne se décident pas à se soumettre aux exigences du patronat.

La part belle aux « opérateurs privés »

Mais cette réforme ne touche pas uniquement les sans-emplois. Comme indiqué précédemment, un des objectifs de la réforme est d’augmenter la sous-traitance au privé. Ce n’est pas une nouveauté car Pôle emploi avait déjà recours à la sous-traitance. En effet, l’inscrit chez Pôle emploi n’est pas forcément suivi par le conseiller qui en est chargé : celui-ci peut soit le garder, soit l’orienter vers un organisme public supposé mieux approprié à son profil, soit vers un organisme privé pour des ateliers ou des formations mais aussi pour un suivi plus global, en fonction du profil de l’inscrit mais aussi en fonction du manque de temps ou de travailleurs chez Pôle emploi qui ne peuvent pas réaliser le suivi de tous les demandeurs d’emploi. La nouveauté de ce projet de loi, c’est plutôt la place que les acteurs privés prendront, et de fait la place qui restera à France travail (ex-Pôle emploi). Car la place dévolue au privé est bien sûr toujours plus grande. Et concrètement, le rôle des conseillers de France travail pourrait changer. Ils pourraient ne plus accompagner les demandeurs d’emploi, mais être cantonnés à des fonctions administratives ou de diagnostic et de tri des inscrits. La sélection, l’accompagnement et la formation des demandeurs d’emploi seraient alors pris en charge entièrement par des organismes privés, rémunérés évidemment par l’assurance chômage.

Côté financement

L’Unédic serait aussi concernée par cette réforme. Cet organisme, financé majoritairement par les cotisations prélevées sur les salaires, reverse ensuite une partie à Pôle emploi pour assurer le versement des allocations, ainsi que le fonctionnement de Pôle emploi. Ces dernières années, la dette de l’Unédic a explosé pour cause d’aides aux entreprises durant le Covid (financement du chômage partiel). Évidemment, le gouvernement a profité de cette explosion de la dette de l’Unédic (qui se finance sur les marchés financiers, nous le signalons au passage !), pour mener des réformes afin de renflouer les caisses de l’Unédic. Elles ont consisté à réduire le montant et la durée de l’allocation chômage et permettent alors de dégager autour de 3 à 5 milliards d’euros par an sur une dette d’environ 60 milliards. Donc, on rogne les droits et, de fait, on précarise les chômeurs pour renflouer les caisses. Le bon sens du gouvernement poussant toujours plus loin pour faire des cadeaux au patronat, ils sortent aujourd’hui la carte de « l’excédent de l’Unédic » (créé en appauvrissant les chômeurs !) pour augmenter la part du financement du Réseau France travail (donc des opérateurs publics mais aussi privés !) par l’Unédic, et désengager la part de l’État. Au bout du compte, on finance les opérateurs publics et privés (sans oublier d’augmenter la place faite au privé !) en réduisant les allocations pour les chômeurs au lieu de taxer les plus riches.

Une nouvelle réforme donc, qui s’ajoute au train des réformes contre les travailleurs. Qui s’ajoute à l’exigence d’une autorisation de travail pour un travailleur étranger soumise aux « secteurs métiers en tension » ; à la subordination toujours plus grande des lycées professionnels aux besoins du patronat ; au report de l’âge de départ à la retraite, qui par ailleurs ne peut qu’accroître le chômage des jeunes. De l’autre côté, c’est la réduction des droits, des montants ainsi que de la durée des allocations chômage ; le flicage toujours croissant des allocataires du RSA et des chômeurs, provoquant notamment une forte augmentation des radiations sur l’année 2022.

Le monde du travail est en tension. Les salaires, tout comme les allocations (chômages, RSA, etc.), ne suivent pas l’envolée des prix de l’alimentaire et de l’énergie de ces dernières années. Le chômage réel se maintient, n’en déplaise au gouvernement qui, par le maniement des chiffres et des catégories, le présente en baisse. Et encore, la politique de hausse des taux directeurs amorcée par les banques centrales, génératrice de récession comme le rappellent bien des médias, n’a pas encore produit tous ses effets contre le niveau de vie des travailleurs et plus généralement des classes populaires. Mais elle n’a pas encore produit toutes les réactions non plus, voire l’explosion sociale qui pend au nez du gouvernement et des patrons qu’il sert.

Marc Laverne

 

 


 

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